Un drame du sud, sur fond politique.
Un film propagandiste n’est pas forcément mauvais. L’accueil que lui vouent les spectateurs avertis ou les critiques ne relève pas d’une prise de position alignée sur les cinéastes qui ont signé le film, mais de la capacité de ces derniers à se justifier de manière originale. Ils doivent proposer une nouvelle optique, toute fraîche, à même de nous faire voir les choses différemment.
Là, on adhère au jeu, même si l’on n’est pas tout à fait d’accord. C’est ce qui manque peut-être au film Al-Guézira II (l’île, deuxième partie), en salle avec succès depuis la fête du grand Baïram (les recettes ont dépassé 14 millions de L.E., avec une différence de 10 millions avec le film qui lui succède sur la liste du box-office).
Objectivement, le film doit une bonne partie de sa réussite à la disparition subite de l’un de ses principaux protagonistes, Khaled Saleh, et au succès de la première partie, présentée en 2007.
Chérif Arafa s’est contenté cette fois-ci de son rôle de réalisateur, assignant la charge de l’écriture aux frères Diab. De quoi aiguiser la curiosité de ses fans lesquels ont tenu à découvrir les talents de ces auteurs dont les oeuvres précédentes étaient plus du genre films vidéo sur le développement humain.
Le troisième élément de la réussite fut la médiocrité des autres. Car les films programmés à l’occasion de la fête sont pour la plupart produits par Mohamad Al-Sobki, réputé pour ses fictions commerciales, très légères, qui frisent la vulgarité. Ce dernier cible surtout un public adolescent, issu des classes populaires, au-dessous de la moyenne.
Al-Guézira II s’ouvre sur la fuite des prisonniers, pendant la révolution du 25 janvier 2011, et s’achève vers la mi-2012, lorsque le pays vivait une période assez précaire de son histoire. Les premières scènes peuvent être facilement rangées sous l’étiquette du « docu-drame ». Elles adoptent plutôt la version officielle des faits, soit celle qui prévaut à l’heure actuelle.
Par exemple, l’on assiste à une offensive farouche lancée contre les prisons, et puis l’on montre des détenus qui ressemblent aux leaders des Frères musulmans, un peu « protégés » ou mis à l’écart des violences. Le film insinue clairement que l’offensive visait simplement à libérer ces derniers. Ainsi, les cinéastes omettent de toute évidence l’autre version des faits, disant que les prisons ont été ouvertes par les officiers eux-mêmes, afin de semer volontairement le chaos et défier les révolutionnaires (par contre, sur Internet, il y a plusieurs vidéos qui affirment cet état de fait).
Le cadre propagandiste du film insiste sur la doctrine policière répandue avant le 25 janvier 2011— représentée dans le film par le général Rochdi Wahdan (Khaled Al-Sawi). Les responsables de l’époque voulaient à tout prix maintenir la sécurité, optant parfois pour des méthodes très pragmatiques, abstraction faite des textes de la loi et de la Constitution. A cette manière d’agir, le film oppose une autre vision plus modérée— incarnée par un autre général (Khalil Morsi) — laquelle est complètement tournée en dérision. Par ailleurs, Le film accentue la diabolisation de l’islam politique à travers le personnage du cheikh Gaafar (le comédien Khaled Saleh), fidèle à l’idéologie des Frères musulmans.
Donc, d’une part le film cherche à redorer le blason du ministère de l’Intérieur, et d’une autre part, il contribue à diaboliser d’autres parties, de manière trop directe et naïve. Ce sont là les deux axes propagandistes suivis, dans cette fiction, respectant pour peu la mentalité des spectateurs.
La caméra s’approche du général Rochdi Wahdan, qui ôte la pancarte sur laquelle est écrit « La police est au service du peuple », un gros plan le montre, encore plus défiant en disant « On n’est pas les servants de quiconque ». Et dans une autre séquence, il ironise: « On nous considérait comme les vilains, voyons ce que vont faire les bons policiers ». Nous ne pouvons pas omettre la scène où deux policiers prennent congé, afin d’aider le général Wahdan à se venger, loin de tout cadre officiel. L’un d’entre eux affirme : « Quelqu’un qui a tué la famille d’un général de police ne peut pas fuir tout simplement ». Cet antagonisme entre les policiers et les citoyens ordinaires revient ainsi à plusieurs reprises.
L’animosité entre Karima (Hend Sabri) et Mansour (Ahmad Al-Saqqa) est avivée par des situations fabriquées de toutes pièces par le cheikh Mansour, la source de tous les maux. L’on peut aussi facilement remarquer l’insertion de quelques phrases ou mots en dialecte palestinien ou bédouin. Et ce, outre le keffieh palestinien omniprésent et les dialogues incohérents faisant référence aux tunnels entre l’Egypte et la Cisjordanie. Sans doute, ces derniers éléments s’inscrivent facilement dans le sens de la diabolisation préméditée, comme si les auteurs ne voulaient omettre aucune composante de la logique propagandiste actuelle.
Les film-makers d’Al-Guézira II ont probablement cherché à investir le contexte sociopolitique actuel, sachant que c’est l’un des facteurs indélébiles du succès. Et en fait, ils n’ont pas tout à fait tort. Mais même le fascisme peut avoir sa valeur esthétique et nécessite un certain degré de professionnalisme. Il faut plutôt s’adresser à la logique du spectateur, au lieu de titiller simplement les émotions, moyennant d’effets spéciaux ou visuels impressionnants.
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