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Rire d’une cause perdue

May Sélim, Mardi, 09 octobre 2012

A travers sa version hilarante de l’œuvre de Saadallah Wannous, Hanzala de l’inconscience à la conscience, le metteur en scène Islam Imam dénonce la société de l’après-révolution en proposant plusieurs techniques comiques.

Théâtre
Hanzala, un type frustré depuis toujours. (Photo: Al-Sayed Abdel-Qader)

Dans les locaux du théâtre Al-Talia, une affiche intéressante nous annonce une soirée inoubliable, grâce au chant, au spectacle et au rire. Un pacte implicite entre le théâtre et le public. On rassure celui-ci, lui promettant de vrais moments de divertissement, avec Hanzala, monté par le jeune metteur en scène Islam Imam.

Il s’agit d’une adaptation de l’œuvre du dramaturge syrien Saadallah Wannous, Hanzala, de la négligence à la vigilance, écrite en 1978. Pourtant, le texte est toujours d’actualité. En fait, Wannous retrace l’histoire d’un homme candide, paisible et tranquille qui subit toutes sortes de frustration. Vu sa bonté et sa passivité, il est suspecté par la police et emprisonné pendant 6 mois sans avoir commis de crime. Attaqué et transgressé, il a dû payer tout son argent aux policiers pour acheter sa liberté. Il perd sa femme, sa maison et son travail. Sa vie est bouleversée. Hanzala commence à s’interroger sur les raisons de son sort sinistre, cherche des réponses auprès du toubib, du derviche et d’autres personnages ... Entre-temps, il change de mentalité.

Dans sa version actuelle Islam Imam a respecté le déroulement dramatique de la pièce de Wannous. Les scènes présentées suivent la même structure que le texte original. L’histoire de Hanzala est racontée au public comme un jeu théâtral sur place. Les narrateurs sont deux types de comédiens qu’on retrouve dans les foires populaires d’autrefois. Le déguisement et le jeu masculin sont de mise, avec une femme narratrice qui provoque le rire et qui ajoute à la fantaisie et à l’absurdité de la pièce. Dès le départ, on est impliqué dans le jeu du théâtre dans le théâtre.

Le décor est marqué par la présence de séries de petites ampoules colorées qui évoquent un air de fête. L’arrière-fond est composé d’un tableau surréel qui associe des squelettes humaines aux silhouettes de chevaux, etc. La vie de Hanzala relève plutôt de l’absurde. Imam fait allusion à la société égyptienne longtemps soumise et à un large nombre de gens mis à l’ombre.

Afin de créer une ambiance à huis clos, Imam a attribué au texte un langage familier et dialectal. Le dialogue entre les personnages comporte des clichés oraux tirés de la langue courante et de l’argot de la rue égyptienne. De plus, il a eu recours à l’exagération et à la commedia dell’arte, comme ce fut le cas dans ses précédentes adaptations comiques L’Ombre de l’âne, de Friedrich Durrenmatt, et de La Caravelle et les méchants, de Dario Fo. Ainsi, dans Hanzala,le metteur en scène ajoute quelques personnages comiques, ou plutôt des bouffons tels l’ancienne grande star de la chanson qui porte des couleurs criardes, le ténor qui imite Pavarotti en portant une veste classique et un pantacourt à carreaux, ou le chanteur qui se croit porteur de l’héritage de l’ancienne Egypte, déguisé en pharaon. Les 3 personnages chantent avec humour, commentent les scènes et déclenchent le rire en imitant parfois les chanteurs lyriques, l’intonation de Abdel-Halim Hafez, ou encore la gestuelle de Mohamad Mounir. Dans leurs chansons interprétées sur scène, ils reprennent plusieurs refrains et airs connus, changent de paroles et poussent le sarcasme jusqu’au bout.

Le théâtre burlesque est donc de mise. L’exagération s’effectue aussi au niveau de l’interprétation et des personnages secondaires : le médecin qui a l’air d’être boucher, le derviche pieux qui ressemble plutôt à un clown, etc. Des personnages fortement ridiculisés.

De plus, les effets humoristiques lancés par les comédiens accentuent cette ambiance hilarante. On rit d’une situation paradoxale, d’une interprétation exagérée ou d’un jeu de mots.

Imam crée sa propre fin provocante. Hanzala ne trouve aucune réponse à ses questions. Il prend conscience et fait sa révolution renonçant à son sort sinistre, à la frustration et à l’injustice dont il a été victime. Il est l’incarnation du type courageux, le salvateur longtemps attendu. Après les mots d’éloge lancés par les responsables et les gouverneurs, rien ne se passe. Tout le monde conseille à Hanzala de se calmer et d’attendre. Ses rêves sont donc perdus et sa révolution est ratée. « Oublie Amr »,une expression clichée qui veut dire laisse tomber, est repris en chœur, en guise de chanson finale. Dans Hanzala, le rire n’est jamais gratuit.

Tous les soirs à 20h (relâche le mardi) au théâtre Al-Talia, place Ataba. Tél. : 25937948

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