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De l’Euphrate au pays du Nil

Névine Lameï, Mercredi, 28 septembre 2022

Les Iraqiens Nabeel Ali et Taha Abdulaal, et l’Egyptienne Deena Fadel exposent à la galerie Cleg sur le thème des fleuves anciens de leurs pays.

De l’Euphrate au pays du Nil
Le Nil pour Deena Fadel est le centre énergétique du pays. (Photo : Mohamad Maher)

Fleuves anciens, le titre de l’actuelle exposition à la galerie Cleg, fait référence au Nil, au Tigre et à l’Euphrate, qui ont sensiblement influencé les modes de vie et les civilisations de l’Egypte et de l’Iraq. Les artistes iraqiens Nabeel Ali et Taha Abdulaal, ainsi que l’Egyptienne Deena Fadel abordent, chacun à sa façon, la symbolique de ces fleuves, laissant un vaste champ aux interprétations des visiteurs. Ils font allusion, à travers leurs toiles grands formats, à divers aspects de la vie dans leurs pays, faisant des va-et-vient entre passé et présent. Un voyage amusant dans le monde des légendes propres à leur culture.

Les deux plasticiens iraqiens tentent de présenter celle-ci sur un ton plus lumineux et jovial par rapport à l’image que l’on divulgue souvent. Ils sont plus optimistes que soucieux par rapport au déjà-vu affecté par la guerre et les troubles politiques. Ils s’inspirent de la nature du pays, qui change au gré des saisons. « On en a assez de vivre dans l’inquiétude, la tristesse et la souffrance. Il est temps d’aspirer à la joie de vivre, en espérant le meilleur », déclare Nabeel Ali, professeur d’art à l’Université Al-Mustansiriya à Bagdad. Et d’ajouter : « Mes souvenirs d’enfance auprès du Tigre à Bagdad m’accompagnent là où je vais. Je me rappelle les dessins représentant de petites barques que faisait ma mère, ainsi que les bateaux en papier que créait mon père pour qu’on joue avec, au bord du fleuve. Ces bateaux en papier me transportaient ailleurs, vers des terres de rêve et d’aventure », évoque Ali.


Nabeel Ali ressuscite un Iraq loin des guerres. (Photo : Mohamad Maher)

Selon lui, le calme est un attribut de force. On le voit bien dans ses peintures colorées, où tout semble suivre un mouvement dynamique très fluide. Elles sont saturées de motifs et de symboles, propres à l’Iraq de ses ancêtres. « En arabe, le mot Iraq signifie rivage ou rive. Je suis un passionné des anciennes civilisations, égyptienne et iraqienne, celle-ci est d’ailleurs fortement imprégnée de la mosaïque culturelle : sumérienne, assyrienne, ninivites, babylonienne, akkadienne … », souligne Nabeel Ali. Et d’ajouter : « J’essaie de protester contre certains événements qui empêchent l’individu iraqien de mener une vie décente, tout en insistant sur l’espoir d’un avenir meilleur », affirme-t-il.

Ainsi peint-il des rois qui partent en guerre comme ils vont à la pêche, des reines telles Ishtar dans des situations romantiques différentes, des pégases, des chevaux en bois, des lions centaures, des divinités protectrices, des nymphes au milieu des eaux de marais … Il peint aussi surtout des bateaux en papier qui nous emmènent dans un monde fascinant et juvénile. Les divers protagonistes de Nabeel Ali donnent l’impression de baigner dans un bleu turquoise, souvent d’usage en Mésopotamie. Ils flottent à la surface de l’eau ; c’est le sens de la survie.


Taha Abdulaal. (Photo : Mohamad Maher)

Pour sa part, son concitoyen Taha Abdulaal reprend autrement cette symbolique de l’eau. Il ne reste pas cependant très directement collé à la thématique des fleuves anciens, s’inspirant plutôt de leur calme. D’où ces instants de sérénité qu’il capte habilement et représente à l’aide d’une palette riche en couleurs gaies. « C’est rare de trouver au Moyen-Orient des couleurs aussi gaies. Je pense que ce n’est pas évident d’y recourir », indique Taha Abdulaal.

Il peint des femmes belles, aux yeux grands ouverts, toutes de face, dans un état méditatif. Seules, à deux ou à trois, elles n’arrivent pas à cacher leur air affligé. « Je travaille sur le côté symbolique de l’immobilité des fleuves ; elle est, comme ces femmes sur les tableaux, dans l’attente de quelque chose, silencieusement. Et avec ceci, des instruments de musique, des poissons, des oiseaux, des papillons, un croissant, un cheval et des calligraphies arabes. C’est la vie fluviale telle que je la perçois », dit Abdulaal. Et d’ajouter : « Les civilisations sumérienne et égyptienne sont les deux premières de l’humanité. La civilisation sumérienne est née entre deux fleuves : l’Euphrate et le Tigre, situés dans une zone appelée le Croissant fertile, car la fertilité de ses terres était sans précédent ».

Contemplation féminine

En multipliant toujours les métaphores autour des fleuves anciens, l’artiste anglo-égyptienne Deena Fadel se distingue par une douceur féminine assez spéciale. Ses toiles sont marquées par des couleurs mixtes blanc/beige et ocre, des lignes qui se chevauchent, des formes abstraites ... Elle n’essaye guère d’imiter la réalité, mais elle la transforme entièrement, en y déployant beaucoup d’imagination. La terre semble respirer, les vagues jaillissent comme de la vapeur dense, les feuillages dorés font référence au plexus solaire, l’un des sept chakras du corps qui constitue un véritable cerveau émotionnel. Ce centre énergétique permet aux flux d’énergie de circuler dans tout le corps. L’Egypte étant un don du Nil, celui-ci nous unit, à l’instar de ce chakra, pour faire rayonner tout le pays.

« Le voyage que nous menons tous les trois, dans cette exposition, charrie des mythes, des récits et des légendes propres à nos pays et en lien avec le fleuve, ce moteur qui explique la formation du Monde. C’est de l’eau du fleuve que sont nées mes figures humaines un peu fantomatiques et abstraites. Elles paraissent et disparaissent comme des spectres », conclut Deena Fadel.

Jusqu’au 7 octobre, à la galerie Cleg, au Cheikh Zayed. Villa 118, Diplomatic district, de 10h à 18h.

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