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Ode à la femme et à la liberté

Yasser Moheb, Lundi, 24 mars 2014

Avec Fatat al-masnaa (l’ouvrière de l’usine), le tandem Mohamad Khan et Wessam Soliman signe le troisième volet de leur trilogie sur le monde féminin. Une splendide aventure dans la classe moyenne de l’Egypte post-révolution.

Ode à la femme et à la liberté
Elle maintient son rêve, malgré tout ...

Enfin un vrai film, après une longue saison cinémato­graphique artistiquement stérile. Que la chose soit claire : Mohamad Khan reste l’un des cinéastes les plus éminents de son temps. Le réalisateur fait son come-back après plus de sept ans d’absence, depuis sa dernière fiction, Chaqqet Misr Al-Gadida (l’appartement d’Hé­liopolis).

Il présente aujourd’hui Fatat al-masnaa (l’ouvrière de l’usine), une ode aux femmes ordinaires qui luttent pour réaliser leurs rêves souvent simples.

C’est l’histoire d’une ouvrière de 21 ans, Hayam — campée par la jeune Yasmine Raïs — qui travaille avec sa soeur et les voisines dans une usine de textile. Elle s’éprend du nou­veau superviseur, Salah, joué par Hani Adel et lui fait des avances, en attendant d’être acceptée par sa famille, plus aisée que la sienne.

Les traces d’un test de grossesse, dans l’une des poubelles de l’usine, font multiplier les rumeurs à son égard. Pour fuir les commérages, Salah demande de changer de dépar­tement, pour s’éloigner d’elle.

Une trame assez simple, mais tou­chante, qui reste cependant d’actuali­té : refoulement des rêves des jeunes filles et contraintes d’une société masculine.

Le film est un drame social, romantique et psychologique. Il fait écho aux préoccupations habituelles du cinéaste, où le récit est presque entièrement consacré au quotidien et au for intérieur de son héroïne, vic­time de son entourage. Cependant, cette dernière ne renonce guère à sa joie, à sa quiétude et à son indépen­dance.

Tout paraît convaincant dans le scénario, mais un peu trop bien emballé. Les personnages sont bien dessinés, voire sculptés dramatique­ment, tout en ayant chacun le temps ou l’occasion de se révéler, par une scène, une réplique, un geste ou par­fois même par un simple regard.

Petit bémol : l’invraisemblable réaction de la jeune et pauvre prota­goniste, lorsqu’elle reste calme et immobile face aux accusations injustes de son entourage.

Typiquement Khan

Dès les toutes premières scènes, on se sent face à un film dirigé par un maître incontesté : Mohamad Khan. L’oeuvre paraît comme l’une des plus simples et des plus rectilignes de ce chef de file de la nouvelle vague du cinéma réaliste en Egypte. Elle reste quand même fidèle au style et à la vision pro-femmes du réalisateur, qui ne cache pas sa prise de position dans sa filmographie, comptant quelque 23 oeuvres.

L’émotion est toute en retenue : des couleurs sobres, très peu de mouve­ments agités et torrides de caméra, avec des clairs-obscurs bien mesurés.

Les ramifications dualistes qui alourdissent souvent les films de Khan sont ici moins désagréables, ou peut-être plus probantes, comme le film raconte certains faits vrais, où la réalité peut dépasser la fiction.

Dès le départ, nous savons où nous allons ; les ruptures de ton sont rares.

Sans perdre la boussole, le film est d’ailleurs imprégné d’actualité socio­politique. Dans l’une des scènes — à titre d’exemple — une manifestation passe devant le restaurant où les deux protagonistes se confrontent. On entend les manifestants répéter des phrases défendant le rôle de la femme dans la société. Et l’un des graffitis que montre la caméra retrace les traits de la comédienne Soad Hosni, à qui le réalisateur dédie son film.

D’ailleurs, la rengaine de l’une de ses chansons « La fille est l’égale du garçon », reste omniprésente tout au long du film. Khan se sert également d’extraits de ses chansons pour exprimer l’état d’âme de sa protago­niste.

Chapeau aux interprètes

L’interprétation des comédiens demeure l’un des points forts de ce long métrage. On retrouve une galerie de portraits très représentatifs de la femme égyptienne issue de la classe moyenne. Les hommes, eux, sont tous plus vilains les uns que les autres.

Yasmine Raïs, dans le rôle principal de Hayam l’ouvrière, fait preuve d’un véritable talent. Elle nous fait parta­ger la fougue de sa jeunesse, ses frustrations, ses peines et surtout son espoir sur une musique élégante signée Georges Kazazian.

Mohamad Khan s’impose une fois de plus comme un maître du genre, possédant un ton unique pour les drames humains. Absolument à ne pas rater.

Duo de choc

La scénariste Wessam Soliman a signé avec Mohamad Khan ses derniers films, à savoir Banat west al-balad (les filles du centre-ville), Chaqqet Misr Al-Gadida (l’appartement d’Héliopolis) et son tout dernier succès, Fatat al-masnaa (l’ouvrière de l’usine).

L’auteur, qui est aussi l’épouse du réalisateur, touche de près aux thèmes très féminins, toujours avec une grande sensibilité. Déguisée en ouvrière pendant dix jours, elle s’est infiltrée au sein d’une usine pour s’imprégner du jargon utilisé et de l’ambiance du travail avant d’écrire son scénario, sélectionné en 2012 pour une aide partielle du ministère égyptien de la Culture.

Le film a également été soutenu par des fondations cinématographiques de Dubaï, Abu-Dhabi, des Etats-Unis et d’Allemagne. Le scénario a vite vu le jour, notamment grâce aux efforts déployés par le jeune monteur Mohamad Samir, lequel vient de se lancer pour la première fois dans le monde de la production.

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