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Une plongée dans les vagues

Mohamad Atef, Mardi, 17 juin 2014

Moug (vagues) est le premier documentaire du jeune Ahmad Nour. Ce portrait touchant d’une génération, d’une ville et d’une révolution vient de décrocher le prix du meilleur film au Festival d’Ismaïliya.

La jeunesse de Suez
La jeunesse de Suez, à l'ombre de la révolution.

Logo du festival

La ressemblance entre la souffrance des villes du Canal de Suez sous Moubarak et celle de la génération née avec l’accession de ce dernier au pouvoir est remarquable. Naturellement, la plupart des gens ressemblent aux villes dans lesquelles ils ont grandi. Ceci se manifeste encore plus chez les habitants des villes du Canal de Suez. C’est la marginalisation « intentionnelle » de la ville de Suez et de ses jeunes pendant les 30 années du régime Moubarak qui les a poussés à être au premier rang de la révolution.

C’est ce que montre le film Moug (vagues) d’Ahmad Nour, lequel a remporté le prix du meilleur documentaire à la 17e édition du festival international d’Ismaïliya sur les documentaires et les courts métrages, clôturée la semaine dernière.

Le jeune réalisateur y a retracé l’histoire d’une génération, d’une ville et d’une révolution, à travers 5 séquences liées au thème des vagues. De quoi révéler l’imagination fertile de Nour, mais aussi ses efforts sincères de partager une réflexion profonde et peu conventionnelle sur la révolution.

Car normalement, pour faire un film superficiel sur la révolution, il suffit d’y insérer plusieurs scènes du sit-in à la place Tahrir. D’ailleurs, c’était l’erreur commise par certains cinéastes, laquelle a mené à la banalisation de la révolution sur écran. Or, Ahmad Nour a complètement échappé à cette manière de voir. Il a commencé par une séquence intitulée Men al-omq (en profondeur), où il a étalé le passé historique de la ville de Suez: ses lieux, ses végétations ainsi que la souffrance des habitants. Tout ceci par le biais de l’animation, assez sensible, allant de pair avec la croissance d’un enfantrêveur qui aime dessiner.

Dans le tourbillon

La deuxième vague qu’il a intitulée « Le tourbillon » a mêlé expressions de visages et cris de révolte contre le chômage, l’oppression et la détérioration des services. Et ce, grâce à un passage habile d’une scène à l’autre et à une musique en crescendo disant les plaintes des gens. Le réalisateur a laissé ses protagonistes s’exprimer dans une grande spontanéité. Chacun a raconté sa souffrance, assurant la corruption du régime et la marginalisation de la ville. Le développement urbain dont parlait l’ancien régime n’était que du bluff.

Le déclenchement de la révolution ne signifiait guère la fin de tous ces problèmes. C’est, en fait, le message communiqué à travers la séquence suivante du documentaire. Les événements atteignent leur apogée, notamment avec les tentatives des contre-révolutionnaires visant à vider les revendications sociopolitiques de leur sens. Tout comme la population de Suez, l’équipe du film a beaucoup souffert à cause des accusations de « traîtrise » et autres, dans un climat politique tendu et malsain. Les cameramen étaient pourchassés dans les rues par des gens simples, mettant en doute les intentions des cinéastes.

Le désespoir est un péché

Plonge

La 4e vague Marée basse se termine par des shots qui mettent en relief l’amertume des familles des martyrs.

Ensuite, le film s’achève sur un message d’espoir, avec la 5e vague appelée Semsémiya (lyre orientale), cet instrument authentique des villes du Canal, aux airs envoûtants. C’est une façon d’insinuer que la poursuite du rêve et l’espoir ne sont que des procédés de résistance. Une fille est née la veille de la révolution, ses rires résonnent plus haut d’un jour à l’autre. Am Ghazali, l’un des anciens fédayin (résistants) de la ville, dit ne jamais avoir perdu espoir... Il raconte ses récits de la résistance. Et enfin, intervient la scène des noces du fils, lorsque les convives se mettent à chanter les célèbres chansons de la résistance.

En général, quand il est question de documentaires politiques, les critiques se trouvent dans l’impasse, car parfois ils ont du mal à se défaire des événements. Mais dans le cas de Vagues, l’équipe du film a réussi à susciter l’admiration de tous, vu leur professionnalisme. Le film est parfaitement bien construit, ses différents éléments sont en harmonie, à un tel point qu’il est impossible de semer la discorde.

Regarder ce film ressemble, en fait, à un voyage dans la ville de Suez ou à une plongée dans les vagues. C’est-à-dire rencontrer les habitants, contempler la nature, taquiner les corbeaux, s’asseoir sur les plages. C’est une nouvelle manière d’aborder la ville de la résistance et de présenter un document historique valable sur les 30 dernières années. Et ce, sans trop d’optimisme ni de suppositions.

Il s’agit aussi d’un récit d’espoir porté par une ville vaillante, construite par des habitants venus de tous les autres gouvernorats d’Egypte. Ceux-ci insistent à poursuivre le rêve de la révolution malgré les trébuchements consécutifs. Le film signale par ailleurs la naissance d’une nouvelle génération de cinéastes à qui rien ne manque pour relancer une industrie en péril et lui rendre son aura d’antan.

Une étoile montante

Né en 1983, le réalisateur Ahmad Nour a fait ses débuts en tant que photographe-amateur. Et ce, après avoir effectué des études en communication et suivi des cours libres en réalisation.

Plus tard, il a travaillé en tant qu’assistant-réalisateur dans plusieurs films commerciaux. Il est aussi l’une des figures de proue du mouvement du cinéma dit indépendant, cherchant à briser les carcans.

Moug (vagues) est son premier documentaire, après avoir tourné quelques courts métrages dès l’âge de 18 ans. Nour est un touche-à-tout du domaine cinématographique. Il a même lancé sa propre boîte de production, laquelle a donné naissance à ce film, avec d’autres coproducteurs.

Le film a fait le tour de plusieurs festivals internationaux, dont celui de Dubaï et le Festival international du film d’animation d’Annecy. Il vient de décrocher le prix du meilleur documentaire, à la dernière édition du Festival international d’Ismaïliya.

L’accueil favorable dont il a fait preuve a encouragé Nour à se lancer dans une tournée internationale, afin de projeter son documentaire dans plusieurs pays européens.

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