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Geneviève Chauvel: L’histoire des conquêtes arabes m’a fascinée et j’ai voulu la raconter

Rasha Hanafy, Lundi, 18 juillet 2016

Dans son dernier livre Les Cavaliers d’Allah, l’écrivaine et journaliste Geneviève Chauvel revient sur la conquête arabo-musulmane de l’Afrique du Nord et de l’Espagne. Entre légende et histoire, elle apporte un éclairage précis et approfondi sur cette période fondamentale de l’Histoire. Entretien.

Geneviève Chauvel

Al-ahram hebdo : Votre dernier livre Les Cavaliers d’Allah raconte la conquête arabo-musul­mane de l’Afrique du Nord et de l’Espagne. Pourquoi cette période vous intéresse-t-elle particulière­ment ?
Geneviève Chauvel : Dans l’un de mes livre intitulé Aïcha, la bien-aimée du Prophète (publié en 2007), j’avais suivi les premiers califes suc­cesseurs de Mohamad, tels Omar, Osman et surtout Moawiya, qui avaient lancé et encouragé les pre­mières expéditions vers la Mésopotamie, la Syrie et l’Egypte. Un siècle plus tard, en 732, les armées de l’islam avaient conquis un terri­toire allant du pied de l’Himalaya jusqu’à Poitiers. Les conditions de cette gigantesque conquête m’ont toujours intéressée. J’ai décidé de concentrer mes recherches sur la conquête de l’Afrique du Nord qui est très peu documentée. Je voulais en savoir plus. Surtout sur les Berbères qui peuplaient cet espace nord-afri­cain et qui avaient connu la puissance de Carthage, celle de Rome, puis les ravages des Vandales chassés par les Grecs de Byzance. Il faudra plus de 60 ans à l’armée musulmane pour venir à bout de la résistance berbère, avec ces trois grands généraux qui seront les célèbres artisans de la conquête : Oqba Ibn Nafie, le cruel, Hassan Ibn Noaman, le rusé, et Moussa Ibn Nosseir, le diplomate. Une fois soumis, islamisés, les Berbères ont été enrôlés dans l’armée arabe, et ces redoutables guerriers prendront l’Espagne puis se hasarde­ront dans le pays des Francs, jusqu’à Poitiers. Cette histoire m’a fascinée. Elle n’a jamais été racontée en détail. Voilà pourquoi j’ai voulu la raconter.

— Votre bibliographie est pleine de références arabes, comme Tabari, Ibn Al-Athir, Ibn Khaldoun et bien d’autres. Comment vous ont-elles aidée lors de la préparation de votre ouvrage ?
— Tout d’abord, je tiens à préciser que mon livre n’est pas un roman. C’est un essai historique. Si j’ai fait appel à tant d’historiens arabes comme Ibn Khaldoun, Al-Hakam, Al-Noweiri et d’autres, c’est parce qu’il n’existe pas de témoignages écrits de cette grande épopée. Aucun écrivain berbère de l’époque ne l’a décrite. Les Berbères ont commencé à écrire à partir du XVe ou XVIe siècle. J’ai consulté également des chroniqueurs byzan­tins et des historiens espagnols. Je voulais des récits précis qui reflètent le sentiment de l’époque. Mais je voulais surtout raconter des faits avé­rés et authentiques. La Kahéna, à titre d’exemple, qui a guidé la résistance berbère pendant cinq ans contre les troupes arabes, l’Histoire ne fournit aucun détail sur sa vie. J’ai dû faire appel à la tradition orale ou à la légende pour assurer la continuité de ce personnage de femme hors du commun. Et dans ce cas, j’annonce toujours la couleur.

— A plusieurs moments de votre récit, vous illustrez certains faits avec des versets du Coran. Pourquoi cette utilisation du Coran ?
— Lorsque je mentionne des ver­sets du Coran, je n’ai pas d’arrière-pensée. Cependant, quand vous lisez des historiens comme Tabari, Boukhari ou Ibn Khaldoun, ils men­tionnent souvent des versets du Coran comme un rappel de la volonté de Dieu, ou comme un précepte moral qui les rassure. L’Arabe musulman se réfère au Coran pour confirmer sa pensée. L’islam n’est pas seulement une religion, c’est une culture. Aujourd’hui, malheureu­sement, certaines per­sonnes ont tendance à ins­trumentaliser le Coran au détriment de la religion elle-même.

— L’histoire garde en mémoire les grands mas­sacres des guerres de religion. Aujourd’hui, nous faisons la guerre au nom des droits de l’homme et de la démocratie. Comment percevez-vous ce phénomène ?
— Guerres de religion ou guerres coloniales, on a toujours fait la guerre au nom d’une idéologie, d’intérêts économiques ou politiques. Aujourd’hui, on agite le drapeau des droits de l’homme ou de la démocra­tie en faisant toujours autant de vic­times. Oui, l’Histoire se répète. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Voilà pourquoi je pense que l’Histoire a un rôle important à jouer. Rappeler l’Histoire peut aider les gens à mieux cerner les causes et les conséquences de nos conflits actuels et éventuellement, éviter qu’ils ne se reproduisent.

— Pourquoi comparez-vous les conquêtes de l'Afrique du Nord et de l'Espagne aux guerres actuelles qui se déroulent sur les territoires syriens, iraqiens et libyens contre Daech, organisation terroriste qui prétend appliquer les prescriptions de l'islam ?
— Je ne compare pas. Mais ce qui me frappe est que, au VIIe siècle, après la mort du prophète, il y eut cette formidable poussée islamique depuis l’Arabie vers l’Orient et vers l’Occident. En un siècle, la conquête arabe a pu étendre son gigantesque croissant depuis l’Himalaya à l’est, jusqu’à Poitiers à l’ouest. C’était le premier djihad, celui des Cavaliers du prophète qui répandaient le nom d’Allah et la nouveauté qu’était l’is­lam à travers le monde.

Aujourd’hui, il semble que nous assistons à une nouvelle poussée, cette fois islamiste plutôt qu’isla­mique, sous l’influence de Daech et de ses alliés comme Al-Qaëda, Boko Haram, L’Aqmi, etc. Pour quelles motivations ? On a parlé d’esprit de revanche des anciens colonisés, affir­mation d’identité, et plus générale­ment, de confrontation islam-Occi­dent. Un califat virtuel a été procla­mé, régi par la charia, et les nouveaux djihadistes répandent la terreur au nom d’un islam plus politique que religieux, mais en affirmant qu’ils font revivre l’islam du prophète. L’Histoire a son importance sur le chemin de la vérité.

— Comment, d’après vous, cette expansion arabo-islamique a-t-elle influencé la culture arabo-musul­mane elle-même ?
— Les conquérants arabes du VIIe siècle étaient des hommes du désert. Au temps du pro­phète, en Arabie, le seul art était celui de la poé­sie. Les tournois de poé­sie avaient un grand suc­cès à La Mecque, autour de la Kaaba. Au gré de leurs conquêtes, les Arabes se sont nourris des cultures qu’ils découvraient : en Syrie, en Mésopotamie, en Inde. Et ils commencent bientôt à rivaliser avec leurs contemporains, en faisant appel aux meilleurs artistes et bâtis­seurs de leur temps pour construire des mosquées aussi impression­nantes que les cathédrales byzan­tines et des palais aussi somptueux que ceux des Perses. Ils ont eu l’in­telligence de réunir des hommes extrêmement talentueux et de les encourager pour construire une culture orientale propre qui atteindra son apogée à Damas, Bagdad, Kairouan ou encore à Cordoue, la ville mythique des trois religions. Les Arabes ont beaucoup apporté à l’Occident à cette époque, que ce soit dans le domaine des sciences, de l’architecture, de la philosophie ou encore en développant l’art floral et la calligraphie. Nous devons garder en mémoire cet exceptionnel exemple qu’a été « Al-Andalous », ce temps béni où les trois religions vivaient en harmonie, mettant en commun le fruit de leurs recherches pour le bienfait de l’humanité.

— Vous avez grandi en Syrie, puis en Algérie et avez passé de nombreuses années à parcourir le monde arabe. Dans quelle mesure cette expérience de la double culture vous a-t-elle influencée ?
— J’ai grandi à Deir-ez-Zor, en Syrie, j’ai fait mes premiers pas au bord de l’Euphrate, mes premières odeurs furent celles du sable du désert, des épices et du jasmin. Les premiers sons que j’ai entendus étaient le chant du muezzin, et les contes des Mille et une nuits racontés par ma nounou syrienne. L’esprit de Schéhérazade m’a peut-être ensorce­lée, puisqu’un jour, comme elle, j’ai voulu raconter des histoires. J’ai grandi en Algérie, à cheval entre deux cultures meurtries par la guerre. Puis comme journaliste, j’ai parcouru le Proche-Orient pendant près de vingt ans. C’est alors que je me suis inté­ressée à l’histoire des Arabes et aux rapports Orient-Occident au fil des siècles. Mes reportages m’ont permis de côtoyer et d’interviewer des per­sonnalités et des chefs d’Etat, comme le roi Hussein de Jordanie, le président Sadate, l’émir du Koweït, Cheikh Zayed d’Abu-Dhabi, Muammar Kadhafi, Arafat, ainsi que des personnalités israéliennes comme Ben Gourion, Menahem Begin, Moshe Dayan, Yitzhak Rabin ou Shimon Peres … Cela m’a permis d’écrire Saladin, en 1997, qui a eu le prix mondial de l’Emir Fakhreddine au Liban, puis la vie de Gertrude Bell, cette Anglaise qui fut à l’origine de la création de l’Iraq. Pour comprendre les Arabes, il faut connaître l’islam, alors j’ai écrit Aïcha, la bien-aimée du Prophète, en 2007, puis Barberousse, le maître de la Méditerranée, en 2010. Avec Les Cavaliers d’Allah, j’ai complété ma connaissance de l’Algérie, et me suis réconciliée avec mon passé.

Les Cavaliers d’Allah, de Geneviève Chauvel aux éditions Archipel, Paris 2016.

L'auteur en quelques lignes
Journaliste et écrivaine française. Geneviève Chauvel a passé son enfance en Syrie, puis en Algérie. Elle a fait des études de droit et de sciences économiques à Alger et à Paris. En 1961, elle épouse Jean-François Chauvel (fils de l’ambassadeur et poète Jean Chauvel). Geneviève Chauvel a travaillé de 1967 à 1982 pour les agences de photo­journalisme Gamma/Sygma, et de 1983 à 1985 à Sipa-Press. En 1995, elle retourne à l’agence Gamma. Elle a égale­ment collaboré avec Paris Match de 1982 à 1983 et a publié des romans et des biographies, comme Olympe en 1987 et Saladin en 1991, traduit en allemand, en espagnol et en arabe. Ce livre a reçu au Liban le prix mondial de l’Emir Fakhreddine (destiné à promouvoir la culture et la tradition arabes dans le monde). C’était la première fois que ce prix soit décerné à un auteur non arabe. Elle a ensuite publié Reine par Amour en 1993, Le Don d’aimer en 1996, Inoubliable Eugénie en 1998, Gertrude Bell en 2005 et Barberousse, le maître de la Méditerranée, en 2010, traduit en turc.

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