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Les multiples facettes de la vérité

May Sélim, Mardi, 24 novembre 2020

La pièce de théâtre Déjà-vu est une adaptation de l’oeuvre du dramaturge suisse Olivier Chiacchiari La Preuve du contraire. Un spectacle comique, touchant et sceptique, signé par le metteur en scène Ahmad Fouad.

Les multiples facettes de la vérité

Vivre tranquillement, en retrait du monde, isolé dans sa maison pour garder sa sérénité, cela semble difficile. Les intrus sont nombreux, et la vie nous implique dans plein d’événements. Souvent, on n’a pas le choix. C’est dans cet esprit que commence la mise en scène d’Ahmad Fouad, Déjà-vu, actuellement sur les planches du théâtre Al-Hanaguer. Il s’agit d’une adaptation de l’oeuvre du dramaturge suisse Olivier Chiacchiari La Preuve du contraire. Un homme se trouve impliqué dans la poursuite de son ami Adam, accusé d’avoir violé la fille d’un pharmacien. Il reçoit ses voisins qui cherchent tous Adam. Chacun raconte l’histoire de ce dernier, selon son point de vue.

Parfois, il croit à la culpabilité de son ami. Parfois, il est certain de son innocence. Chaque point de vue se présente sous forme d’hypo­thèse. Ainsi, à travers dix hypo­thèses, le héros se sent perdu, il n’arrive pas à distinguer le vrai du faux. Il ne sait plus quoi faire : aider son ami, le défendre? Le condamner? Ou jouer à l’indiffé­rent, afin de retrouver la paix ?

Chaque nouvelle hypothèse le pousse à prendre une nouvelle position vis-à-vis de son ami qui n’apparaît jamais sur scène.

Les multiples facettes de la vérité

Le texte de Chiacchiari a été tra­duit vers l’arabe en 2011 par Menha el Batraoui, grâce à une coopéra­tion avec le Centre culturel suisse du Caire Pro Helvetia. Et ce, dans le cadre d’une initiative visant à faire découvrir aux hommes de théâtre et au public égyptiens les textes des dramaturges suisses contemporains. « J’ai travaillé avec Pro Helvetia afin de monter quelques textes du théâtre suisse sur les planches égyptiennes, en 2013. Alors, j’ai découvert ce texte de Chiacchiari. Et depuis, il me hante. C’est un texte qui suggère plusieurs interprétations », explique le metteur en scène Ahmad Fouad.

Ce dernier a égyptianisé le texte, en le trempant d’humour, pour allé­ger les incidents sombres du viol, assez détaillés et brutaux dans le texte original. Il a opté pour une mise en scène partant aussi du concept du déjà-vu.

Les scènes sur les diverses hypo­thèses invitent à la fois le héros et le public à tout recommencer à zéro. En outre, le metteur en scène joue avec le temps, en faisant la différence entre deux niveaux: le temps où se déroulent les événe­ments devant les spectateurs (les scènes qui avancent), et le temps réel où s’est produit vraiment l’in­cident du viol, fixé à 3h du matin. Ainsi, dans la salle de séjour, l’hor­loge marque un temps figé, du début à la fin.

Version caricaturale

Outre le personnage principal, cette version a ajouté d’autres per­sonnages caricaturaux qui sont les voisins qui interviennent dans la vie d’un homme qui cherche à vivre en paix. Ils s’imposent.

Les costumes conçus par Marwa Auda accentuent l’aspect parasite des voisins. L’un d’entre eux est en costume bleu foncé et rouge, c’est l’homme d’affaires, nouveau riche qui agit par intérêt. Son épouse porte une combinaison rouge incar­nant la femme fatale, infidèle, qui cherche à défendre son amant. Un autre couple représente les arri­vistes pauvres. L’homme en tenue sportive est un coureur de jupons qui ne cesse de faire la morale, sur un ton sarcastique. Sa femme, en robe fleurie, s’annonce vulgaire. Bref, leurs comportements, contra­dictoires et exagérés, nous pous­sent au rire.

« J’ai l’habitude de monter des spectacles philosophiques. La comédie y émane des situations dramatiques paradoxales. Je m’éloigne complètement des anec­dotes et du rire facile, très répan­dus dans le théâtre égyptien d’au­jourd’hui. J’ai voulu présenter un spectacle qui répond aux différents goûts. Dans un premier temps, les spectateurs rient de bon coeur, mais aussi à un autre niveau, ils peuvent toucher à plusieurs problèmes sociaux, à portée universelle. Et sur un autre plan, on peut en saisir la vraie morale de la pièce », sou­ligne le metteur en scène.

Le pari est gagné. Car il a réussi à attirer un large public et le théâtre a affiché salle comble, pendant plusieurs soirées, et ce, en dépit de la méfiance qui règne à cause du Covid-19.

Les comédiens sont excellents, surtout Tamer Nabil dans le rôle du héros principal, tiraillé entre les différentes hypothèses. Il passe de la tranquillité à la perplexité, sans aucune exagération. Nous parta­geons sa confusion. Les voisins caricaturaux (Ahmad Salakawy, Basma Maher, Mohamad Youssef et Rahma Ahmad) s’avèrent très à l’aise sur scène.

Une scène-clé annonce la fin et résume tout ce jeu de déjà-vu. Le héros confus se trouve en face à face avec ses quatre voisins. Chacun d’entre eux répète la même phrase deux fois d’affilée, avec la même gestuelle, comme si le comé­dien principal et le public regar­daient une vidéo que quelqu’un est en train de faire reculer, en avan­çant rapidement les scènes.

Vers la fin, le héros entend des coups de frappe à la porte. Son ami Adam le prie d’ouvrir afin d’échap­per aux voisins intrigants, qui cher­chent absolument à le déclarer cou­pable. Perplexe, il hésite à ouvrir la porte. Mais son ami le prie de venir à son secours. Le metteur en scène opte alors pour une fin choquante où le héros se doute de lui-même. Où se trouve alors la vérité ? Souffre-t-il de schizophrénie ? Nous-mêmes, nous n’arrivons pas à nous situer.

Déjà-vu, tous les soirs à 20h, le mardi et le mercredi à 19h (relâche le lundi) sur les planches du théâtre Al-Hanaguer, terrain de l’Opéra, Guézira.

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