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Le monument historique comme lieu d’exposition

Dalia Chams, Mercredi, 02 décembre 2020

Exposer de l’art contemporain : des peintures, des photos, des sculptures, des installations, de façon temporaire dans des lieux historiques, c’est la tâche que s’est fixée la société Art d’Egypte. Celle-ci organise une exposition internationale au pied des pyramides, en octobre prochain.

Le monument historique comme lieu d’exposition
Des oeuvres d’inspiration pharaonique, exposées récemment à l’espace The Factory.

Il n’est pas très difficile de constater qu’on a tendance, partout dans le monde, à quit­ter l’espace traditionnel de l’exposition (musée, galerie, centre d’art, etc.) pour passer à un espace urbain qui accueille des événements artistiques. Depuis une vingtaine d’années, on fait davantage appel aux sites historiques pour mieux faire connaître l’art contemporain, auprès de personnes qui, a priori, n’y sont pas confrontées. On cherche à moderniser son image, à faire venir du monde dans des lieux du patrimoine, à attirer d’autres publics, en exposant dans des lieux, parfois valorisés, parfois laissés à l’abandon. Le lieu urbain devient ainsi un catalyseur de créativité et l’espace d’exposition a tendance à s’hybrider.

C’est dans cette optique que s’inscrit la démarche de la société Art d’Egypte, fondée en 2005 par Nadine Abdel-Ghaffar, afin de pro­mouvoir la culture égyptienne, notamment les arts plastiques, en créant des expos-événements qui interrogent la relation : art contem­porain-espace urbain-lieu histo­rique. Il est intéressant de revenir sur les lieux d’exposition, ou devrait-on dire les sites, choisis par Abdel-Ghaffar et son équipe de curateurs, afin d’accueillir des peintures, des sculptures, des ins­tallations et autres.

Intitulée Eternal Light : Something Old, Something New (lumière éternelle : de l’ancien et du nouveau), cette première expo­sition collective, organisée par Art d’Egypte au Musée égyptien de Tahrir en 2017, était essentielle­ment inspirée de la civilisation pharaonique. Ensuite, l’année sui­vante, le Palais du prince Mohamad Ali Tewfiq à Manial a accueilli les oeuvres de 28 artistes égyptiens contemporains, sous le titre de Nothing Vanishes, Everthing Transforms (rien ne s’efface, tout est en mutation).

Cette demeure hantée par la nos­talgie, très représentative du goût de l’ancienne aristocratie de la fin du XIXe siècle et début du XXe, a été animée par les oeuvres d’ar­tistes qui n’ont pas cherché à imposer leurs travaux, mais à engager un dialogue avec le lieu et son histoire. Il en est de même pour l’exposition tenue l’an der­nier, à la rue Al-Moez, dans le Vieux Caire, Reimagined Narratives (narrations ré-imagi­nées), appliquant la notion de tra­vail in situ. Une démarche selon laquelle l’oeuvre ne saurait être envisagée sans l’espace dans lequel et en fonction duquel elle s’inscrit. Toujours, 28 artistes ont investi cette rue longue d’un kilo­mètre, laquelle regroupe des monuments de diverses époques : fatimide, ayyoubide, mamelouke et ottomane, construits en six siècles.

L’art de la transgression

Comme d’habitude, les oeuvres transgressent la nature du lieu dans lequel elles sont proposées ; le propre de l’art contemporain étant de transgresser les frontières : les fron­tières de l’art communément admis, les frontières du bon goût, les fron­tières du musée … C’est ce qui le caractérise. Parfois, il y a un contraste entre la trivialité de l’objet exposé et le caractère extrêmement imposant du site. Parfois, la confron­tation entre l’ancien et le nouveau s’avère particulièrement délicate, de quoi apporter un éclairage nouveau à l’ensemble.

Certains visiteurs, notamment ceux qui ont un rapport fort avec le patrimoine, peuvent être un peu contrariés, mais de façon générale, l’intégration de l’art contemporain dans des lieux historiques permet d’aiguiser le désir de visite, de casser l’impression de déjà-vu et de mon­trer qu’un monument n’est pas figé pour l’éternité. C’est le pari que relè­vent Nadine Abdel-Ghaffar et son équipe en préparant une exposition internationale, prévue au mois d’oc­tobre prochain, au pied des pyra­mides de Guiza.

Cette fois-ci, une dizaine d’ar­tistes, dont des étrangers et peut-être de grands noms internationaux, sont invités à concevoir des oeuvres en grands formats, notamment des sculptures et des installations, afin d’aller de pair avec la nature gran­diose du site. Ainsi, environ 10 ou 15 pièces seront exposées, pendant 2 ou 3 semaines, avec les pyramides en arrière-plan. « Les artistes ne pour­ront pas travailler sur place pour des questions de conservation et de présentation. Le titre de l’exposition est Forever is Now, affirmant que nous vivons depuis toujours dans un cercle de créativité qui n’a ni début, ni fin », précise Hana El-Beblawy, membre de l’équipe d’Art d’Egypte, qui effectue de la recherche en art visuel sur le thème de la mémoire et de l’oubli.

Cette dernière a également sélec­tionné les oeuvres de deux exposi­tions tenues récemment, à deux endroits du centre-ville cairote, en collaboration avec la société Ismaïliya pour les biens immobi­liers. L’une s’est déroulée à l’espace The Factory, près de la rue Champollion, et l’autre, au passage Kodak, devant la synagogue de la rue Adly. La première a repris la thématique de l’art pharaonique de manière contemporaine, en montrant pour la plupart des oeuvres déjà exposées à l’événement Lumière éternelle, tenue en 2017 au Musée égyptien. Et la deuxième, Dots (points), a regroupé des artistes, toutes tendances confondues, souli­gnant que toute oeuvre commence par un point, par une ligne, avant de revêtir la forme et le concept voulus, dans des styles différents. Les visi­teurs étaient amenés à se promener entre les deux espaces artistiques, guidés par l’équipe organisatrice, dans une tentative de confirmer l’im­portance du cadre urbain des deux expositions, les premières d’une série de manifestations qui sont cen­sées préparer le grand événement prévu l’an prochain. Une manière de souligner aussi qu’il est nécessaire de penser autrement les modes de présentation au public.

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