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Soirée sublime et cadre majestueux

Dalia Chams, Lundi, 22 novembre 2021

Sous la baguette de Riccardo Muti, l’un des plus grands maestros au monde, l’Orchestre philharmonique de Vienne s’est produit à la salle de musique de la Cité des arts et de la culture à la Nouvelle Capitale pour célébrer son inauguration. Deux soirées mémorables.

Soirée sublime etcadre majestueux
L’Orchestre philharmonique en Egypte, après plus de 70 ans.

Riccardo Muti
Riccardo Muti

La Cité des arts de la Nouvelle Capitale, qui s’étend sur une superficie de 100 feddans, à environ une heure de route d’Héliopolis (est du Caire), vient d’inaugurer sa première salle musicale regroupant 1 200 sièges. Le style baroque un peu éclectique du grand hall d’accueil est en contraste avec la sobriété moderne et la décoration épurée de la salle musicale. Deux premiers concerts y ont été donnés pour l’occasion, les 20 et 21 novembre, par l’Orchestre philharmonique de Vienne (Wiener Philharmoniker).

Fondé en 1842, celui-ci est considéré comme l’un des meilleurs orchestres au monde, avec le Philharmonique de Berlin et le Concertgebouw d’Amsterdam. Ambassadeur de la musique viennoise, il se produit depuis des décennies, chaque 1er janvier, en jouant exclusivement la musique de la famille Strauss. D’ailleurs, en salle, le public égyptien ne manque pas d’évoquer ce célèbre concert du Nouvel An, tant attendu par des millions de téléspectateurs dans plus de 90 pays. « Il faut vraiment s’y prendre à temps pour pouvoir y assister, on s’arrache les billets ! », disent quelques-uns avant le commencement du concert, dirigé par le chef d’orchestre napolitain Riccardo Muti, classé par le blog spécialisé Adaptistration comme le mieux rémunéré au monde, durant les deux saisons qui ont précédé la pandémie.

Soirée sublime etcadre majestueux

A 80 ans, ce pur-sang italien a encore l’esprit très vivace. Moins flamboyant avec le temps, il a beaucoup réduit ses gestes sur scène, mais reste quand même fidèle à sa rigueur et son côté impassible. Car c’est un maestro qui sert les partitions avec la plus grande honnêteté et qui n’hésite pas à critiquer les libertés outrancières que prennent parfois d’autres plus jeunes. Il se proclame de l’école de Toscanini, puisqu’il a eu l’assistant de ce dernier, Antonio Votto, comme professeur, et a donc appris à respecter la règle d’or : l’interprète est toujours au service du compositeur. Fier d’appartenir à la tradition européenne qui privilégie la musicalité, à comparer avec les chefs d’orchestre américains qui sont plus portés sur la technique, il ne fait pas de compromis. « Le conservatoire où j’ai étudié à Naples fut fréquenté par des Paisiello ou Mercadante. On respire directement l’air de la musique. C’est la même chose avec l’architecture », a déclaré Riccardo Muti dans un entretien accordé à la presse en 2014.

Depuis la fin des années 1960, et surtout après avoir remporté le concours international de direction d’orchestre Guido Cantelli, à Novare, il n’a de cesse conduit les plus grandes formations musicales, dont la Scala de Milan, l’Orchestre de Philadelphie, celui symphonique de Chicago (succédant à Daniel Barenboïm) et bien sûr l’Orchestre philharmonique de Vienne. Celui-ci n’a pas de chef permanent, mais se contente depuis les années 1930 de choisir un artiste tous les ans pour diriger les concerts de la saison au Musikverein de Vienne et d’engager des chefs invités suivant le concert, tant à Vienne que dans les autres lieux.

Tradition et précision forcenée

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Le hall d’accueil du nouvel Opéra.

Réputé pour être l’un des maîtres du répertoire symphonique, Muti a choisi pour les deux soirées passées à la nouvelle Cité égyptienne des arts et de la culture de jouer des symphonies de Mozart, de Schubert et de Mendelssohn. La riche texture caractéristique de l’orchestre était évidente. Les musiciens sont les héritiers d’une sonorité et d’un style de jeu transmis de leurs prédécesseurs depuis plus d’un demi-siècle. Ils n’ont pas le droit de jouer avec leurs propres instruments, mais utilisent des violons, altos, violoncelles et contrebasses qui leur ont été prêtés par l’orchestre, instruments sur lesquels plusieurs générations ont joué avant eux. De même, les hautboïstes, clarinettistes, cornistes et trompettistes utilisent des instruments très particuliers qu’on ne trouve qu’à Vienne. Et ce, afin de sauvegarder la tradition, de ne pas modifier la sonorité et le style de l’orchestre. Sans doute, le pari est gagné.

Sous la baguette de Muti, ils ont d’abord joué Haffner, la Symphonie 35 de Mozart, créée en 1782. Le compositeur avait dédié cette oeuvre en quatre mouvements à Sigmund Haffner, alors maire de Salzbourg, elle est issue d’une sérénade commandée par ce dernier pour son anoblissement. Et puis, la deuxième partie du premier concert, le public avait rendez-vous avec la Symphonie 9 de Schubert en C majeur, intitulée aussi la Grande symphonie. Grande, elle ne l’est pas seulement par ses propositions monumentales ou par la puissance de feu orchestrale qui la caractérise. Elle l’est surtout par l’accomplissement absolu qu’elle réalise en l’art de Schubert en matière symphonique, étant la dernière à avoir été achevée par lui. L’orchestre avait déjà pris le temps de s’accommoder avec l’intégrité du cadre: le public, l’acoustique et l’atmosphère, alors en fin de soirée, il a joué une valse de Strauss en bis. Un moment fort, très apprécié du public. Les musiciens viennois sont particulièrement dans leur élément. Personne ne joue la valse comme eux, grâce à leur phrasé de mélodie et au rythme délicat de leur accompagnement.

Pour la soirée du 21, l’orchestre a programmé une autre symphonie de Schubert, celle numéro 4 baptisée Tragique, à cause de l’atmosphère de l’oeuvre écrite en mineur. D’ailleurs, sa partition, composée de 94 feuillets, est maintenant en possession de la Société philharmonique de Vienne. Ensuite, ce fut le tour de Divertimento, un morceau plus léger et allègre, issu du ballet d’Igor Stravinsky, Le Baiser de la fée. Et puis, ce fut un autre moment ultime, avec la quatrième Symphonie de Mendelssohn, Italienne, inspirée des paysages et des émotions romantiques du compositeur en tournée à travers l’Italie. Par cette oeuvre, brillante, légère et pleine de bonne humeur, l’orchestre a terminé son passage en Egypte où il ne s’était pas produit depuis 1950. Dans un monde aussi tourmenté, la musique est encore plus nécessaire que jamais. On a hâte de découvrir la programmation de ce nouvel édifice culturel, comptant plusieurs salles de spectacles et auditoriums, ainsi qu’une bibliothèque colossale.

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