La guerre égypto-israélienne est le thème d’innombrables oeuvres cinématographiques. Longs et courts métrages, documentaires, séries ou téléfilms, cette partie de l’Histoire reste sans doute l’une des plus retranscrites sur les écrans. Films de guerre ou drames, les deux sujets semblaient avoir été écumés par les réalisateurs égyptiens … Mais c’était sans compter sur l’innovation de Chérif Arafa avec Al-Mammar (le couloir).
Il s’agit dans ce film de la période dite de la guerre d’usure entre l’Egypte et Israël, commencée au lendemain des attaques aériennes israéliennes le 5 juin 1967 contre l’Egypte, et qui a duré jusqu’en 1970. Une série d’opérations militaires effectuées par les forces spéciales égyptiennes, formées de commandos, ont donc eu lieu, jusqu’à la victoire de l’Egypte le 6 Octobre 1973. C’est autour de l’une de ces opérations militaires égyptiennes que se déroulent les événements du film. Le héros du film, Nour— intreprété par Ahmad Ezz—, est un officier égyptien qui, comme la grande majorité des officiers et des soldats des forces armées égyptiennes, était avide de se venger et de récupérer le Sinaï, occupé par Israël en 1967. Le film jette la lumière sur la souffrance des soldats et des officiers après le retrait des forces égyptiennes du Sinaï à l’issue du 5 juin 1967, ce qui les a conduits à réaliser la grande victoire du 6 Octobre en 1973.
Sans gâcher la trame, on suit tout le long du métrage des histoires humaines de personnages égyptiens en quête de victoire en dépit de toutes les difficultés et des entraves auxquelles ils sont confrontés. Al-Mammar (le couloir) n’est pas ce fossé où les soldats prennent refuge pour rester à l’abri des bombardements, comme le supposent d’aucuns, mais c’est, comme le disent les personnages eux-mêmes à travers le dialogue, la période transitoire entre la chute du 5 juin 1967 et la victoire de 1973.
Onirique, symbolique et contemplatif, le film s’ouvre sur des images documentaires et surprend dès son ouverture par cette troublante sérénité qui s’en dégage et sa dimension philosophique unique en son genre dans un film de guerre.
Dès les premières secondes, on reconnaît la marque inimitable du réalisateur-auteur. Chaque plan est finement rédigé et dessiné comme une oeuvre d’art, et baigné dans un éclairage sublime. Ce travail de fourmi aboutit à des instants magiques comme lorsque la caméra posée dans l’un des hélicoptères de l’ennemi balaie le désert et l’un des soldats égyptiens, Hilal– campé merveilleusement par Mohamad Farrag— se met seul contre ces hélicoptères, essayant de tirer sur eux avec son arme à feu, pour faire sentir à ses ennemis qu’il n’a pas peur d’eux, et qu’il s’obstine et continue à les attaquer jusqu’au jour où il récupérera sa terre. Plein de messages donc à transmettre à travers chaque scène du long métrage.
Le film— écrit par Chérif Arafa, et dont le dialogue est signé par le parolier Amir Téeima— est construit par étapes, chaque étape distance l’étape antérieure en ce qui a trait au sens, à l’esthétique et à l’émotion. La première heure nous plonge progressivement dans cet enfer qu’est le cauchemar— comme le décrit le film — de la défaite de 1967. Le décalage entre la violence de la guerre et les sentiments nobles des guerriers égyptiens est remarquable. Le choix d’avoir recours à quelques scènes et images documentaires renforce la crédibilité, la tension et le look ancien, dans lequel toute l’oeuvre est ancrée.
Se distinguer par son humanisme
‡Le Couloir est plus qu’un simple film, il est heureusement beaucoup plus que cela. Une autre erreur serait de juger Al-Mammar à l’aune d’une attente qui a duré de longues années pour avoir un film de guerre égyptien sur nos écrans, un projet longtemps caressé et enfin réalisé n’étant pas un gage suffisant de réussite. Si le film impressionne tant, c’est plus à cause des risques qu’il prend et des paris qu’il relève que par sa volonté de prétendre être un chef-d’oeuvre. Pourtant, Al-Mammar appartient bien à un genre, le « film de guerre ». Mais c’est un film de guerre où il faut attendre une heure pour que la trame essentielle prenne la relève, celle des soldats en tant qu’êtres humains qui décident de venger leur patrie et leur dignité, et où la conduite du récit est assurée par une foule de personnages tous principaux.
C’est cette honnêteté du cinéaste visionnaire qui fait du Couloir un film si beau et si étrange, un film-événement par son ambition, son ampleur, sa pléiade de stars, un film de guerre complètement exceptionnel par son côté contemplatif. Comme souvent chez Chérif Arafa, de bonnes images valent mieux qu’un long scénario.
En effet, Chérif Arafa ne renonce pas à la veine philosophico-poétique qui est la sienne, rare dans un film de guerre, et nous livre une oeuvre réussie et impressionnante, romantique et nourrie d’histoires, de culture et de patrimoine. Car en vérité, Arafa ne cache pas la portée humaine, sociale et dramatique de son film, il préfère dépasser les données historiques de la fameuse bataille du 5 juin, pour aborder la défaite et la victoire dans leur être même. Cinéaste aimant se faire distinguer, Chérif Arafa a passé des mois avant de rédiger et de réaliser son nouveau film d’auteur, Le Couloir. Si bien que de nombreux acteurs célèbres s’étaient déclarés prêts à tout, ne serait-ce que pour avoir un tout petit rôle dans une scène.
Au final, Al-Mammar, de 2 heures 09 minutes, affiche l’un des castings les plus impressionnants du cinéma actuel, loin de verser dans la simple accumulation de visages connus. Les hommes, qui forment l’escouade élue pour faire l’opération militaire contre la base militaire israélienne, sont des personnages différents que la guerre a soudés. Le réalisateur parvient en effet très vite à mettre tout le monde à un niveau d’égalité et à nous faire oublier les stars présentes, immergées dans leurs personnages.
Casting assez différent et compact
Tout le casting se donne à fond, et presque tous y laisseront leur peau. Ahmad Ezz éblouissant et serein dans le rôle du commandant, Hind Sabri, sa femme, toujours sage, Chérif Mounir dans le rôle d’un policier sage et patriotique, tous trois viennent de camper des rôles renforçant leur talent et les capacités de comédiens. Ahmad Rizq reste le fournisseur des sourires et de la touche comique, malgré un certain over-acting qui n’a pas gâché le tout. Mais les comédiens Mohamad Farrag, Mohamad Gomaa, Ahmad Salah Hosni, Mahmoud Hosni, Mohamad Al-Charnoubi et Asmaa Aboul-Yazid sont les belles surprises de l’oeuvre, à travers une prestation plus qu’exacte, plus que qu’impressionnante. Iyad Nassar s’avère être un vrai monstre d’interprétation, jouant à merveille le rôle du violent commandant israélien, prouvant une fois de plus sa verve d’acteur encore sans limites.
Reste à mentionner la bande musicale bien adéquate sans être originale ni éblouissante, signée Omar Khaïrat, les belles chansons présentées par Mohamad Al-Charnoubi, le montage assez vif malgré quelques minutes de longueur lors de la première heure du film, mais surtout la belle image caractéristique tout le long de l’oeuvre.
Bref, force est d’admettre qu’Al-Mammar peut bien trouver une petite place au panthéon des films de guerre. On pourra dire ce qu’on veut sur Chérif Arafa, ses messages plus ou moins subtils, mais c’est un conteur hors pair. On ne peut affirmer qu’il était mal armé pour nous offrir ce très beau moment de cinéma. La différence du cinéaste, son identité, est bien là, capable d’inscrire dans le temps des productions pour un public très large, maniant à merveille les visions moyennes de ses différents thèmes. Intelligent dans sa technique et dans son drame, le film reste un succès pour toute son équipe de travail .
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