Le festival D-CAF se concentre sur une zone artistique précise, celle des idées rebelles et innovatrices. Ses organisateurs manifestent leur volonté de sélectionner des films singuliers, qui se démarquent du reste des productions cinématographiques nationales par leur caractère libre, même si c’est parfois choquant.
Ce choix fièrement affiché se matérialise par les thèmes des films sélectionnés, du film de gangsters au film expérimental inclassable, dans une volonté d’indépendance vis-à-vis des systèmes de production tout-puissants.
Que ce soit au Danemark, en Chine, au Chili, au Sénégal ou au Brésil, le genre dominant est celui des films personnels à caractère rebelle, favorisant l’existence d’un autre regard tant sur ces pays que sur la condition et les causes humaines. Et c’est précisément la mission que se donne le festival D-CAF : de contrer l’hégémonie du box-office.
Dès l’édition précédente, le festival a commencé à inviter des coordinateurs internationaux pour superviser le programme cinéma de cette manifestation indépendante. Un choix professionnel, ayant pour but de sortir le festival du cadre expérimental. Cette année, c’est la cinéaste libano-canadienne Rasha Salti, coordinatrice des programmes du Festival international du film de Toronto, qui a été choisie pour cette mission.
Salti a qualifié de « particulier » le programme cinéma de cette édition. Intitulé La Nuit quitte le ciel, suivi par le cinéma, ce programme frappe par son caractère révolté qui va à l’encontre des règles du jeu commercial. Les films projetés cette année, qu’ils soient des documentaires ou des fictions, étalent une logique propre aux réalisateurs. Tout en s’inscrivant dans le thème des libertés individuelles, certains films se permettent des dérapages conceptuels ou visuels.
Un bel exemple de ce penchant, The Act of Killing (l’acte de tuer) réalisé par le jeune réalisateur américain, Joshua Oppenheimer, est un documentaire ahurissant sur le génocide en Indonésie des années 1960, resté impuni.
Né aux Etats-Unis où il a vécu de longues années comme un hors-la-loi, le jeune documentariste a apprivoisé la mort et flirté avec toutes sortes de dangers. C’est ainsi qu’il a pu, en tant que réalisateur, explorer la relation entre la violence politique et l’imaginaire des peuples.
Meurtriers et fiers de l’être !
Dans ce documentaire de 159 minutes, le jeune cinéaste tente de dévoiler plusieurs facettes de l’Indonésie, ce pays fascinant et qui représente un terrain vierge du point de vue cinématographique.
A travers leurs témoignages, ou plutôt leurs aveux, les habitants impliqués dans des actes de génocide se trouvent libres de partager leurs visions de ces actes odieux. Le documentaire jette alors la lumière sur le massacre de plus d’un million d’opposants politiques en 1965. Curieusement, 45 ans après les faits, les survivants terrorisés hésitent toujours à s’exprimer, alors que les génocidaires, eux, protégés par un pouvoir corrompu, se proposent volontiers pour restituer les scènes d’outrance dont ils sont les protagonistes. De quoi permettre au jeune cinéaste d’explorer librement cet univers macabre, dans un exercice inédit de cinéma vérité, où les assassins reproduisent fièrement leurs crimes devant la caméra.
Loin de cette représentation assez particulière des libertés, y compris celle de tuer, la grande qualité du film est de savoir composer avec les histoires personnelles de ses personnages, tout en reflétant leur complexité. A l’exemple de ce duo d’assassins que lie une amitié très « humaine ». Le film n’a pas raté le contexte social et politique d’une Indonésie affligée, sur laquelle il fait la lumière, ne serait-ce qu’indirectement.
The Look of Silence (le look du silence) projeté pour la première fois au Caire dans cette édition du festival se déroule dans le même cadre, mais avec un changement de perspective.
Deux ans après The Act of Killing, Joshua Oppenheimer a replongé dans ces mêmes eaux troubles. Mais cette fois, au lieu de donner la parole aux criminels de guerre, fiers et satisfaits de leurs actes, dans The Look of Silence, Oppenheimer leur propose d’écouter les témoignages audio des familles de victimes et de leur entourage. Un exercice différent, peut-être complémentaire, mais surtout une prouesse cinématographique autant sophistiquée que laborieuse. Sans aucun commentaire en voix off, sans aucune image d’archives, The Look of Silence a misé sur la force de cette confrontation douloureuse.
Deux films qui se complètent donc, sans qu’il soit nécessaire d’avoir vu l’un pour apprécier l’autre. Grâce aux nombreux outils scénaristiques exploités et à un certain esthétisme, The Look of Silence a réussi à s’imposer, malgré sa brutalité.
Mais c’est justement ce genre de cinéma qui se situe aux frontières de la liberté qui caractérise les premières projections de cette 4e édition 2015 du D-CAF. D’autres films sont encore à l’affiche jusqu’à la fin du festival.
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