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Yézidies : Chronique d’un enfer

Dalia Chams, Mardi, 26 octobre 2021

Le documentaire Sabaya (esclaves de guerre) du réalisateur kurde installé en Suède, Hogir Hirori, relate le calvaire de milliers de femmes yézidies, enlevées en 2014 par les combattants de Daech en Iraq.

Sabaya, une confrontation calme avec les traumatismes de la guerre.
Sabaya, une confrontation calme avec les traumatismes de la guerre.

Mahmoud et Ziad donnent l’impression d’être flegmatiques, tellement ils ne laissent paraître aucun sentiment et portent un regard placide sur les choses. Ils travaillent dans une organisation non gouvernementale, au nord-est de la Syrie, appelée Yazidi Home Center (YHC), et sont chargés d’identifier les femmes et filles yézidies kidnappées en 2014 par les forces de Daech, qui se trouvent dans le camp d’Al-Hawl en Syrie, abritant des personnes en lien avec les islamistes.

Ayant subi tant d’atrocités et ayant été réduites à l’esclavage sexuel par les combattants et leurs alliés, ces femmes sont détenues en cachette par d’autres, afin qu’elles soient revendues. Car il y a trois réseaux de trafic humain qui ont été mis en place entre l’Iraq et la Syrie ces dernières années, apprend-on à travers le documentaire poignant Sabaya (esclaves de guerre) du réalisateur kurde Hogir Hirori, qui est lui-même réfugié installé en Suède. « Je n’ai jamais vu Mahmoud se mettre en colère. Il parle très peu. Au début du tournage, j’étais un peu étonné, car je lui posais une question et n’obtenais la réponse que le lendemain », a précisé le réalisateur durant la projection-débat du long métrage, qui s’est déroulée au Festival du film d’Al-Gouna, dans le cadre de la compétition des documentaires.

Mahmoud, membre du Yazidi Home Center.
Mahmoud, membre du Yazidi Home Center.

Les membres du Yazidi Home Center sont suivis par le cinéaste durant leurs missions dangereuses, visant à libérer les femmes prisonnières et les rapatrier. Et pour ce faire, ils sont aidés par d’autres victimes, appelées les « infiltratrices » qui sont déjà passées par là et qui trouvent un moyen d’intégrer le camp, sous leurs tchadors, en faisant semblant d’être des ferventes de Daech. Tous donc sont en danger de mort. Les balles passent tout le temps à proximité, les coupures d’électricité sont très fréquentes et le réseau téléphonique souvent faible ou inaccessible, mais on s’y adapte.

Un an et demi de tournage

Hogir Hirori a obtenu les permissions nécessaires pour tourner dans les cellules des prisonniers de Daech en Syrie. A l’intérieur du camp d’Al-Hawl, il a filmé seul, avec des caméras cachées ; il y est rentré une quarantaine de fois, pour passer souvent plus d’une semaine, alors qu’en règle générale, les journalistes ne sont autorisés que d’y rester deux heures. Cependant, lorsqu’il était question d’enregistrer des témoignages de femmes, une fois arrivées au Yazidi Center, il avait recours à des caméras visibles, sans jamais les prendre par surprise. Il leur parlait toujours afin de les filmer en racontant leurs histoires, cependant il n’a pas voulu poser de questions à la petite kidnappée de sept ans, « car je n’osais pas lui rappeler ce qu’elle a vécu. Je ne veux même pas le savoir », a-t-il dit, en évoquant le cas de cette enfant qui a été enlevée alors qu’elle n’avait qu’un an. Et d’ajouter : « Ses deux parents ont été tués par Daech, et actuellement, elle vit avec son oncle au Kurdistan iraqien ».

Le réalisateur, dont les trois films tournent autour de la guerre et des réfugiés, est très impliqué dans l’histoire de chacune de ces femmes. Même après avoir terminé le tournage qui a duré 18 mois, il continue à suivre leur réintégration dans leur ville natale Sinjab. « Leïla va bientôt se marier avec un homme qu’elle aime. D’autres suivent des programmes de réhabilitation au sein d’organisations spécialisées. Certaines mères qui ont cédé les enfants qu’elles ont eus avec des combattants de Daech à des orphelinats, car leurs parents ne pouvaient les accepter, sont à leur recherche et envisagent de partir », confie-t-il.

Présenté pour la première fois en février dernier au Festival Sundance, le principal festival américain de cinéma indépendant, le documentaire a valu à son créateur le prix de la mise en scène dans le cadre de la section World Cinema Documentary. Au Festival d’Al-Gouna, il a fait salle comble et a suscité un vif intérêt de par son courage et la résilience des personnages. De quoi lui avoir valu le prix de bronze pour les longs métrages documentaires.

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