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Entre oasis de paix et désert

Somaya Azzam, Dimanche, 04 août 2019

Des jeunes qui poursuivent leurs rêves à Charm Al-Cheikh, devenue une ville fantôme au lendemain de la Révolution de 2011. Rempli de symboles et d'allusions, le film Al-Helm Al-Baïd (le rêve lointain) transcende les frontières entre réalité et imagination et échappe ainsi à toute classification.

Entre oasis de paix et désert
Le film transcende les barrières entre documentaire et fiction.

« Ce n’est qu’un film ! », dit-on souvent pour trancher le débat autour d’un long métrage. On pour­rait en dire autant du film de 85 minutes, Al-Helm Al-Baïd (le rêve lointain), du réalisateur égyptien Marwan Emara et de l’Allemande Johanna Domke.

Les événements se déroulent dans un complexe hôtelier de Charm Al-Cheikh, dans le Sinaï, et le film se prête à de multiples inter­prétations, vu qu’il abonde de sym­boles et d’allusions. On court tous derrière ses rêves, à l’ombre des remous politiques et des problèmes économiques. L’ambiance est ten­due et les scènes sont surréalistes. La ville a quelque chose de provi­soire. Les maisons, construites spé­cialement pour le tournage, sem­blent fragiles. Charm Al-Cheikh s’est transformée en une ville fan­tôme, les touristes ne viennent plus et les jeunes gens ne la considèrent plus comme un eldorado. Un groupe de jeunes Egyptiens, appar­tenant à la classe moyenne et moyenne inférieure, est venu s’y aventurer. Cela donne lieu à plu­sieurs situations sarcastiques.

Une scène extérieure, où tout paraît calme. Seul le vrombisse­ment du moteur d’un camion vient ébranler la tranquillité de la ville. Dans le coffre, il y a une peluche de la forme d’un singe qui parle. Encore une fois, il s’agit d’une métaphore. Le singe ne symbolise-t-il pas l’homme primitif? L’être humain n’a-t-il pas pu se dévelop­per grâce à la capacité de rêver et de poursuivre ses rêves, défiant la nature ?

Une ville à paradoxes

La réalité dans le film est déce­vante et les rêves sont avortés. Pour incarner cet état de fait, les réalisa­teurs jouent sur la symbolique des jeunes traversant le désert et l’oasis de paix, représenté par le complexe hôtelier. Celui-ci continue de fonc­tionner, même en l’absence de clients. Charm Al-Cheikh se pré­sente parfois comme un lieu pour les corrompus et les débauchés, regroupant de multiples nationali­tés. C’est aussi la ville moderne du tout est permis. Les séquences fil­mées accentuent l’impression que l’on est dans le vide. De quoi rele­ver une volonté de s’échapper d’une réalité qui pèse sur les per­sonnages. On poursuit son Rêve lointain dans un milieu quasi sur­réaliste, où se rencontrent la ville et le désert, la permissivité et la sta­gnation.

Parmi les caractéristiques de ce long métrage aussi, la transcen­dance des frontières entre réalité et imagination, entre le documentaire et la fiction. Du coup, on parvient difficilement à classer le film, à le ranger sous une étiquette. Et l’on est placé dans une zone grise qu’ont choisie volontairement les réalisa­teurs pour rompre avec les genres stéréotypés. Rien ne se passe, per­sonne ne vient, à la manière de Beckett dans En Attendant Godot. Les spectateurs ressentent l’absur­dité de la situation dans cette ville à paradoxes.

Ayant participé au dernier Festival du cinéma africain, en mars dernier, Le Rêve lointain suscite maintes interrogations à chaque projection. Marwan Emara, l’un des deux réalisa­teurs, essaye de dépasser les questions à préjugés et les classi­fications catégoriques. Il ne cesse de répéter à ses interlocu­teurs: « Regardez le film, ensuite on en discutera ».

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