On est toujours dans le flou artistique.
« L’art ne doit pas forcément chercher à reproduire la réalité, d’un point de vue visuel. Le flou a aussi une dimension qui touche à la réalité ». Telle est l’opinion du photographe Paul Ayoub Geday, qui expose à la galerie Machrabiya, sous le titre de Sur la route. Passionné de découvertes, de rencontres et de voyages, il aime partager sa vision du monde ... mais loin de se proclamer comme le détenteur de l’image vraie, Geday opte pour le flou.
Il prend en photo des sites et des paysages urbains, sur les routes égyptiennes, agricoles ou désertiques, lors de ses multiples déplacements en voiture. Il se rend du Caire à Dahchour (site près des pyramides de Saqqara), sillonne les villes du Canal de Suez, passe par le Fayoum, Alexandrie, la mer Rouge, Assouan, etc. L’artiste imprègne ses photos d’un air de mysticisme, d’abstraction et de poétisme. Et ce, sous l’effet d’un flou recentré sur le coeur énigmatique de toute réalité. « A travers ma passion pour l’art abstrait, mes photos à la technique floue donnent cet effet surprenant, ressemblant à des peintures de paysages abstraits. Je cherche à provoquer l’imagination, à plonger le récepteur dans un univers aquatique. Il s’agit de photos qui nous poussent à reconstruire l’histoire de ce qui se passe derrière le filtre aqueux », déclare Geday. Et d’ajouter : « Au lieu de nous éloigner de la photo, le flou constitue une manière de nous plonger là-dedans et de nous impliquer encore plus. Je veux déformer le réel, pour en ressortir l’essentiel, l’émotion du moment ». Et comme le silence est parfois beaucoup plus éloquent que les paroles anodines, Geday éternise un moment donné. Un moment qu’il juge important.
Le mouvement devient alors assez brouillardeux, sous l’effet d’un flou « cinétique », produisant une impression de vitesse. D’où le sentiment d’un vent qui passe, de la brise d’une mer ensoleillée, le gris qui précède la tempête. Bref, quelque chose de « métaphysique ». « Mon exposition à Machrabiya est une approche personnelle ... mes mémoires de la ville. D’ailleurs, mon itinéraire de photographe voyageur se définit essentiellement par deux séries de photos : la CityScape, qu’est la ville, et le Landscape, qu’est la non-ville. Deux visions complémentaires. Au début, la ville était complètement effacée dans mes photographies. Petit à petit, dans ma série CityScape, j’ai réussi à accepter la ville, celle qui surgit de loin, sans aucun détail, ni intervention humaine. Je laisse mes photos poser des questions existentialistes et sensorielles. Le flou est un paramètre de la réalité dans le sens où nos vies mêmes sont floues. Le présent est fugace, le passé se dissipe et le futur est incertain », déclare Geday.
Autant d’interrogations métaphysiques affluent devant les photos de Geday qui ôte à la figure humaine sa place. « Je n’aime pas photographier des êtres humains en cliché. Comme je n’aime pas la photo volée dans la rue, à démarche artificielle, qui donne cette sensation de folklorique, celle prise selon un oeil exotique. Il faut être honnête, même en photographiant la rue. Je l’aime vide et inanimée. Dans les rues ou sur la route, je m’intéresse à photographier des immeubles, des affiches publicitaires, la ville au loin, un cheminement quelconque, des panneaux, une statue, des ordures, une école au milieu du Sahara, une maison abandonnée, etc. Des scènes floues qui suscitent l’interrogation et présentent une documentation, qui dressent un état des lieux », ajoute Paul Geday, à l’oeil vagabond. Il confirme qu’une photo floue n’est pas forcément ratée, et toute photo nette n’est pas nécessairement artistique.
Jusqu’au 13 février, de 10h à 21h (sauf le vendredi),
8, rue Champollion, centre-ville. Tél. : 2578 4494
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