Au début du mois de mars, la société Orient Productions a annoncé qu’elle rouvrait le théâtre Rawabet, après y avoir effectué des restaurations de taille. Cet espace artistique indépendant avait été inauguré en 2005 et faisait partie de tout un réseau qui comprenait également la galerie Townhouse, créée en 1998, et le Factory Space, annexé plus tard à cette dernière, afin d’accueillir des installations et des expositions d’art visuel. Mais les activités de ces endroits ont connu une baisse progressive, jusqu’à leur fermeture en 2019.
Le Townhouse avait suspendu ses activités, mais l’espace lui-même était géré par la société Orient Productions, dirigée par Ahmed El-Attar. Celle-ci est déjà réputée pour avoir lancé, entre autres, le Studio Emad Eddin (SEE), le Downtown Cairo Arts Festival (DCAF), le festival 2B Continued, les espaces, plus récents, de cotravail Maktabi.
Durant les mois qui ont précédé la réouverture de Rawabet, situé au 5 rue Hussein pacha Al-Méamari, la salle de théâtre a été entièrement rénovée. Les planches ont été liftées ainsi que les sols, les murs, l’auditorium, les bureaux, etc. Les équipements et l’insonorisation ont été améliorés.
Le théâtre dispose également de toutes les installations anti-incendie, les équipements électriques et plein d’autres éléments techniques. Ainsi, toutes les opérations de rénovation effectuées garantissent au public, aux artistes et à toute l’équipe technique et managériale de meilleures conditions de travail.
Entre 2005 et 2019, Rawabet a mis sous les projecteurs des dizaines de comédiens, de metteurs en scène, de jeunes talents en herbe, partageant leur passion avec un public grandissant. « En rénovant le théâtre, nous capitalisons sur son histoire, tout en offrant de meilleures conditions de travail et de présentation, de quoi soutenir et développer davantage la scène artistique », souligne Ahmed El-Attar, directeur et fondateur d’Orient Productions. Et d’ajouter : « Le rôle de Rawabet ne sera pas différent, dans un sens radical. Il sera toujours un lieu de performance, comme il l’a toujours été, sauf qu’il opèrera dans de meilleures conditions après la rénovation. Maintenant, l’espace scénique et l’auditorium ont été agrandis, celui-ci peut désormais accueillir entre 150 et 280 personnes, donc environ 120 places plus qu’avant ». Cela étant, Rawabet pourra accueillir une plus grande variété de performances, ainsi que des conférences ; il pourra également servir comme lieu de répétitions, selon El-Attar.
Une boîte qui grandit

El-Attar, fondateur d’Orient Productions.
En 1993, ce dernier a fondé la troupe de théâtre indépendante, le Temple, afin de présenter ses propres mises en scène, en Egypte comme à l’étranger. Puis en 2005, il a décidé d’ouvrir le SEE, proposant un espace de répétitions pour les artistes, ainsi qu’un lieu de formation recevant divers ateliers. A cette époque, il fut le seul à offrir de tels services.
Ensuite en 2007, il a lancé la société Orient Productions, laquelle supervise toutes les autres activités du Temple et du Studio Emad Eddin. Et un an plus tard, ce fut la création de 2B Continued, un laboratoire et festival qui vise principalement à soutenir les artistes égyptiens travaillant dans les domaines du théâtre et de la danse. A chaque nouvelle édition, le festival choisit de mettre en avant quatre jeunes metteurs en scène et chorégraphes, en leur accordant l’espace scénique, les fonds nécessaires, des ateliers de formation et les conseils leur permettant de mener à bien leur production.
Et en 2012, El-Attar a eu l’idée d’un festival pluridisciplinaire dédié aux arts urbains ou ceux en lien avec la ville, d’où le Downtown Cairo Arts Festival (DCAF). C’est d’ailleurs dans le cadre des activités du DCAF qu’en 2014, El-Attar a lancé l’initiative Arab Arts Focus, visant à mettre en lumière les productions d’artistes arabes. Cette initiative s’est rapidement développée, jusqu’à devenir une vitrine internationale pour les artistes arabes, au sein du Festival Edinburgh Fringe en 2017, puis au sein du Festival International de Théâtre d’Avignon en 2018. La même année, la boîte Orient Productions a ouvert Maktabi, un espace de cotravail réservé essentiellement aux créateurs. Et puis, la voilà reprendre en main le théâtre Rawabet.
Un écosystème
« Nous essayons de faire office d’écosystème, dans le secteur artistique alternatif, puis peut-être d’aller encore bien au-delà. Tous nos projets se complètent : des salles de répétitions (le SEE), des ateliers de formation, une boîte de production, des festivals, etc. Le cercle est bouclé », indique El-Attar, qui assure le fonctionnement de son vaste réseau, en se dotant d’une infrastructure artistique bien portante.
La création d’un tel réseau ne se fait pas certes sans défis, mais la passion et l’ambition d’El-Attar l’aident à surmonter toutes sortes d’obstacles et à en faire un parcours initiatique et riche. « Il fallait relever, au fur et à mesure, des défis financiers, politiques et artistiques, mais ce qui les rend supportables, c’est l’accomplissement, le fait d’en récolter les fruits et les récompenses. En 15 ans, nous ne restons pas immobiles, nos activités ont évolué et s’agrandissent. C’est ce qui rend le challenge passionnant. Voir que le secteur où l’on travaille a évolué et comment nous-mêmes nous avons progressé, en coopération avec d’autres personnes et d’autres organisations ; C’est un sentiment incroyable », affirme-t-il, en contemplant son périple commencé il y a 15 ans, tout en se projetant dans l’avenir. Et de poursuivre : « Lorsque nous avons créé le SEE, nous n’avons jamais pensé à avoir un théâtre ou un festival. Tout a décollé de manière naturelle. En multipliant nos activités, nous essayons de combler les lacunes existantes dans le secteur, et en le faisant, d’autres lacunes émergent à la surface, alors nous essayons d’y remédier. C’est ce qui rend le travail passionnant, mais en même temps on se rend compte que tout est faisable ».
L’entrepreneur culturel ne cesse d’insister sur le fait que chaque projet sert l’autre et que les composants de son « écosystème » développent un dense réseau de dépendances et d’échanges. Il met également en valeur sa belle équipe, regroupant pas mal de spécialistes et des professionnels des arts de la scène. « Nous sommes une équipe d’une vingtaine de personnes, qui travaillent dans toutes les boîtes que regroupe Orient Productions. Nous pouvons compter aussi entre 50 et 100 personnes lesquelles nous rejoignent pour des projets et des événements spécifiques. Nous offrons également des résidences artistiques, des cours, et tout cela contribue à notre développement, mais aussi à celui de tout le secteur », précise-t-il.
L’expérience d’Ahmed El-Attar est sans précédent en matière de gestion culturelle en Egypte, un sujet auquel il a consacré tant d’années d’étude et de travail. « Le conseil que je donnerai aux jeunes directeurs artistiques est que cette profession, qu’elle soit artistique ou managériale, est une profession de passion. En fait, c’est un métier de passion. Le metteur en scène doit être passionné de son travail, le manager doit être passionné de ce qu’il fait et ainsi de suite. Tout cela ne peut être qu’utile au secteur artistique et peut bien faire avancer les choses. Une organisation ou une entreprise qui fonctionne bien produira un meilleur travail qu’une organisation faible. Il y a beaucoup d’autres professions qui peuvent être plus gratifiantes sur le plan financier, mais le domaine de l’art scénique et de l’art en général fait partie des secteurs les plus gratifiants. Car la récompense est instantanée, lorsque vous voyez des gens sortir du spectacle, du film ou de tout autre événement créatif », dit-il. Et d’ajouter : « Il est primordial de s’instruire, d’acquérir des connaissances, en suivant tout ce qui se passe sur les plans local et international. Si par exemple on travaille dans le domaine des arts visuels, on a besoin d’être au courant de ce qui se passe partout dans le monde en la matière, mais aussi de suivre ce qui se passe dans le cinéma, le théâtre, etc. Il faut rester bien informé. On doit également comprendre comment la société où l’on vit fonctionne pour faire avec, et en même temps, essayer de repousser les limites. On est comme dans un cercle que l’on continue d’agrandir en poussant de l’intérieur, tout en étant conscient de ce qui se passe en dehors ».
Certainement, voir les choses en grand et rêver inlassablement font partie de l’équation, mais comme pour réaliser ses rêves, il faut être réaliste. « Si on a un budget limité, il ne faut pas chercher à monter une performance qui compte 20 acteurs et qui a besoin d’une grande production. Il faut qu’on soit créatif, mais en allant pas à pas. C’est ainsi que l’on peut concrétiser les grands rêves », conclut-il.
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