Jeudi, 28 mars 2024
Al-Ahram Hebdo > Arts >

Mohamed Bakir : La série est conçue comme un jeu de puzzle, et c’est au spectateur de le compléter

Rania Hassanein , Dimanche, 15 janvier 2023

La série Al-Ghorfa 207 (la chambre 207) a été récemment diffusée avec succès sur la plateforme arabe Sahid vip. Il s’agit d’une adaptation du best-seller d’Ahmad Khaled Tawfiq. Entretien avec le réalisateur de la série, Mohamed Bakir.

Mohamed Bakir

 Al-Ahram Hebdo : La série Al-Ghorfa 207 est inspirée d’un roman de l’écrivain Ahmad Khaled Tawfiq (1962- 2018), intitulé Le Secret de la chambre 207, publié en 2008. Elle se déroule dans les années 1960, dans un hôtel où les divers clients de la chambre 207 s’exposent à des accidents et des incidents tragiques. Le propriétaire de l’hôtel insiste quand même à ce qu’elle soit habitée. Pour vous, s’agit-il d’une chambre maudite ou recèle-t-elle une énigme ?

Mohamed Bakir : On est dans l’entre-deux. Vers la fin, on découvre la relation inattendue entre les deux principaux personnages, Chérine et Gamal, le réceptionniste de l’hôtel qui tente de déchiffrer son secret. Chérine n’est que le spectre d’une femme qui a autrefois trouvé la mort à ce même endroit. Elle est donc retournée sur le lieu du crime. On y parle du destin de tout un chacun. C’est le lieu, ici la chambre de l’hôtel, qui choisit ses victimes.

— « Dans cette chambre, la barrière s’estompe entre la vérité et l’illusion, entre les peurs légitimes et les cauchemars, entre le passé et le futur, entre soi-même et les autres ». C’est ainsi que l’écrivain Ahmad Khaled Tawfiq a décrit la chambre 207, dans la préface de son oeuvre. Comment le scénario et la mise en scène ont-ils incarné cette ambiance, tout au long des dix épisodes de la série ?

— Le scénariste Tamer Ibrahim a été assez proche de l’écrivain de son vivant. Du coup, il est le mieux apte à donner corps à ses idées. La comédienne Riham Abdel-Ghafour a excellé dans le rôle du personnage principal féminin, Chérine. Il en est de même pour Mohamad Farag, qui a incarné le personnage de Gamal, changeant constamment d’état d’esprit, se livrant parfois à la confusion et à l’hallucination.

En tant que réalisateur, la caméra est mon principal outil, me permettant de transmettre des sentiments différents. Avec le directeur de photographie et le monteur, j’ai opté pour des plans-séquences se déroulant successivement sur plusieurs lieux liés les uns aux autres, et des scènes de courte durée présentant les comédiens, leurs allures, leurs costumes, leurs parcours, etc.

— Certains spectateurs ont classé cette série comme un drame à suspens. Acceptez-vous cette étiquette ?

— Non, c’est plutôt un psychodrame. Je ne cherche pas à mettre le spectateur sous tension, mais à l’inciter à réfléchir et à vouloir déchiffrer les énigmes du feuilleton. Celui-ci est conçu comme un jeu de puzzle, et c’est au spectateur de le compléter.

— Comment s’est déroulé le tournage ?

— Le tournage de la série a duré soixante-six jours, avec une pause de quelques jours au milieu. On a filmé pendant l’hiver, au bord de la mer, dans la ville de Marsa Matrouh (au nord de l’Egypte). On devait recréer l’ambiance estivale, alors qu’il faisait très froid. Le reste du tournage a été fait sur les plateaux de la Cité des médias au 6 Octobre. L’hôtel Luna, qui a suscité l’admiration des spectateurs, est un décor qu’on a bâti spécialement pour la série.

— Pour quelle raison avezvous décidé de diffuser un seul épisode par semaine ? Et quand est-ce que vous allez diffuser la deuxième partie de la série ?

— Ce n’était pas ma décision, mais plutôt celle des responsables de la production. Ils suivent l’exemple de séries similaires, diffusées à l’étranger. Ce rythme permet aux spectateurs de revoir le même épisode plusieurs fois, en attendant la diffusion du prochain. De quoi créer un état d’anticipation et de suspens. La projection de la deuxième saison, qui compte également dix épisodes, est prévue dans un an à peu près.

— Dans chaque épisode, vous vous focalisez sur une peinture accrochée au mur de la chambre, celle-ci change en fonction des incidents. Pourquoi ?

— Les peintures reflètent la méfiance des héros. Nous avons décidé avec le scénariste de mettre en avant une peinture pour cadrer l’état psychique du protagoniste. On ne s’attendait pas à ce que les spectateurs s’y attachent autant. Il en est de même de l’usage de vieilles chansons arabes aidant les spectateurs à déchiffrer les messages implicites de la chambre. Le mixage donne parfois le sentiment que c’est la chambre qui chante ou que le son provient de ses murs.

— Vous avez choisi d’introduire des scènes historiques qui ne figurent pas dans l’oeuvre originale. Quelle en est la raison ?

— L’histoire de l’hôtel Luna remonte à 1919, après la Première Guerre mondiale. Il a été édifié par le commandant italien Alfredo Lorenzo, après son évasion d’un camp italien en Libye. Car il a été choqué par la torture qui y était pratiquée par son chef contre les citoyens libyens. Il a refusé d’y prendre part et est venu s’installer au Caire. Il a construit cet hôtel et lui a donné le nom d’une fille libyenne assassinée par son chef, Qamar, c’est-à-dire Luna en italien. Je n’ai pas eu recours au flashback pour raconter l’histoire, mais à d’autres techniques. Dans l’un des épisodes, j’ai transformé le plafond de la chambre en un projecteur, à travers lequel on a pu transporter Gamal dans le camp en Libye. Dans un autre, à la suite d’un bombardement imaginaire, on a suivi le héros sur le champ de bataille, restituant ce qu’il a vécu avant d’arriver au Caire. J’ai également introduit la danse de Salomé et sa relation avec le roi Hérode, une autre scène regroupe Cléopâtre et Antonio, etc. Toutes expriment le pouvoir de séduction que peut exercer une femme sur l’homme incarné par Gamal, le réceptionniste.


L’énigme de La chambre 207.

— Préférez-vous les plateformes aux chaînes satellites ?

— Les plateformes règnent à présent partout dans le monde, mais leur présence a tardé sur le marché égyptien. Le fait que le spectateur contrôle et choisisse ce qu’il désire voir, suivant son temps et sans pages publicitaires, a attiré un large public.

— Avez-vous des projets en préparation ?

— Je travaille actuellement sur une série intitulée Dofea London (la promotion de Londres), toujours avec le groupe MBC. Cette nouvelle oeuvre traite de l’histoire de plusieurs étudiants moyen-orientaux, iraqiens, saoudiens, koweïtiens, iraniens et égyptiens effectuant leurs études en Angleterre. Cela dit, on parle de l’expatriation et de son effet sur les jeunes. Travailler avec des gens de diverses nationalités arabes qui ont des dialectes différents est sans doute très enrichissant.

Bio Express

Né au Caire en 1966, Mohamed Bakir a effectué ses études à l’Institut du cinéma, section décor, et a obtenu son diplôme en 1989. Il a commencé sa carrière en tant que graphiste, a travaillé dans des publicités et des vidéoclips de chansons. Sa première série télévisée, en tant que metteur en scène, date de 2011. Il s’agit d’Al-Mowaten X (le citoyen X), suivie de Taraf Talet (une troisième partie) en 2012. Il a ensuite tourné Assia en 2013 et Al-Sayeda Al-Oula (la première dame) en 2014. Ses succès se sont poursuivis avec les drames télévisés Hawari Bokharest (les ruelles de Bucarest) en 2015 et Leila en 2016. Il a deux films à son actif, à savoir Ala Gosseti (sur mon cadavre) en 2013 et Arousti (mon épouse) en 2021.

Mots clés:
Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique