
Le film transcende les barrières entre documentaire et fiction.
« Ce n’est qu’un film ! », dit-on souvent pour trancher le débat autour d’un long métrage. On pourrait en dire autant du film de 85 minutes, Al-Helm Al-Baïd (le rêve lointain), du réalisateur égyptien Marwan Emara et de l’Allemande Johanna Domke.
Les événements se déroulent dans un complexe hôtelier de Charm Al-Cheikh, dans le Sinaï, et le film se prête à de multiples interprétations, vu qu’il abonde de symboles et d’allusions. On court tous derrière ses rêves, à l’ombre des remous politiques et des problèmes économiques. L’ambiance est tendue et les scènes sont surréalistes. La ville a quelque chose de provisoire. Les maisons, construites spécialement pour le tournage, semblent fragiles. Charm Al-Cheikh s’est transformée en une ville fantôme, les touristes ne viennent plus et les jeunes gens ne la considèrent plus comme un eldorado. Un groupe de jeunes Egyptiens, appartenant à la classe moyenne et moyenne inférieure, est venu s’y aventurer. Cela donne lieu à plusieurs situations sarcastiques.
Une scène extérieure, où tout paraît calme. Seul le vrombissement du moteur d’un camion vient ébranler la tranquillité de la ville. Dans le coffre, il y a une peluche de la forme d’un singe qui parle. Encore une fois, il s’agit d’une métaphore. Le singe ne symbolise-t-il pas l’homme primitif? L’être humain n’a-t-il pas pu se développer grâce à la capacité de rêver et de poursuivre ses rêves, défiant la nature ?
Une ville à paradoxes
La réalité dans le film est décevante et les rêves sont avortés. Pour incarner cet état de fait, les réalisateurs jouent sur la symbolique des jeunes traversant le désert et l’oasis de paix, représenté par le complexe hôtelier. Celui-ci continue de fonctionner, même en l’absence de clients. Charm Al-Cheikh se présente parfois comme un lieu pour les corrompus et les débauchés, regroupant de multiples nationalités. C’est aussi la ville moderne du tout est permis. Les séquences filmées accentuent l’impression que l’on est dans le vide. De quoi relever une volonté de s’échapper d’une réalité qui pèse sur les personnages. On poursuit son Rêve lointain dans un milieu quasi surréaliste, où se rencontrent la ville et le désert, la permissivité et la stagnation.
Parmi les caractéristiques de ce long métrage aussi, la transcendance des frontières entre réalité et imagination, entre le documentaire et la fiction. Du coup, on parvient difficilement à classer le film, à le ranger sous une étiquette. Et l’on est placé dans une zone grise qu’ont choisie volontairement les réalisateurs pour rompre avec les genres stéréotypés. Rien ne se passe, personne ne vient, à la manière de Beckett dans En Attendant Godot. Les spectateurs ressentent l’absurdité de la situation dans cette ville à paradoxes.
Ayant participé au dernier Festival du cinéma africain, en mars dernier, Le Rêve lointain suscite maintes interrogations à chaque projection. Marwan Emara, l’un des deux réalisateurs, essaye de dépasser les questions à préjugés et les classifications catégoriques. Il ne cesse de répéter à ses interlocuteurs: « Regardez le film, ensuite on en discutera ».
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