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Les mille et un visages d’une comédienne

May Sélim, Mardi, 21 septembre 2021

Le metteur en scène égyptien Akram Moustapha présente une adaptation du Chant du cygne. La nouvelle version s’intitule Farida et est interprétée par la comédienne Aïda Fahmi.

Les mille et un visages d’une comédienne
Farida ou Aïda Fahmi passe d’un personnage à l’autre avec la plus grande aisance.(Photo : Bassam Al-Zoghby)

La petite salle du théâtre Al-Talia (salle Salah Abdel-Sabour) se transforme en un petit théâtre à l’italienne. A travers le monodrame Farida, mis en scène d’Akram Moustapha, on voit défiler les meilleurs personnages féminins de la littérature universelle et arabe. Les mélodies jouées portent bien le chagrin de l’oeuvre et l’éclairage est sombre. Les planches sont sobres avec un décor poussiéreux. Quelques accessoires et meubles sont empruntés aux coulisses et aux loges des stars. L’ensemble représente les débris d’un théâtre, ou plutôt d’un spectacle dont les éléments sont oubliés. Petit à petit, une dame apparaît sur scène. Sa présence donne vie aux planches. Elle partage avec le public ses souvenirs en tant que comédienne. Elle dévoile sa solitude et sa passion, elle qui s’est adonnée corps et âme au théâtre. Et ce, dans le monodrame Farida, d’après la pièce en un seul acte écrite par Anton Tchékhov vers la fin de 1886, Le Chant du cygne, qui retrace le rapport entre un vieux comédien de théâtre, dont la longue et importante carrière est derrière lui, et son ancien souffleur, également son ami.

L’adaptation d’Akram Moustapha a gardé les grandes lignes du texte original de Tchékhov, mais il a remplacé le personnage du comédien par une comédienne femme. Il a réécrit le texte afin d’en faire un monodrame assez touchant. Il a profité aussi du jeu du théâtre dans le théâtre et a eu recours à un va-et-vient entre passé et présent afin de relancer constamment le rythme de la pièce et monter des scènes assez courtes, mais très symboliques.

Farida est donc une ancienne comédienne qui regrette ses années de gloire. Un soir, en plein hiver, elle s’infiltre dans le théâtre où elle jouait souvent et se cache dans les coulisses jusqu’à l’aube. Et ce, après avoir assisté à une répétition théâtrale. Pourtant, elle n’avait aucun rôle à y tenir. Elle avait supplié le metteur en scène d’y assister, pour échapper à la solitude et à la monotonie de sa vie. Elle avait très envie de retrouver les planches qui lui manquaient énormément.

Dans la version égyptienne, le rôle du souffleur a été annulé. On entend simplement — en voix off — la voix d’Elham, une amie proche de Farida, qui l’appelle de temps à autre sur son téléphone portable.

Inspiration universelle et locale

Les mille et un visages d’une comédienne
(Photo : Bassam Al-Zoghby)

Suivant la ligne dramatique du texte original où Tchékhov fait défiler les plus célèbres monologues du théâtre universel joués par le vieux comédien, Akram Moustapha a varié les scènes et les rôles qu’interprète merveilleusement la comédienne Aïda Fahmi, laquelle incarne Farida. Le metteur en scène puise dans les textes universels aussi bien que dans les locaux et fait sa sélection parmi leurs monologues, dans le but de dévoiler l’habileté de la comédienne.

Celle-ci passe d’un monologue en arabe classique à une scène de conversation téléphonique en égyptien dialectal, puis à une autre dans un accent rural. Elle se rappelle ses meilleurs rôles de théâtre, passant de Lady Macbeth, la femme qui a poussé son mari à commettre un meurtre, à Médée, le symbole de la vengeance, puis à Naïma, la jeune fille rurale qui s’attend impatiemment à vivre une histoire d’amour.

La comédienne Aïda Fahmi opère aisément le passage d’un personnage à l’autre. Soudainement, on voit la vieille Farida, qui marche le dos courbé et a une voix tremblante, se transformer en une femme toute puissante lorsqu’elle rentre dans sa peau de star. Elle interprète les rôles féminins les plus remarquables de l’histoire du théâtre mondial. Elle nous fait rire aux éclats quand elle joue l’ivrogne qui s’interroge sur la voix qu’elle entend dans l’écouteur : « Est-ce les instructions du metteur en scène ? ». Le public sourit.

Le décor et l’éclairage conçus par Amr Abdallah accentuent l’ambiance de la solitude et des souvenirs passés. Sur scène, il y a un miroir cadré par des lampes. Quelques-unes ne s’allument plus. La chaise longue qu’on trouve souvent dans les chambres de stars est rapiécée par des couches d’anciens tissus. Les coups de projecteur qui font focus sur Farida en jouant ses rôles multiples donnent un élan et une vivacité aux scènes. Les planches s’assombrissent de nouveau quand Farida revient à sa nature de vieille femme. La musique de Mohamad Hamdi Raouf est souvent mélancolique et touchante, puis certains rythmes viennent annoncer une grande transition. Parfois, d’autres mélodies traduisent les états d’âme des personnages féminins interprétés devant le public.

Les souvenirs et les rôles joués à l’affilée s’arrêtent brusquement ; les ouvriers du théâtre découvrent que Farida est encore là et lui demandent de partir. Faible et soumise, la vieille femme est attristée, elle traîne son châle et quitte les coulisses. Ses années de gloire défilent rapidement sous ses yeux et ceux du public qui a partagé sa souffrance pendant une heure sans se lasser.

Farida, tous les soirs à 19h30 (relâche le mardi), dans la petite salle du théâtre Al-Talia, place Ataba, centre-ville.

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