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L’histoire de la Palestine à travers les écrans

Nahed Nasr, Dimanche, 06 juin 2021

Plusieurs films-clés, réalisés par des Palestiniens, ont été récemment mis à la disposition du public sur des plateformes telles Shahid, OSN, Netflix et Watch It. Des cinéastes ont donné accès gratuitement à leurs oeuvres afin d’ouvrir les yeux sur la réalité. Tour d’horizon.

L’histoire de la Palestine à travers les écrans
Between Heaven and Earth (entre le paradis et la terre) de Najwa Najjar.

En réaction à la dernière offensive contre Gaza et au soulèvement du Cheikh Jarrah, la plateforme Shahid, qui dépend du groupe saoudien MBC, a proposé à ses abonnés neuf films signés par des cinéastes palestiniens résidant en Palestine ou vivant dans la diaspora. Il s’agit notamment du dernier film de la réalisa­trice palestinienne Najwa Najjar, Between Heaven and Earth (entre le paradis et la terre, 2019). Surtout réputée pour Pomegranates and Myrrh (grenades et myrrhe, 2009) et Eyes of a Thief (les yeux d’un voleur, 2014), Najjar a été candidate de la Palestine aux Oscars et aux Golden Globes en 2015 et a déjà remporté de nombreux prix internationaux. Bien que Between Heaven and Earth n’ait pas voyagé aussi loin qu’il aurait pu, en raison de la pan­démie, il a remporté de nombreux prix. En 2019, il a remporté au Festival international du film du Caire le prix de Naguib Mahfouz pour le meilleur scénario. Avec Mona Hawa, Firas Nassar, Lamis Ammar et Louise Heem, le film, qui raconte l’histoire du divorce d’un jeune couple, est tourné dans toute la Palestine.

Un autre film palestinien à voir absolument est Ghost Hunting (la chasse aux fantômes, 2017) de Raed Andoni, qui a également réalisé le docu­mentaire acclamé par la critique Fix Me (soigne-moi, 2009). Les deux films ont creusé dans le traumatisme de la vie sous l’occupation. Dans La Chasse aux fantômes, de vrais personnages se souviennent de leur expérience déshumani­sante au centre d’interrogatoire Moskovia à Jérusalem. Mettant en vedette le réalisateur et acteur palestinien Ramzi Maqdisi, il a reçu le prix du meilleur documentaire au Festival inter­national du film de Berlin en 2017.

Omar (2013), de Hany Abu-Assad, est un film remarquable du réalisateur de Paradise Now (le paradis maintenant, 2006). Les deux films étaient sur la liste des Oscars palestiniens. Omar a également été projeté dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes 2013, où il a remporté le Prix spécial du jury, et au Festival international du film de Toronto en 2013. Mettant en vedette Adam Bakri, Leem Lubany et Eyad Hourani, le film suit la relation de trois amis, Omar, Tarek et Amjad, ainsi que Nadia, la soeur d’Amjad, qui vivent tous en Cisjordanie et qui sont constamment déséquili­brés par les tensions politiques.

Dans son premier long métrage, Screwdriver (2018), Bassam Jarbawi s’attaque au retour d’un homme après 15 ans de détention dans une pri­son israélienne. Joué par le célèbre acteur et cinéaste palestinien Ziad Bakri, fils du célèbre réalisateur palestinien Mohammed Bakry, Screwdriver a été présenté en première mondiale à la Mostra de Venise 2018 et à en première au Moyen-Orient au Festival du film d’Al-Gouna.

Controverses

L’histoire de la Palestine à travers les écrans
3  000 nuits de Mai Masri.

The Reports on Sarah and Saleem (les rap­ports sur Sarah et Saleem, 2018) est un autre joyau de Muayad Alayan, dont le premier long métrage était Love, Theft and Other Entanglements (amours, larcins et autres com­plications, 2015). Il montre de vrais Palestiniens en chair et en os qui agissent (souvent de manière controversée) dans la vie de tous les jours, suscitant souvent un débat houleux. Le film a remporté neuf prix remportés dont deux au Festival international du film de Rotterdam en 2018: le prix du public et une mention spéciale (Tiger Award) pour le scénariste Rami Musa Alayan. Le commentaire du jury fut le suivant: « Ce scénario bien conçu nous montre quatre humains, chacun avec ses défauts et ses désirs; ils doi­vent faire face aux conséquences de leurs actions dans un monde compli­qué et divisé. Le scénario entrelace le personnel et le politique et parvient à équilibrer une intrigue complexe avec des personnages convaincants. Cela s’avère être la base d’un film fort, d’un réalisateur talentueux et d’un excellent cas­ting ».

Villa Touma (2014), de Suha Arraf, est un autre film controversé, mais la controverse se rapporte plutôt au fait que 70% de son budget provenait de sources israéliennes. « On a voulu que le film soit considéré comme israélien et non palestinien, qu’il soit présenté dans les festivals à l’étranger comme étant israélien. Mais je suis arabe, palestinien et citoyen d’Is­raël. J’ai le droit de définir ma propre identi­té », a déclaré Arraf dans une interview publiée sur le site Jadaliyya. Mettant en vedette Nisreen Faour, Ula Tabari et Cherien Dabis, le film suit une famille chrétienne palestinienne de trois femmes (Violette, Juliette et Antoinette) totalement immergées dans le passé, isolées de la société palestinienne au sein de la Villa Touma à Ramallah. Lorsque leur nièce Khadija, qui a grandi dans un orphelinat, apparaît dans leur vie, elles se lancent dans un voyage à tra­vers la classe, le genre et la religion. Bien que le film soit allé aux tribunaux pour son identité, il a participé à plus de 50 festivals, y compris le Festival de Venise, au nom de la Palestine et a remporté plusieurs prix et distinctions. De plus, Arraf était sur la liste des « Top 10 scéna­ristes à regarder » du magazine Variety.

Le vécu palestinien

Malgré une longue carrière dans le documen­taire qui a débuté au milieu des années 1980, travaillant souvent en collaboration avec son mari, le cinéaste libanais Jean Chamoun, la cinéaste palestinienne Mai Masri a réalisé un seul long métrage en 2015. Il s’agit de 3 000 Nights (3000 nuits), l’histoire d’une jeune institutrice palestinienne qui donne naissance à un fils à l’intérieur d’une prison israélienne où elle doit se battre pour le protéger, pour sur­vivre et pour garder espoir. Le film a été tourné dans une vraie prison avec un casting presque entièrement féminin et la plupart des actrices avaient un lien fort avec l’emprisonnement, que ce soit directement ou par l’intermédiaire de leurs familles. Ce film était officiellement présenté par la Palestine pour les Golden Globe Awards et par la Jordanie aux Oscars. Il a été officiellement sélectionné dans de nom­breux festivals de cinéma prestigieux, dont Toronto et Busan, et a remporté le Tanit d’Bronze au Festival du film de Carthage en 2016.

The Time That Remains (le temps qui reste, 2009) est largement considéré comme la der­nière partie de la trilogie du cinéaste palesti­nien Elia Suleiman qui comprend Chronicle of a Disappearance (chronique d’une disparition, 1996) et Divine Intervention (intervention divine, 2002). Un drame autobiographique, le film, mais aussi un compte rendu sur l’Etat d’Israël depuis sa création en 1948 jusqu’à nos jours. Le film met en vedette Ali Suliman, Saleh Bakri et Elia Suleiman lui-même, qui apparaît dans la plupart de ses films. En com­pétition pour la Palme d’or du Festival de Cannes 2009, Le Temps qui reste a été en sélec­tion officielle du Festival international du film de Toronto et a reçu de nombreux prix.

La plateforme Shahid propose également parmi sa sélection The Parrot (le perroquet 2016), des réalisateurs jordaniens Amjad Al-Rasheed et Darin J. Sallam. Selon Amjad Al-Rasheed, le film est inspiré de faits réels de sa grand-mère qui a quitté Jérusalem pour s’ins­taller en Jordanie dans les années 1930, peu après l’occupation sioniste de la Palestine. Toutes les histoires qu’elle relatait à son petit-fils étaient celles du petit perroquet qu’elle a laissé derrière elle à la maison de Haïfa à laquelle elle ne pourra jamais retourner un jour.

OSN est une autre plateforme de streaming qui a décidé de rendre hommage au cinéma palestinien, en diffusant quelques-unes de ses dernières productions palestiniennes, telles 200 mètres (2020) d’Ameen Nayfeh. Le film a été primé à la 77e édition du Festival international du film de Venise et a reçu le prix BNL People’s Choice Audience Award. Il était nominé également comme étant le meilleur long métrage jordanien, mais il n’a pas décroché le prix. Il a remporté aussi 4 prix au Festival du film international d’Al-Gouna. Inspiré d’une histoire vraie, le film trace l’itinéraire d’un père palestinien emprisonné de l’autre côté du mur séparant les deux entités palesti­nienne et israélienne, alors qu’il essayait de rejoindre son fils hospitalisé.

Une petite merveille de poésie

Parmi la sélection d’OSN figure éga­lement le dernier métrage d’Elia Suleiman, It Must Be Heaven (2019). Présenté en sélection officielle au Festival de Cannes, le film a décroché le prix FIPRESCI et a reçu une mention spéciale. Le film dépeint les tentatives de l’être humain de fuir ses pro­blèmes pour se trouver en proie aux mêmes problèmes. Le fil conducteur est la situation professionnelle et artistique de Suleiman, cher­chant des idées de scénario, proposant cette série de petites histoires à des producteurs fran­çais et nord-américains.

Parmi les courts métrages projetés sur OSN; il y en a trois sur la Palestine et les Palestiniens. Bonboné (2017) de Rakan Mayasi, qui a décro­ché 14 prix, y compris le meilleur court métrage au Festival international de Moscou. Le film raconte l’histoire d’un couple palesti­nien qui recourt à un moyen inhabituel pour faire des enfants; d’autant que le père est détenu dans les prisons israéliennes qui interdi­sent les visites. Le deuxième film est intitulé A Drowning Man (noyade d’un homme, 2017), de Mahdi Fleife. Il raconte l’histoire d’un réfu­gié qui se noie dans la tristesse et les condi­tions difficiles, luttant pour survivre dans un pays étranger.

Le troisième film, Five Boys and a Wheel (2016), de Saïd Zagha, est adapté de la nouvelle de l’auteur américain Raymond Carver Bycicles, Muscles, Cigarettes. Il s’agit d’un instituteur d’école qui doit regagner coûte que coûte la confiance de son fils et son admiration à travers un acte de violence qui reflète symbo­liquement la perspective du réalisateur sur le conflit politique.

Nommé à la 93e édition des Oscars, le pre­mier film de la réalisatrice palestino-britan­nique Farah Nabulsi, The Present (le cadeau, 2020), est en streaming exclusivement sur Netflix. Le film est interprété par le comédien de renom Saleh Bakri, incarnant le rôle d’un Palestinien originaire de la Cisjordanie qui — accompagné de sa fille— essaye d’acheter un cadeau à sa femme; leur parcours résume la souffrance qu’affrontent ses compatriotes aux check-points. Le film avait été nominé pour 45 prix et a décroché quelque 20 certificats d’hon­neur.

Netflix projette aussi le documentaire de Lina Al-Abed, Ibrahim: A Fate to Define (2019). C’est l’itinéraire de la réalisatrice partie à la recherche de son père, Ibrahim Al-Abed, dis­paru alors qu’elle n’avait que 6 ans. Elle essaye de vérifier le bien-fondé des rumeurs autour de sa disparition, disant qu’il était un agent secret du conseil révolutionnaire, une faction militaire qui s’opposait aux tentatives de l’Organisation de la Libération de la Palestine (OLP) d’adop­ter des solutions plus pacifiques quant au conflit avec Israël.

Wajib (devoir 2017) d’Annemarie Jacir est un autre film palestinien, diffusé sur la même pla­teforme, interprété par Mohammad Bakri, Saleh Bakri et Tarik Kopty. Il raconte l’histoire d’un père et son fils qui voyagent au milieu des préparations pour la célébration de Noël à Nazareth. Le film a décroché 23 prix de par le monde.

Bien que la plateforme de streaming égyp­tienne Watch It ne focalise pas encore sur un contenu non égyptien, elle programme actuelle­ment trois films égyptiens sur le conflit arabo-israélien, à savoir Al-Tariq ila Ilate (la route vers Eilat, 1994), d’Inaam Mohamad Ali, Wilad Al-Am (les cousins, 2009), de Chérif Arafa, et Youm Al-Karama (le jour de la dignité, 2004), de Ali Abdel-Khaleq.

Outre les plateformes pré-payantes, il existe deux autres non lucratives qui ont pour objectif de diffuser le cinéma arabe indépendant à une plus large échelle de par le monde. Il s’agit d’Aflamuna et Palestine Film Institute, qui dif­fusent un nombre de films arabes notamment palestiniens, mais pour une période limitée.

La version originale de cet article a été publiée en anglais sur les sites d’Al-Ahram Online et d’Al-Ahram Weekly.

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