
Un médecin du surnaturel.
La sortie d’un nouveau film de Dawoud Abdel-Sayed est toujours un événement célébré parmi les cinéphiles. Considéré comme le « philosophe du grand écran », le réalisateur est le moins prolifique de sa génération, celle du nouveau réalisme égyptien des années 1980, regroupant Mohamad Khan et Atef Al-Tayeb. En 30 ans de carrière, sa filmographie compte à peine 9 métrages, tous de bonne qualité, qu’il a autofinancés pour la plupart.
Cependant, son dernier film Qodrate Gheir Adiya (dons surnaturels) ne manque pas de décevoir, après une longue attente. De quoi soulever un certain nombre de questions sur un réalisateur plutôt familier des longs métrages de bonne qualité.
Il s’agit de l’histoire d’un médecin qui travaille sur des personnes possédant des dons surnaturels. En désaccord avec son superviseur, il décide de passer quelques jours à Alexandrie pour se détendre, dans une petite auberge familiale. Les « habitants » permanents de l’auberge partagent la vie de l’aubergiste et de sa fille, une surdouée. D’un coup, le docteur s’éprend de la propriétaire de l’auberge et noue une relation avec elle. Puis d’un coup aussi, cette dernière l’abandonne pour épouser un homme à poigne, assez mystérieux : agent ou responsable des services secrets. Encore une fois, sans prélude ni détails, elle quitte son mari et ce dernier s’avère être un ivrogne, nihiliste et faible de caractère. Ensuite, à un moment donné de l’histoire, le médecin devient convaincu que cet homme, comme le reste des clients de l’auberge, ont tous des facultés surnaturelles. D’où l’intérêt ou la sympathie qu’il éprouve envers le lieu.
Une oeuvre inhabituelle
Dawoud Abdel-Sayed est réputé pour sa capacité à créer des oeuvres très profondes, faisant abstraction des détails. Il place souvent ses personnages dans des mondes fictifs et y implique le spectateur avec la dextérité d’une fée. Cependant, dans ce film, Abdel-Sayed apparaît beaucoup plus confus ; il est tiraillé entre ses personnages, peu nombreux. Il se disperse. Lance des fils d’intrigue sans en avoir vraiment besoin. A titre d’exemple, il nous emmène sous les chapiteaux d’un cirque ambulant, qui débarque en ville sans raison ni logique. Puis il expose une nouvelle histoire de dons surnaturels, puis le cirque perd sa raison d’être, comme s’il a été abruptement coupé dans le montage. Ceci se passe souvent tout au long du film de deux heures.
Le principal protagoniste de Abdel-Sayed est comme d’habitude un héros tragique, en crise existentielle. Ici, il ressemble au personnage de son dernier film, Rassaël Al-Bahr (messages de la mer), mais en plus autiste, moins charismatique. De quoi contrarier l’intrigue principale, fondée sur les personnages aux dons étranges. Cela s’applique également aux autres personnages du film, lesquels donnent l’impression d’être beaucoup plus riches à l’intérieur : mais le cinéaste ne parvient pas à exposer cette richesse à la surface. Le spectateur reste sur sa faim et le résultat final s’avère un peu fade. On se perd parmi des détails et des personnages superflus.
Normalement, Abdel-Sayed n’a pas l’habitude de tout dire dans l’oeuvre, d’être très explicite, ce qui n’est pas le cas dans ce dernier film ... Le réalisateur a trahi le pacte conclu depuis toujours avec son public. Car ici, il faut suivre plein de détails inutiles : l’aspect fantasmagorique de l’auberge, ses clients, le quotidien en Egypte, notamment après le départ des Frères musulmans ...
Cette fiction, plus ou moins difficile à classer, sera sans doute la plus polémique de Abdel-Sayed. Ses fans s’interrogeront sans cesse : Pourquoi ? Que s’est-il passé ? Et les éventuelles réponses, du genre « durée trop prolongée du tournage ou problèmes budgétaires, etc. », ne suffiront pas comme prétexte. Car à chaque fois que l’on va visionner le film, les mêmes questions resurgiront. Le « philosophe du cinéma » aux dons extraordinaires a l’air plus ligoté que jamais, par quelque chose que l’on ignore, mais qui n’a pas manqué de décevoir ses fans.
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