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Les « adultes » dansent, les Grecs se plient aux ordres

Salma Hussein, Mardi, 19 novembre 2019

Le cinéaste franco-grec Costas Gavras était l'invité du dernier Panorama du film européen, au Caire. Il y a projeté son dernier long métrage, Adults in The Room, qui raconte la crise en Grèce en se basant sur les mémoires de l’ex-ministre grec des Finances et économiste de renom, Yanis Varoufakis.

Les « adultes » dansent, les Grecs se plient aux ordres
Yanis Varoufakis a perdu sa bataille contre l’UE.

Le politicien fait son entrée dans ce qui paraît être, de l’extérieur, le siège somptueux de la Commission de l’Union européenne, à Bruxelles. De l’intérieur, c’est un labyrinthe à longs corridors sombres et froids. Seul et perdu, il cherche une issue pour accéder à la salle des réunions. Les gens qu’il croise, en costume-cravate, lui lancent des regards hostiles. Ils se mettent à le suivre pas à pas, en dansant, resserrant l’étau autour de lui. La foule finit par le forcer à suivre leurs pas dans cette chorégraphie macabre.

Cette chorégraphie représente, en fait, le cauchemar qu’a vécu le premier ministre grec d’alors, Alexis Tsipras, pendant les négociations avec l’Union européenne. Costas Gavras a choisi d’en faire la scène finale de son dernier film, Adults in The Room. C’est la fin triste d’une histoire courte d’un groupe de politiciens de gauche qui a rêvé de défier le lobby des créanciers internationaux. Comment répondre aux diktats de la démocratie européenne et choisir entre la banqueroute des banques et la paupérisation des peuples ? Pas de réponse facile ici.

Le film de Costas Gavras, qui a été projeté au Caire lors du Panorama du film européen (du 6 au 16 novembre), jette la lumière sur la crise économique en Grèce. Un pays qui s’est déclaré en faillite en 2010, menaçant la profitabilité des banques européennes, notamment allemandes, françaises et britanniques. En conséquence, il a été poussé à prendre des mesures qui ont porté atteinte à la croissance économique, mais aussi au bien-être de la majorité de la population grecque.

En 2015, Alexis Tsipras est arrivé à la tête du gouvernement quand la gauche a remporté les élections législatives. Les Grecs l’ont élu en espérant une renégociation de la dette grecque colossale avec l’Union européenne et les autres créditeurs internationaux. C’est lui qui a choisi le professeur d’économie Yanis Varoufakis pour cette mission impossible. Le film de Gavras est basé sur le livre de Varoufakis, Conversations entre adultes : Dans les coulisses secrètes de l’Europe.

Gavras, qui a assisté à la projection-débat du film au Caire, voulait faire un film sur la crise économique de son pays natal. « Mais je ne savais pas par où commencer », raconte-t-il. « Jusqu’à ce qu’un jour, j’ai lu un entretien avec Yanis Varoufakis. J’ai alors trouvé mon film ». Il a alors contacté Varoufakis, qui était en train d’écrire son livre. Gavras a suivi le processus, chapitre par chapitre, pour écrire son long métrage. On y trouve les détails des négociations marathoniennes, à huis clos, avec le groupement des représentants de l’Union Européenne (UE), la Banque Centrale d’Europe (BCE) et le Fonds Monétaire International (FMI).

Thriller politique

C’est ainsi qu’est né un « thriller » politique à la nature documentaire et avec un flair ironique. Adults in The Room raconte l’itinéraire d’une période de 6 mois où la Grèce demandait un délai plus long pour rembourser ses dettes et un adoucissement de l’austérité fiscale imposée par l’Eurogroupe, qui signifiait un nouveau cycle de licenciement de milliers de fonctionnaires publics et le ralentissement de l’économie. Bataille perdue.

Le film, qui explique un sujet très technique, a opté pour la simplicité des cadres, des messages et des personnages. Pour expliquer la crise des dettes, Varoufakis dessine un organigramme ou commente un graphique. La récession est expliquée par des scènes successives de multiples petits magasins fermés. Quand Tsipras se sent coincé et ne sait plus quoi faire, on voit un écran divisé en deux, et dans l’autre moitié de l’écran, un poisson pendu à un crochet essayant, en vain, de s’échapper.

Les personnages, eux, sont divisés pour la plupart en « bons » et « méchants ». Yanis est bon et cool. Alexis est bon et peu expérimenté. L’économiste de l’Eurogroupe a le regard imbécile. Le maître des méchants est le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, qui mène un combat de coq avec son homologue grec, tout au long du film. Pour Gavras cependant, « c’est une tragédie grecque où il n’y a ni bons, ni vilains, mais des gens qui agissent dans leur intérêt propre. Des gens qui simplement ne veulent pas faire de cadeaux à un gouvernement de gauche », a-t-il affirmé dans le débat qui a suivi le film au cinéma Zawya. 5 ans plus tard, un nouveau gouvernement, de droite, a été élu. Le peuple souffre toujours. Les cadeaux ne sont offerts à aucun gouvernement .

Gavras, un cinéaste engagé

Film après film, Costas Gavras, réalisateur franco-grec, assure son engagement pour ses idées contre la violence, le totalitarisme et le capitalisme financier. Il a dirigé 21 longs métrages, afin de soutenir les Palestiniens sous occupation israélienne et critiquer le stalinisme, les gouvernements militaires appuyés par la CIA en Amérique latine, les médias américains peu fiables et, finalement, le capitalisme financier.

A deux reprises, il a été nommé président de la cinémathèque française. Par ailleurs, il a reçu les prix et les décorations suivants pour ses films :

1969 : Z, Prix du jury au Festival de Cannes et Oscar du meilleur film étranger.

1982 : Missing, Palme d’or au Festival de Cannes, Oscar du meilleur scénario adapté et nomination à l’Oscar du meilleur film.

1990 : Music Box, Ours d’or à Berlin.

2002 : Amen, César du meilleur scénario original.

2019 : Nommé Commandeur de la Légion d’honneur. Il est fait chevalier en 1996, promu officier en 2013, puis commandeur en juillet 2019.

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