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L’art digital, le totem de la GEN Z

Névine Lameï, Mercredi, 06 janvier 2021

Face à l’actuelle transition digitale, certains sont plus sceptiques que d’autres. L’outil privilégié d’une nouvelle génération plus connectée va sans doute bouleverser la scène artistique égyptienne, mais on ne sait trop de quelle manière ni à quel point.

L’art digital, le totem de la GEN Z
OEuvre de Hend El-Falafly.

« C’est vrai que la GEN Z, ayant grandi dans la familiarité d’un environnement numérique (Internet, smartphone, jeux vidéo, e-commerce, etc.), est la première à être considérée comme de véritables natifs de l’art digital. Mais il faut noter que vers la fin des années 1940, début des années 1950, des scientifiques, en collaboration avec des artistes plasticiens intéressés par la cybernétique, sous la coupe de Norbert Wiener, ont été les premiers à travailler ensemble sur les LAPS (Local Administrator Password Solution) de l’ordinateur. Une collaboration qui prévoyait déjà la révolution numérique actuelle, qui bouleverse actuellement la GEN Z. Le coronavirus est venu précipiter les choses, notamment auprès de cette génération plus polyvalente qui prendra les devants de la société », déclare l’artiste-peintre Weaam El-Masry, professeure de media art et interactivité, département art et design à l’Université privée MSA, située à la cité du 6 Octobre.

L’art numérique constitue pour la GEN Z un objet totem. Il est venu défier les pratiques culturelles traditionnelles et rompre avec les circuits trop exclusifs, trop réactionnaires des institutions culturelles classiques. « Ces Digital Natives maîtrisent les codes des médias numériques qu’ils usent au quotidien et en abusent même. Mes étudiants en font partie, ils n’ont pas besoin de recourir à des programmes compliqués, tels Final Cut Pro ou le Adobe Premiere, pour traiter les vidéos par exemple, comme on le faisait dans ma génération. Les techniques numériques leur ont beaucoup servi, économisant le temps, l’effort et le coût déployés, permettant aussi l’échange des idées et l’accès aux savoirs. Cependant, elles les ont rendus incapables de se concentrer pendant plus de dix minutes. Plusieurs parmi mes étudiants arrivent à créer par eux-mêmes des jeux vidéo avec leur smartphone, leur baladeur numérique, leur tablette tactile. Ensuite, ils appliquent la bonne stratégie marketing pour vendre leurs jeux vidéo à des entreprises », poursuit Weaam El-Masry.

Pour ces jeunes, qui constituent un marché à fort potentiel pour les e-commerçants, un bon réseau est plus important que les études pour réussir dans la vie. C’est le cas d’Esraa El-Beheary, 20 ans, étudiante au département art et design, à l’Université MSA. Elle est intéressée par tout travail usant de la technique 3ds Max, pour créer des PhotoCartoons, des vidéos stop motion en ligne et des couvertures de livres en digital. Elle souligne : « J’ai acquis mon premier smartphone à l’âge de 10 ans. Les méta-médias numériques, d’une grande intercon­nectivité : smartphones, tablettes, etc. dis­posent de nombreuses fonctionnalités sur­passant les autres médiums. Ils m’offrent une grande liberté d’expression, de créati­vité et de représentation. Ils facilitent mon travail artistique que j’exécute plus rapide­ment et plus aisément. Les résultats sont garantis ».

Pour répondre à l’immense impact des technologies du numérique sur la création artistique contemporaine, l’artiste Haytham Nawar, professeur à l’Université américaine du Caire et chef de son département d’arts visuels, trouve qu’il est indispensable d’inté­grer le numérique et les nouveaux médias dans les cursus scolaires et universitaires. Ceci doit être généralisé, à travers un pro­gramme éducatif officiellement approuvé par les ministères de l’Education et de l’Enseignement supérieur. « Les cours que nous enseignons à l’Université américaine ou à l’Université allemande apprennent aux étudiants l’usage des outils et des techniques d’art numérique (design interactif, gra­phique design, game design …). On a recours à des plasticiens égyptiens passionnés d’art numérique pour s’en charger. Et les jeunes de la GEN Z en raffolent. Certes, la révolution numérique est en train de métamorphoser l’art visuel en Egypte, mais je ne pense pas que l’art issu des nouveaux médias va prendre le dessus sur les disciplines considérées comme plus traditionnelles : pein­ture, sculpture, etc. », précise Haytham Nawar, fondateur de Cairotronica, la première biennale d’art électronique en Egypte. Elle inclut les oeuvres de Motion Graphic, Modeling 3D, anima­tion 3D, infographie 3D, 3ds Max, programmation VFX/game, etc. Celle-ci s’adresse essentiellement à la large génération hyper­connectée, qui se plaît à bouleverser les codes existants.

Des autoportraits à l’infini

L’art digital, le totem de la GEN Z
Autoportrait de Mohamed Tarek

Hend El-Falafly, professeure d’art graphique aux beaux-arts du Caire de l’Université de Hélouan, ne partage pas l’optimisme de Nawar. Elle craint plutôt la suprématie de l’art numérique sur les autres genres plus classiques. « L’art numérique qui envahira bientôt nos institutions culturelles va de pair avec l’esprit de la GEN Z qui n’apprécie pas beaucoup les compétences manuelles », indique Hend El-Falafly. Et d’ajouter : « Je conseille à mes étudiants de ne pas rompre avec les arts traditionnels. Ces jeunes ont acquis des aptitudes cérébrales en termes de vitesse et d’automatisme, mais cela s’est fait au détriment du raisonnement et de la maîtrise de soi. Nous essayons en ce moment d’intégrer l’art digital dans notre cursus traditionnel, en y incluant la bande dessinée multimédia et le design graphique. Nous ne vou­lons ni que les nouveaux diplômés ne répondent pas aux besoins du marché artistique ni qu’ils soient isolés de l’évolution en cours ».

Mohamed Tarek, l’un de ses étudiants en graphisme, âgé de 20 ans, est fortement influencé par ses idées. Il ne cherche guère à se détacher complètement des formes classiques. « La scène artistique traditionnelle est notre référence basique. Le vintage est incroyablement populaire, ces dernières années. Je sens que je vis dans un cercle vicieux passé-présent, j’ai l’impression que j’ai un corps humain et des bras de robot. C’est vrai que l’art digital est aujourd’hui au-devant de la scène, mais qui sait qu’adviendra-t-il plus tard ?! », dit Tarek. Et d’ajouter : « L’ère numérique nous permet de commercialiser nos oeuvres facile­ment via Internet et les réseaux sociaux. Le nombre d’expositions virtuelles s’accroît sous l’effet du coronavirus. Il y a plusieurs plateformes de vente en ligne ».

Tarek est partagé entre deux mondes, il a un pied dans le réel et un autre dans le virtuel. Ses dessins animés en 2D sont proches des comics, il les exécute grâce au programme entièrement gra­tuit, le SketchBook Pro. « J’aime faire des autoportraits parce que je me sens souvent seul. Finalement, je dessine la personne que je connais le mieux, moi-même. Enfermé dans ma chambre, surtout pendant le confinement, mon passe-temps favori est de réaliser des autoportraits sur écran, où se mêlent gaieté, peur, dérision et anxiété », avoue-t-il.

Copropriétaire de la galerie Art-Mazag à Maadi, Mahmoud Hamdi vient d’exposer un hologramme créé par le jeune Karim Omar, enregistrant le volume d’un objet en 3D, puis le restituant dans une image. C’est une première pour une galerie égyptienne. Car bien qu’opposé à la tenue d’expositions virtuelles, il tient à suivre les domaines expérimentaux. « J’aime que les gens puissent toucher les oeuvres, qu’ils se sentent proches des pièces montrées. Les expositions virtuelles sont, pour moi, des diapora­mas de photos, c’est assez ennuyeux », conclut Hamdi, qui se dit ouvert à toutes les nouvelles formes d’expression artistique.

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