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Le vent du boycott souffle au Caire

Yasser Moheb, Mardi, 27 août 2013

Les appels au boycott des productions américaines et turques se multiplient à cause des positions favorables aux Frères musulmans de Washington et d'Ankara. Le boycott ne fait cependant pas l’unanimité parmi les intellectuels égyptiens.

le vent
Le Harem du sultan, feuilleton turc.

« Boycotter ou pas, telle est la question » ! Face aux déclarations récentes du président américain Obama et du premier ministre turc, Tayyip Erdogan, soutenant les Frères Musulmans, plusieurs organismes culturels égyptiens ont fait appel au boycott des oeuvres artistiques en provenance de ces pays. Les responsables des syndicats égyptiens se sont prononcés contre « les positions internationales erronées et saumâtres, qui vont à l’encontre de la volonté du peuple égyptien ».

Les feuilletons et séries télévisées turcs se trouvent dans l’oeil du cyclone. Et les appels à boycotter les produits turcs de manière générale se multiplient. Mossaad Fouda, président du syndicat des Cinéastes égyptiens, réclame « le boycott des films américains en Egypte », affirmant que le syndicat refuse la participation de ses membres aux activités artistiques américaines.

« Nos cinéastes et nos institutions culturelles doivent montrer au monde entier qu’ils ne tolèrent plus l’intervention américaine dans les affaires internes », a déclaré Fouda. Le président du syndicat des Cinéastes est même allé jusqu’à appeler à interdire la projection des films Made in USA dans les salles égyptiennes.

« Outre le matériel militaire, les Etats-Unis exportent principalement de la culture, et surtout son industrie hollywoodienne. C’est donc là qu’il faut frapper », a-t-il ajouté.

Cet appel au boycott a vite trouvé beaucoup d’alliés, et beaucoup d’artistes ont annoncé leur intention de ne pas se produire aux Etats-Unis et de ne pas accepter de financement en provenance d’institutions liées à l’Administration américaine.

« Que voit-on dans leur cinéma ? Uniquement de la propagande parfois à peine dissimulée de la publicité gratuite », s’interroge le comédien Ahmad Adam. Et d’ajouter : « Les Etats-Unis ne sont pas neutres dans les conflits qui sévissent dans le monde, cela se ressent à travers leur cinéma ».

Néanmoins, cette fureur artistique anti-américaine ne fait pas l’unanimité. Alors que certains artistes et critiques n’ont cessé de louer la décision du boycott, d’autres l’ont jugé carrément « hypocrite ». « Il faut séparer l’art de la politique », conteste la critique et scénariste Magda Khaïrallah. « Les oeuvres d’art sont un outil de liberté, un contre-pouvoir prééminent, ainsi qu’un vecteur universel de communication et de résistance qui ne doit pas être mêlé à la politique souvent vicieuse », explique-t-elle.

D’autres personnes du métier trouvent qu’un refus de projeter les films américains dans les salles égyptiennes serait peu praticable. « La production cinématographique en Egypte est de plus en plus faible et conjecturale, avec une vingtaine de films — en moyenne — chaque année. Ne pas projeter les films américains serait un coup dur pour la saison cinématographique, surtout qu’il n’y a pas vraiment d’alternative à la production américaine, car la machine hollywoodienne domine l’Europe et le monde arabe », objecte Mohamad Al-Gharib, directeur du complexe de cinémas Wonderland.

Selon lui, comme pour d’autres membres du milieu cinématographique, l’engagement politique doit se manifester autrement. « Il serait plus judicieux d’expliquer au monde notre position, au lieu d’alourdir les pertes de la majorité des salles qui n’ont pas d’alternative aux films américains, surtout avec l’absence quasi totale du cinéma européen sur les listes des distributeurs de films étrangers en Egypte », ajoute-t-il.

Cependant, le syndicat adopte une position assez ferme et hausse le ton : « L’idée d’un boycott contre les USA n’est pas nouvelle. Il y a un boycott populaire des produits américains et turcs. Le pays de l’Oncle Sam se croit maître du monde et a tendance à donner des leçons ... Qu’ils commencent alors par appliquer eux-mêmes ce qu’ils prônent aux autres ».

La direction du Festival d’Alexandrie pour le cinéma méditerranéen vient d’annoncer son intention de boycotter les films turcs et d’annuler toutes projections turques prévues lors de sa prochaine édition qui se tiendra au mois de septembre. « Nous annonçons également notre soutien aux artistes turcs dans leur lutte contre la politique d’Erdogan. Nous ne sommes pas du tout contre les films ni les artistes turcs eux-mêmes, mais contre l’arrogance de leur gouvernement qui adopte une politique de deux poids, deux mesures », déclare Al-Amir Abaza, président du Festival d’Alexandrie.

Des listes des entreprises et des produits américains et turcs à boycotter circulent sur Internet. Mais entre approbation et refus, l’affaire n’est pas encore tranchée. En attendant, elle fait couler beaucoup d’encre.

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