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Les contes d’un jour illuminent Qéna

Mohamad Gamea, Mardi, 08 avril 2014

L'art millénaire du conte a désormais son festival. C'est à Qéna, en Haute-Egypte, que la fondation Doum a organisé la première édition au rythme des nuits paisibles de la ville.

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Les canards noirs.

« La tenue d’un festival sur les contes a toujours fait partie des préoccupations de la fondation Doum. Non pas seulement en raison de l’ancienneté et de l’authenticité de cet art et de son rôle quant à la préservation de la tradition orale, mais aussi en raison de l’évolution qu’il a connue durant les 5 dernières années ». C’est par ces mots que l’écrivain Khaled Al-Khamissi, fondateur de la fondation Doum, a donné le coup d’envoi au festival des contes à Qéna (Haute-Egypte) du 27 au 29 mars dernier.

Le choix de Qéna a pour objectif de briser le monopole cairote en matière de culture, mais aussi de valoriser le parcours de cette ville de la Haute-Egypte sur l’art des contes. Le festival rend hommage à ses maîtres conteurs, de tout temps victimes d’injustice et de marginalisation.

25 spectacles ont animé les nuits paisibles de Qéna, avec l’aide de l’Organisme des palais de la culture, de Liberation Lounge et de l’Association des jésuites du Caire. Le public avait droit à des performances non-stop de 11h jusqu’à 2h, le lendemain. L’écrivain Racha Abdel-Moneim s’enchante : « Nous avons tenu à ce que tout le monde participe et que toutes les régions de l’Egypte y soient représentées, sans être placées dans le cadre d’un concours ».

Les spectacles ont varié entre le conte populaire et le conte contemporain: des conteurs classiques se sont produits en solo, en même temps que des spectacles collectifs interprétés par des troupes plus jeunes. Certains restaient fidèles aux arts populaires, d’autres recouraient à plus de technologies, outre les spectacles interactifs qui se sont déroulés dans les jardins publics, les cafés et les rues.

Asma Awad est venue du Caire présenter « La Fleur » et « Malek al-molouk » (le roi des rois). Taher Abdel-Ghani est venu de Siwa pour narrer « La Sage femme Simone », un conte amazigh traduit en arabe. Sans oublier Les Contes de grand-mère, par Abou Noaman, originaire de la ville voisine d’Abou-Qorqas, et ceux du Nil, chantés par la troupe Teletwar de Maghagha, toujours dans le sud du pays.

La vivacité et l’éloquence de ces contes ont marqué les esprits, qu’il s’agisse de narration féminine par le groupe amateur Canards noirs ou par celui, plus populaire, de la troupe Béni-Mazar. Le metteur en scène Hamdi Tolba, responsable de cette dernière, fait la synthèse entre héritage culturel et nouvelles expériences sociales: de quoi attirer l’attention des étudiants de l’Université de Ganoub Al-Wadi (au sud de la vallée).

Un bémol: l’expérience peu réussie de la troupe Kol Zaman (tout temps) de Qéna ou les chants folkloriques qui ponctuaient leur spectacle étaient complètement isolés du contexte et les protagonistes étaient attachés à des formes rigides et vétustes.

Un art au féminin

Les contes 2
Sayed Al-Dawi, un maître incontesté du genre.

Les contes ont de tout temps été une spécificité féminine, l’exemple de Shéhérazade en témoigne, mais aussi la performance des membres de Canards noirs. Reem Hatem a mis en scène un texte écrit collectivement par les membres de la troupe, toutes des femmes aux occupations très diverses. Elles narrent leurs histoires contemporaines et remuent les plaies de la marginalisation et du harcèlement.

Le ton frise la douleur, non sans ironie et leurs gestes ressemblaient à ceux d’un poisson jeté dans de l’eau bouillante... Elles voulaient à tout prix fuir l’emprisonnement, se libérer par leurs propres contes qui auraient pu choquer les spectateurs du sud. Mais les échos furent très favorables, notamment auprès des jeunes venus, en djellaba, féliciter les protagonistes.

Les miens ne lisent pas

conteurs
Irény Raouf.

Ce premier festival des contes s’est déroulé dans le gouvernorat natal de l’écrivain et conteur de génie, Yéhia Al-Taher Abdallah (1938-1981). Celui-ci répétait souvent les contes qu’il connaissait par coeur et disait: « Si je raconte éloquemment, j’attirerai sans doute l’attention de mon audience. Je dois dire et non pas écrire, parce que les miens ne lisent pas ».

D’où l’importance de ce festival, précisément dans cette région. Il représente une occasion rare, permettant au public d’interagir et de remémorer son héritage, comme le souligne le critique théâtral Magdi Al-Hamzawi. Ce dernier a cependant critiqué l’absence de vieux conteurs érudits, à travers cette manifestation. Pour lui, « les ateliers étaient trop intenses, on avait du mal à suivre ceux qui nous intéressaient. Certains étaient complètement hors-sujet, comme l’atelier sur la photographie qui n’avait rien à voir avec l’art du conte ».

Le metteur en scène, Magdi Tolba, estime, lui, que l’essentiel est de mettre l’accent sur l’importance d’un débat, suscité par ce festival, dans le but de sensibiliser le public et de mettre en évidence les concepts qui prêtent à équivoque.

Les filles comme des épis de maïs

Nuit après nuit
Jour après jour

Une nuit passe et puis le jour arrive

Entretemps, un enfant naît et un vieux s’éteint

J’étais une gamine avec une tresse de cheveux … Les gens étaient nombreux, les uns après les autres … comme les épis de maïs, des petits, des plus gros, ils s’entassaient les uns sur les autres.

La fille vit dissimulée parmi ces épis de maïs. Et lorsqu’elle ose se montrer, elle reçoit rapidement un coup sur la tête. Comme pour lui dire : tu ne dois jamais faire fi, jamais tu ne verras le jour.

(Chant)

Les gens sont tels des histoires et des compagnons de veillée … la nuit, ils s’amusent entre eux … Las, ils se racontent des choses qui en disent long sur leur journée … ils chantent des mawals et se plaisent à raconter …

Une comptine et puis une deuxième et une troisième … Ainsi, toute la soirée … Les historiettes se succèdent comme le jour et la nuit l

Conte de la troupe Hakawina.

Conteurs d’aujourd’hui ...

— Hamdi Tolba, metteur en scène de la troupe Béni-Mazar, collecte depuis des années l’héritage oral des villages de Béni-Mazar et de Minya. Ses enregistrements racontent l’histoire populaire de Hassan et Naïma, une histoire qui s’est réellement déroulée à Béni-Mazar. Il a participé au festival de Qéna avec « Histoires du Nil », un projet visant à faire revivre les contes populaires de Haute-Egypte.

— Alaa Abou-Noaman narre en solo Les Contes des grands-mères. Comédien de la troupe d’Abou-Qorqas, il déclare qu’il ne sait raconter une histoire sans toucher à tous ses détails. « Le conte me libère. Je me débarrasse des sentiments négatifs en racontant », dit-il.

— Arfa Abdel-Rassoul.

Comédienne et conteuse égyptienne, elle est née à Hadara, un quartier populaire d’Alexandrie. C’est là qu’elle puise ses contes pour les réciter un peu partout dans le monde arabe depuis plus de 13 ans dans un style spontané et sarcastique. Elle a participé au festival avec « Les Contes de la fille de l’épicier », et celui de la mère du martyr, en coopération avec la troupe Al-Warcha.

— Irény Raouf, 13 ans, membre de la troupe Béni-Mazar, était la narratrice du spectacle Hakawina (nos histoires). Elle joue depuis l’âge de 7 ans et jouit d’une importante popularité.

— Mohamad Ali, comédien et conteur de la troupe Mokhtabar Al-Messaharati (le labo du troubadour), a fait ses débuts en tant que compositeur, ayant signé la musique de plus de 50 spectacles. Il possède une voix caractéristique, chagrinée, qui rappelle celle de Mohamad Hamam.

— Omrane Motaam est un conteur originaire de l’oasis de Siwa. Outre son amour pour la tradition orale amazigh, il travaille comme guide safari dans le désert. Il se dit souvent choqué quand on l’accuse d’avoir des tendances séparatistes, uniquement parce qu’il est fier de son patrimoine oral et qu’il essaye de le vivifier.

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