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Cannes : Rideau sur une édition exceptionnelle

Yasser Moheb, Lundi, 27 mai 2019

La Palme d’or pour le Sud-Coréen Bong Joon-ho, le prix d’interprétation masculine pour l’Espagnol Antonio Banderas. Ainsi s’achève le 72e Festival de Cannes. Bilan d’une édition totalement réussie.

Jean-Pierre et Luc Dardenn
Jean-Pierre et Luc Dardenn

De notre envoyé spécial —

Et voilà, c’est la clôture de ce 72e Festival du film de Cannes. Après 12 jours riches en cinéma, en émotions, en stars, en polémiques et discussions, et en récompenses, Cannes enroule son majestueux tapis rouge, éteint ses projecteurs et ferme les portes de ses salles sur un cru assez exceptionnel et riche en films, en célébrités et en glamour.

Présidé par le réalisateur mexicain Alejandro Gonzalez Inarritu, le jury vient de délivrer son palmarès à la fin d’une soirée de clôture à nouveau maîtrisée par le comédien français Edouard Baer. Mais alors que tout le monde a été divisé à commenter le destin des lauréats et des perdants, le Palais des Festivals a assisté à la projection de Hors Norme, le nouveau film de Nakache et Toledano. Nouveau hold-up comique, ce film met en scène Vincent Cassel et Reda Kateb, dans un milieu assez délicat, celui des mineurs autistes en banlieues.

Parasite de Bong Joon-ho
Parasite de Bong Joon-ho

Outre quelques polémiques, comme celle autour d’une pétition sur Internet, contre l’hommage à Alain Delon, ou celle concernant la demande faite aux journalistes de signer un formulaire d’embargo pour éviter le dévoilement des détails des films projetés, le Festival de Cannes a tenu ses promesses, en se révélant plus cinéphile, plus engagé et plus glamour.

A la différence de l’année dernière, la compétition officielle comptait cette année plusieurs excellents films signés par les plus grands noms du cinéma, et dont quelques-uns ont été qualifiés de films intégrateurs, dont il apparaissait dès leurs projections qu’ils pourraient être présents dans le palmarès.

Parmi ces beaux films qui se sont imposés cette année, figure Douleur et gloire signé par le fameux Matador Pedro Almodovar. Pour sa 6e nomination à Cannes, l’Espagnol a conquis les festivaliers avec cette autofiction, incarnée par ses acteurs fétiches, Antonio Banderas dans le rôle d’un réalisateur vieillissant, et la sublime Penelope Cruz dans le rôle de la mère du héros.

C’était donc un coup de coeur et l’un des grands rendez-vous de ce cru cannois. Scènes prenantes et acteurs tous splendides, ce nouveau film de Pedro Almodovar n’a cessé, dès sa projection, de s’imposer comme une réussite totale et l’un des plus attendus le soir du palmarès. Le scénario de Douleur et gloire intéresse, même si l’oeuvre reste encombrée par trop de subjectivité, voire de narcissisme. Un magnifique récit autobiographique sur l’inspiration, la dépendance, la dépression et le retour du désir.

Un Parasite fort salué

Parmi les films, qui ont eu l’unanimité des festivaliers, des critiques et même des jurés, puisqu’il a décroché la Palme d’or, le génial Parasite de l’auteur sud-coréen Bong Joon-ho. Ayant reçu une standing-ovation presque aussi longue que celles des films de Tarantino et d’Almodovar, Bong Joon-ho revient dans cette oeuvre au thriller explosif et en Corée pour une nouvelle satire politique et sociale. Drôle, baroque, violent, fictif et maîtrisé, le Coréen le plus renommé de sa génération signe là une petite bombe qui confirme son statut de cinéaste doué.

L’islamisme radical selon les frères Dardenne

Antonio Banderas.
Antonio Banderas.

Toujours sur le même chemin des come-backs, les frères belges Jean-Pierre et Luc Dardenne reviennent avec leur nouveau drame social, Le Jeune Ahmed, un portrait opportun sur l’islamisme radical parmi le quotidien des adolescents musulmans en Europe, et surtout en Belgique.

Il s’agit du jeune Ahmed, un adolescent belge de 13 ans, qui est déjà fanatisé. Sous l’allure d’un imam altruiste, il s’apprête à tuer sa professeure Inès. Fidèle à leurs habitudes, la caméra mobile des cinéastes filme une âme en mouvement, ici conduite vers la mort. Ils mettent sur sa route— d’après les événements — des personnages bienveillants mais malheureusement impuissants. Sa mère, ses éducateurs, les propriétaires de la ferme où il est placé, leur fille Louise, chacun essaie en vain de ramener le garçon du côté de l’humanité.

Elia Suleiman
Elia Suleiman

Mais, plus qu’un film sur l’islam radical, le tandem fraternel belge tenait à rappeler que Le Jeune Ahmed est avant tout un film sur la jeunesse, l’éducation et le libre-arbitre. Un métrage qui ne juge pas, mais qui montre la causalité sociale, l’importance des relations familiales et du contexte social et religieux qui peuvent dévier l’individu de son humanité et de son lien à l’autre et à la société dans laquelle il vit.

Réconciliation Cannes-Hollywood

Tarantino, Jarmusch, Terrence Malick, Sylvester Stallone, ou Elton John, et d'autres. Après une édition 2018 presque sans stars américaines, la 72e édition du Festival de Cannes frappe fort, et les relations semblent se réchauffer entre Cannes et les studios hollywoodiens, dans un contexte de concurrence toujours vive avec Venise, Berlin et Toronto.

Accompagné de Leonardo DiCaprio et de Brad Pitt, l’enfant prodige hollywoodien de Cannes, Quentin Tarantino, a réussi cette année à conquérir la Croisette avec son long métrage « Once Upon a Time... In Hollywood», un vibrant hommage au cinéma américain.

25 ans après sa Palme d’or, 15 ans après sa présidence du jury, 10 ans après son dernier film en compétition, Tarantino a fait cette année son retour au Festival de Cannes avec un casting riche en stars— Brad Pitt, DiCaprio et Margot Robbie — qui a fait certes sensation, mais était loin d’être attendu au palmarès. Ce chant d’amour à Los Angeles, à l’aube des années 1970, sur fond de culture hippie et avec la sanglante famille de Charles Manson, vient de réaffirmer le goût assez pop et fou du réalisateur, qui n’a pas hésité à publier une lettre ouverte sur les réseaux sociaux à destination des festivaliers, leur demandant de ne pas diffuser de spoilers à propos de son film. Une première pour un film en lice pour la Palme d’or. « Les acteurs et l’équipe ont travaillé dur pour créer quelque chose d’original, et je demande juste que tout le monde évite de révéler quoi que ce soit qui empêche les futurs spectateurs de vivre la même expérience devant le film », demande ainsi le cinéaste déjà palmé pour son film Pulp Fiction.

Une « Palme Dog » méritée !

Remise depuis 18 ans pendant le Festival de Cannes, elle vise à récompenser la plus belle prestation à l’écran d’un animal, après de longues délibérations par un jury de professionnels du cinéma. Cette année, ce prix, de plus en plus connu parmi les films en lice pour la Palme d’or, est allé à Brandy, la chienne-héroïne du film de Tarantino. Une affaire prise très au sérieux par le réalisateur américain, puisqu’il est venu lui-même prendre la récompense, accompagné de la véritable lauréate, la femelle pitbull Brandy, saluée pour son « jeu » dans Once Upon A Time... In Hollywood. « Je dédie ce prix à ma formidable actrice Brandy », a-t-il déclaré. Associé au site Wamiz, ce prix, Palme Dog, avait par exemple couronné en 2011 Uggie, le Jack Russel du film français The Artist.

Le scandale Kechiche

La projection jeudi soir sur la Croisette du nouveau film Mektoub, My Love: Intermezzo de Abdelatif Kechiche, 48 heures avant le palmarès, a suscité des réactions assez acharnées. Alors que quelques-uns crient au génie, la grande majorité des festivaliers et des critiques se sont déclarés vexés de la multiplication des scènes érotiques crues au détriment du scénario de ce film fleuve (3 heures et demie). La comédienne Ophélie Bau, l’une des actrices principales, n’a participé ni à la séance photo, ni à la conférence de presse du film, qui s’est déroulée dans une ambiance électrique. D’ailleurs, elle n’était plus dans la salle lorsque les lumières se sont rallumées dans le Grand Théâtre Lumière ! L’obsession connue du cinéaste pour l’anatomie féminine filmée sous toutes ses coutures jusqu’à la répugnance n’a cessé de susciter des réactions qui allaient en crescendo jusqu’au palmarès.

De l’émotion made by Delon et Elton John

De l’émotion, il y en a eu certes pour le monstre sacré du cinéma français: Alain Delon. Touché, ému et bouleversé, il a reçu sa Palme d’or d’honneur des mains de sa fille Anouchka, et a tenu à remercier le public pour son amour pendant soixante-deux ans, faisant fi des accusations lancées à son encontre par des associations féministes. Il n’a pas hésité à écrire une lettre pour adresser ses remerciements à son public, à « vous qui avez fait ce que je suis », tout en touchant ses fans par ses derniers mots lors de la cérémonie : « Maintenant je vais vous quitter en paix, je vais partir ! ».

Venu sur la Croisette pour la présentation hors compétition du biopic Rocketman de Dexter Fletcher, dont il fait l’objet, Elton John, la star britannique légendaire, est apparu les yeux rougis, malgré ses lunettes en forme de coeur, à l’issue de la projection. Pour le plus grand plaisir des festivaliers, il a ensuite interprété seul au piano le tube « I’m still standing » (1983) sur la plage du Carlton.

Bref, excellent cru cinématographique, avec des films de tous genres, une armada de stars, des polémiques et des débats sur l’actuel et l’avenir du 7e art, cette 72e cuvée a été la scène de multiples activités immanquables, toutes dignes du nom et de la renommée de ce festival numéro un du monde. Pari gagné !

Palmarès de la 72e cuvée cannoise

C’est Parasite du réalisateur sud-coréen Bong Joon-ho qui a obtenu la Palme d’or, la récompense suprême de cette 72e édition, alors qu’Atlantique de la Franco-Sénégalaise, Mati Diop, remporte pour sa part le Grand Prix, avec une Mention spéciale décernée au Palestinien Elia Suleiman pour son film It Must Be Heaven (ce doit être le paradis).

Palme d’or : Parasite de Bong Joon-ho.

Grand Prix : Atlantique de Mati Diop.

Prix du jury : Ex-aequo, Les Misérables de Ladj Ly, et Bacurau de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles.

Prix d’interprétation féminine : Emily Beecham pour Little Joe de Jessica Hausner.

Prix d’interprétation masculine : Antonio Banderas pour Douleur et gloire de Pedro Almodovar.

Prix de la mise en scène : Le Jeune Ahmed de Jean-Pierre et Luc Dardenne.

Prix du scénario : Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma.

Mention spéciale : It Must Be Heaven d’Elia Suleiman.

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