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Raouf Mossad : Je voulais un roman qui défend le droit à la différence

Soheir Fahmi, Dimanche, 01 mai 2016

Raouf Mossad est un écrivain à part dans la littérature égyptienne. Il poursuit un chemin entamé il y a longtemps, celui de la lutte contre la ségrégation en s’appuyant sur la discrimination religieuse entre musulmans et coptes d'Egypte. Entretien sur La Fleur du silence, son dernier roman, paru chez Al-Ain.

Raouf Mossad

Al-Ahram Hebdo : Vous avez accepté sous la pression des ouvriers de l’imprimerie privée qui a imprimé votre livre de supprimer deux mots dans la dédicace de votre dernier roman La Fleur du silence. Pourquoi ?
Raouf Mossad : J’ai accepté ceci pour que le roman soit publié en Egypte. En fait, j’avais fait référence dans ma dédicace aux « Dieux de mes prédécesseurs Isis et Osiris » et cela n’a pas plu aux ouvriers. J’ai alors retiré le mot « Dieux » et j’ai laissé « Isis et Osiris ». Dans le roman, j’ai également accepté de retirer quelques phrases. Je tenais à ce que mon roman soit publié en Egypte. Pourtant, j’ai toujours refusé de publier dans ce genre de conditions. Mais je voulais que le roman soit publié pour m’acquitter de ma dette en tant qu’écrivain et écrire un roman sur le droit à la différence. Je voulais m’acquitter de ma dette vis-à-vis des milliers de personnes que je n’ai pas connues, des victimes du 25 janvier et de tant de personnes au fil de l’histoire dont on ne connaît pas les noms ainsi que des prisonniers politiques, ceux du passé et ceux de l’avenir. Tout ceci pour rappeler le droit à la différence.

— Vous avez beaucoup écrit auparavant. Vous êtes préoccupé par la question de la discrimination religieuse entre musulmans et chrétiens. De quoi traite votre dernier roman ?
— C’est mon sixième roman. J’ai commencé à écrire mon premier roman en 1986, c’était L’OEuf de l’autruche. Je revenais de Beyrouth après l’agression d’Ariel Sharon, j’ai alors décidé d’écrire. J’avais alors 49 ans. La rédaction m’a pris 8 ans. Je n’étais pas sûr de moi-même. Le roman a eu du succès parce qu’il racontait la prison politique et ses tortures. J’ai eu du succès et j’ai décidé de poursuivre mon projet. Dans La Fleur du silence, j’ai imaginé que le 30 juin et le 3 juillet n’avaient pas réussi et que l’armée est revenue à ses casernes alors que les Frères musulmans ont gagné. Et qu’une sorte de guerre civile a eu lieu dans le pays. Que chaque fraction de la société, à savoir les musulmans et les chrétiens, s'est cantonnée de son côté. Que pouvait-il alors se passer ? Surtout que les gens étaient partagés entre une identité militaire et une identité religieuse.

— Vous êtes préoccupé par la question des chrétiens. Sentez-vous que ce soit un engagement ou un poids que vous devez porter ?
— Les deux. Je fais partie de la minorité protestante à l’intérieur de la minorité copte. Et en Hollande, où je vis, je fais partie de la communauté arabe en Europe. Ce roman, j’ai essayé de ne pas l’écrire. Je ne voulais pas écrire sur les chrétiens et rentrer dans ces eaux, surtout que je suis un homme laïque et que j’ai des positions politiques bien définies. J’ai essayé de le fuir longtemps. Mais, il est arrivé que j’ai subi une intervention chirurgicale au coeur et que ma fille m’a encouragé en me disant que ma qualité de vie serait meilleure. J’ai accepté et comme j’ai eu des complications, j’ai voulu prouver à ma fille que ça allait et surtout que s’il me restait encore du temps à vivre, ce serait mon destin de m’acquitter de mes tâches. Et j’ai poursuivi mon roman. Je voulais témoigner des événements de Maspero, après la révolution, qui ont fait beaucoup de victimes parmi les chrétiens en Egypte.

— Avez-vous fait des recherches sur l’histoire de la discrimination religieuse pour en arriver à Maspero ?
— Sans rentrer dans les détails, j’ai trouvé que le contrat, qui avait été signé entre Amr Ibn Al-Ass et le pape Benjamin qui a garanti la sécurité et la paix aux coptes d’Egypte sous certaines conditions, n’a pas été respecté. Depuis le VIe siècle, la promesse n’a pas été respectée. Au XXIe siècle, on constate que la tragédie des coptes s’est poursuivie. Je n’arrivais pas à terminer le roman, car je ne voulais pas le transformer en un roman religieux sur les coptes. Je me suis enfui à Assouan et alors que je tombais malade et dans mes poussées de fièvre, j’ai compris que je ne pouvais fuir ni mon roman, ni l’histoire de ces coptes qui sont partis du quartier de Choubra à la télévision à Maspero en pensant que la révolution du 25 janvier avait changé les choses. J’ai voulu, en vérité, en m’écartant de toute influence religieuse ou politique et de tout fanatisme, écrire un roman qui défend le droit à la différence.

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