
Une infirmière sur un bateau au lac Victoria, en Ouganda, où se trouvait sa clinique inondée, par Watsemba Miriam.
Au même titre que la montagne ou la mer, le fleuve est cet élément de la nature auquel les hommes de tous temps se sont confrontés et ont cherché à se prémunir tout en essayant d’en tirer les moyens de vivre. D’ailleurs, quand il s’agit du Nil, le plus long fleuve du monde après l’Amazone, les riverains deviennent ces personnages dont la vie ne manque pas de contraintes et d’aisances, bref, de bien et de mal. Autant de détails qui ne se lisent pas dans un ouvrage, mais qui prennent plutôt tout leur sens par le biais des photos exposées à l’Institut Goethe sous le titre « Everyday Nile » (le journal du Nil).
A travers une soixantaine de photos, neuf photographes cherchent à aller outre les images stéréotypées au profit d’images véridiques des rapports entre les hommes et le Nil, tout en abordant la question des fonctions sociales et culturelles passées ou présentes que remplit le Nil dans les pays d’amont ou d’aval. Ceci à travers la description des pratiques ou des activités initiées ou engendrées par le Nil. C’est vrai que le Nil est cet espace économique lié à des figures telles que le pêcheur et l’agriculteur, mais il faut souligner qu’autour de ces personnages phares du fleuve, gravite une multitude de travailleurs et de vies.
Asmaa Gamal relate, merveilleusement, à travers ses photos et ses mots comment le Nil est à l’origine de tout dans son village natal de la Haute- Egypte, qu’elle nomme la « Terre des sucres ». « Jadis, les maisons étaient démunies d’eau. Chaque matin, les filles allaient au bord du Nil pour chercher de l’eau. Elles avaient l’habitude d’orner leurs coiffures de coquillages qui, en marchant, faisaient du bruit et attiraient l’attention des jeunes gens. C’est ainsi que ces derniers choisissaient leurs futures conjointes. Mes grands-parents se sont mariés de la sorte », racontet- elle. Sur l’un des murs de la salle d’exposition, Asmaa a imprimé une énorme photo de l’un des murs de sa maison où se sont mises en parallèle deux couleurs : le bleu, qui fait allusion au Nil, et le marron qui fait allusion au limon apporté au sol grâce à ce fleuve. Sur cette photo imprimée, elle a accroché un ensemble de photos de petites dimensions retraçant des scènes de sa vie, comme la photo de mariage de ses parents, celle des femmes portant de l’eau au coucher du soleil pour irriguer les plantes au sanctuaire du cheikh Ali Al-Jaafari, ou encore la photo de son cousin Nour, portant dans ses bras son enfant, dans ses terrains plantés de cannes à sucre.

Un tronc d’arbre creux, par Roger Anis.
Les deux facettes du fleuve
Si la vie est liée à ce fleuve, la mort l’est aussi. Inondations et débordements font de ce fleuve un être envahissant face auquel une remise en ordre social devient nécessaire : il faut nettoyer les lieux et subir les dégâts. « Voyezvous la beauté de l’eau ! ... C’est cette beauté qui a détruit nos maisons ». Une phrase dite par l’un des Soudanais rencontrés par Roger Anis lors de son séjour au Soudan après le déluge qui a frappé le pays en 2020. Ces deux facettes du Nil ont été soulignées par Roger avec beaucoup de sensibilité à travers des photos tirées des scènes de la vie : des pêcheurs sur leurs bateaux rentrant à leur village, des maisons détruites, de petites plantations émergeant des fissures d’une terre sèche, un grand tronc d’arbre qui devient creux sous l’effet du déluge, etc.
Le malheur des riverains est aussi capté par Guerchom Ndebo, qui relate la misère dans laquelle vivent les habitants de la ville de Goma à la République démocratique du Congo : « Cela ressemblait à ce qui était arrivé en 2002. Le mont Nyiragongo au nord de la province de Kivu était en éruption en 2021, des centaines de milliers de résidents se sont retrouvés sans eau potable, selon l’agence médicale internationale Médecins Sans Frontières (MSF) ». Il était normal que l’on voie les habitants faire des va-et-vient avec des jerricans à la recherche d’eau dans les lacs, les étangs ou les ruisseaux. « Malheureusement, ces sources d’eau ont été contaminées par le volcan. Cela a causé non seulement des maladies d’origine hydrique, mais aussi des infections respiratoires aiguës », souligne Nbedo.
Les eaux calmes sont idéales pour capturer des reflets nets. C’est aussi un excellent moyen de pimenter un paysage un peu trop simple. Et la surface immobile d’une flaque d’eau donne un reflet plus calme, un peu comme celui d’un miroir. En effet, la photo prise par Watsemba Miriam d’une dame à bord d’un bateau est à couper le souffle. L’histoire de cette dernière fait sombrer la beauté du paysage dans la mélancolie. « Agnes Naigaga, 53 ans, est debout sur ce bateau dans le même lieu où se trouvait sa clinique. Elle était la seule infirmière dans cet endroit pour 20 ans », raconte-t-elle.
La place du Nil dans la vie quotidienne de ces personnes peut se lire à travers son rôle. Cette voie d’eau est un vrai miroir qui reflète les nombreuses facettes d’une vie que partagent ses habitants. Le géographe J. Béthemont avait raison de dire dans son ouvrage La Société au miroir du fleuve : « Le fleuve porte la marque d’une société, il en est le miroir ».
Everyday Nile, jusqu’au 20 juillet, tous les jours de 10h à 22h, à l’Institut Goethe, 5 rue Al-Bostane, centre-ville.
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