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Mémoires de femmes libanaises

Lamiaa Al-Sadaty, Dimanche, 18 octobre 2020

Dans le cadre du festival Between Women Filmmakers Caravan, une table ronde sur « le rôle des femmes dans la reconstruction de la mémoire libanaise » a été organisée via Zoom. Animée par la critique libanaise Houda Ibrahim, cette rencontre a réuni les réalisatrices Arab Lotfi, Rana Eid, Sarah Francis et Rania Rafeï. Compte-rendu.

Mémoires de femmes libanaises
Une table ronde diffusée via l’application Zoom, la semaine dernière.

Essayer de définir le ou les rapports entre le cinéma et l’iden­tité nationale amène à reconnaître une notion redoutable, toutefois mise à l’ombre: la mémoire. Or, le festival Between Women Filmmakers Caravan a décidé de la remettre sur le tapis.

« Dans cette édition, nous avons fait une sorte de panorama des films libanais de 1977 jusqu’en 2019. Appartenant à différentes périodes, ces films témoignent des changements qu’ont connus le pays et ses habitants », souligne Amal Ramsis, fondatrice du fes­tival. La mémoire des faits historiques évolue avec le temps : elle correspond à la perception du passé, dans un présent qui affecte les représentations. « Les documentaires libanais ont tous une dimension humaine. Ils représentent le parcours de la mémoire dans un pays qui a tant souffert: Le Liban. La mémoire de celui-ci a subi toutes sortes de déformations », a expliqué la critique Houda Ibrahim, avant de donner la parole à la réalisatrice d’ori­gine libanaise, vivant au Caire, Arab Lotfi. « L’idée de mon docu­mentaire Al-Bawaba Al-Fawqa m’est venue à cause des moments forts que j’ai connus, à la suite de l’invasion israélienne. C’était un moyen de confronter les tentatives de l’occupant de démolir la mémoire de tout un peuple. De la psycho­thérapie, peut-être », raconte Arab Lotfi, qui a traité dans ce film l’histoire de sa ville natale Saïda, à tra­vers les histoires de ses habitants.

La mémoire influe-t-elle sur les représentations ? « Effectivement! Au moment du tournage de mon documentaire, j’ai été surprise de voir les gens en train de redécouvrir leur propre mémoire. Ils sont les victimes d’une approche systématique de déforma­tion, ciblant leur mémoire. Les films, comme les pho­tos ou les documents, deviennent dans ce cas des élé­ments de témoignage historique », fait remarquer Lotfi.

Par ailleurs, Rana Eid, réalisatrice de Panoptic, a réussi à mettre en lumière une représentation du passé libanais turbulent et de la façon dont la société fait face aux traumatismes. « Panoptic plonge dans la clandestinité de Beyrouth pour explorer la schizophrénie du Liban: une nation qui cherche la modernité tout en ignorant ironiquement les vices qui font obstacle à la réalisation de cette modernité », dit-elle. Alors que la population libanaise a choisi de fermer les yeux sur ces vices, Rana Eid a tenu à explorer les para­doxes de son pays, à travers des monuments sonores embléma­tiques et des cachettes secrètes. « Le fait d’appliquer l’amnistie générale après 15 ans de guerre civile n’est qu’une décision de cacher tous les vices. On a décidé d’enfouir toutes les violences, la corruption, etc. », précise Eid, en affirmant que le cinéma per­met une prise de conscience, surtout dans un contexte enchaînant les défaites. Selon elle, les sociétés triomphantes sont toujours celles qui ont réussi à protéger leur mémoire.

La ville à travers ses habitants

Cette opinion est partagée par Rania Rafeï qui a abordé, avec son frère Raëd, l’année 1974, à travers leur documentaire 74 (The Reconstitution of a Struggle). Des étudiants ont occupé l’Univer­sité américaine de Beyrouth pendant 37 jours, en réponse à une augmentation de 10% des frais de scolarité. « Travaillant à l’ori­gine sur un documentaire sur les mouvements étudiants, l’occupa­tion de 1974 a particulièrement suscité notre intérêt lorsqu’elle a été mentionnée par certaines personnes interviewées », a indiqué Rania Rafeï durant la table ronde.

Sarah Francis a abordé la mémoire autrement. Dans son film Birds of September, une camionnette de verre parcourt les rues de Beyrouth, avec une caméra à l’intérieur. En chemin, plusieurs personnes sont invitées à partager un moment personnel. Leurs confessions sont vraies, franches et intimes. « C’était un moyen de déchiffrer la ville à travers ses habitants. Une expérience plutôt qu’un film suivant une direction précise », a signalé la réalisatrice.

Durant la table ronde, un questionnement sur le rapport entre le genre et la mémoire reconstruite ne pouvait passer inaperçu. « La formation et l’histoire de toute personne influence certainement sa façon d’aborder un sujet donné. Ceci dit, ma mémoire en tant que femme pourrait agir sur ce que je vais traiter; mais je ne vais pas partir de l’idée que je suis une femme car ceci limite l’horizon », confirme Arab Lotfi.

Rana Eid réitère la même idée et affirme : « Il faut éliminer complètement le stéréotype lié à la sépara­tion homme-femme, lorsqu’il s’agit de traiter un sujet. Ceci n’a pour intérêt qu’élaborer une déso­rientation par rapport au sujet principal en ques­tion ».

Sarah Francis a souligné que « chacun a sa spéci­ficité. La mémoire est une sorte de retour vers le passé parce que le présent est fade, et donc incom­préhensible. Le retour au passé devient un moyen pour chercher des clés, permettant de comprendre l’incompréhensible ».

Sur une note optimiste, Arab Lotfi conclut : « La mémoire collective conduit à l’espoir et fournit une force de confrontation ».

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