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Réinventer les objets du quotidien

Soheir Fahmi, Lundi, 15 octobre 2018

A la galerie Zamalek, Zeinab Salem expose des plats en poterie. Allant au-delà d'une décoration traditionnelle, elle en a fait de véritables oeuvres d'art.

Réinventer les objets du quotidien
Des plats qui rompent avec le traditionnel pour créer des univers nouveaux.

Depuis la nuit des temps, l’homme s’in­vente des outils pour s’aider à vivre, des armes de guerre ou des armes contre les mau­vais esprits qui lui font peur et, surtout, des outils qui lui facilitent la vie au quotidien. Ainsi, les plats de poterie sont très présents dans toutes les civilisations, et notamment dans les tombeaux des pharaons. L’artiste Zeinab Salem s’intéresse à ces plats qui consti­tuent une part importante de notre quotidien civilisé et regarde de plus près, avec son regard d’artiste, leur monde inexploré et ce qu’ils nous offrent d’inattendu et de surprenant.

Déjà pas mal de jeunes artistes ont repris ces plats si banals pour leur ajouter des touches folkloriques: des lunes, des poissons et beau­coup d’autres signes pour vaincre le mauvais oeil ou porter chance. Zeinab Salem va plus loin et cherche à en faire des pièces d’art à part entière.

Sans toucher à leur forme arrondie, qu’elle ne respecte toutefois pas entièrement, elle crée des mondes nouveaux. On aimerait même qu’elle aille plus loin et transforme complètement le rond en vigueur. Dans ses plats aux formes déformées, mais artistiques, elle peint comme sur une planche — ses rêves, ses douleurs et ses joies. Elle n’est plus dans l’harmonie tradition­nelle, mais dans la vérité. Du marron, du noir, du bleu foncé racontent des états d’âme, la tristesse, la colère, le désespoir ou la rage. D’autres fois, la clarté d’un vert pastel rappelle la tendresse d’un monde calme et serein. L’artiste ajoute quelquefois des boules de peintures dorées pour nous rappeler le monde traditionnel des plats que nous connaissons tous. Cependant, ses petits points dorés parsèment de manière originale et asymétrique le dessus des plats. Comme une dernière pincée de sel qui ajuste le goût d’un met bien cuisiné.

Zeinab Salem ne se contente pas des couleurs, elle travaille également les textures. Sur des plats, ce qui ressemble à des ramassis de boue, des enflures et de nouvelles formes à l’intérieur d’anciennes rappellent des moments d’angoisse et de chemins barrés. Et ce, en plus des formes rabougries, qui ont du mal à tenir et à former un rond.

Chaque plat représente un univers

Les contours des plats racontent eux aussi un monde nouveau. Non symétriques et s’ondulant de manière incongrue, ils complètent l’univers de la planche. En rentrant dans la galerie, un panneau recouvert de nombreux plats présente un monde où les détails sont encore plus impor­tants que le tout. L’ensemble de ces plats forme une sorte de grande carte du ciel où chaque pla­nète a sa place et son autonomie et où le tout forme une galaxie qui est bien plus qu’un assem­blage — la création d’un monde nouveau. A nous de contempler à notre guise ce monde nou­veau.

Au cours de la promenade au sein de la gale­rie, nous avons la latitude de contempler à notre guise de grands plats qui s’étalent dans la majesté de leur grandeur. Chaque plat comporte un univers qui lui est propre et où le jeu des couleurs et des textures livre un message person­nel qui ne doit pas être pour autant le nôtre. Des plats qui pourraient être posés sur des tables offerts aux regards des visiteurs, mais gardant toujours une part de leur mystère. Ils soufflent dans l’intimité de leurs détours des messages secrets. Des messages de labeur, de tradition et d’innovation.

Dans une petite salle, trois poupées en terre cuite dans des postures différentes semblent s’amuser. Elles sont les seules à peupler la pièce et ne sont pas sans rappeler ces petites poupées en papier que l’on pique de toutes parts pour conjurer le mauvais oeil, tout en prononçant le nom de la personne qui cherche à nous faire du mal.

Avec son attitude joviale et son air enjoué, l’artiste de 73 ans explique avec humour et sans se prendre au sérieux: « J’ai découvert que j’avais produit un grand nombre de plats et que j’en étais satisfaite. Je me suis dit que j’allais attirer le mauvais oeil et ça m’a donné l’idée de ces poupées ». Sa spontanéité accen­tue la beauté et la profondeur des oeuvres exposées. De toute manière, rien de mal ne peut plus l’atteindre grâce à ces poupées !

Poteries de Zeinab Salem, à la galerie Zamalek, jusqu’au 29 octobre. De 10h30 à 21h, sauf le vendredi. 1, rue Brésil, Zamalek.

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