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Une belle fuite en arrière

Soheir Fahmi, Lundi, 28 mai 2018

Le téléfeuilleton Layali Eugénie (les soirées d’Eugénie), diffusé sur la chaîne CBC, se démarque des autres oeuvres ramadanesques par l’ambiance des années 1940, qui nous place en dehors des temps actuels.

Une belle fuite en arrière
Des histoires d’amour, sur un ton nostalgique.

Le téléfeuilleton Layali Eugénie (les soirées d’Eugénie) nous offre une plongée dans le temps, vers la fin des années 1940. On a le plaisir de savourer une autre époque nostalgique, celle d’une Egypte cosmopolite. Dans la ville de Port- Saïd, nous suivons le rythme de la vie et d’un temps où la beauté des lieux rejoint la propreté et la diversité des êtres humains qui s’y côtoient. Nous vivons une croisée de chemins où des étrangers natifs d’Egypte commencent à quitter les lieux. Le décor qui a su reproduire les quartiers riches ou populaires de cette ville côtière reste l’un des éléments majeurs de la réussite de ce feuilleton qui se démarque de la foulée des nombreux feuilletons du Ramadan.

Un café trottoir est tenu par une Italienne native d’Egypte (la comédienne Ingie Al-Moqaddém) qui parle parfaitement l’arabe tout en gardant sa langue d’origine. Elle a un lien d’amitié avec les différents clients des lieux, des habitués qui nous livrent les uns et les autres une part de leur histoire. Nous devenons donc nous aussi des habitués. En effet, dans ce feuilleton, grâce à un scénario bien ficelé et au talent du réalisateur Hani Khalifa qui a le souci du détail, notre immersion dans ce moment historique se fait sans difficulté, disons même avec plaisir. D’ailleurs, les feuilletons qui reprennent l’histoire de l’Egypte des années 1940, comme Grand Hôtel il y a deux ans et Layali Eugénie de cette année-ci, attirent un grand nombre de spectateurs. Cette fuite en arrière, alors que nous vivons un moment chaotique de notre histoire, et le retour à une Egypte où les rues étaient propres avec de belles demeures, font revivre le sentiment de fierté d’appartenir à un pays dont la force est due à la coexistence des groupes ethniques et sociaux. Hani Khalifa joue sur cette corde sensible d’évasion en arrière et cultive le détail. Dans les décors des maisons riches ou pauvres, dans les vêtements bien faits, sauf pour les chapeaux que les femmes gardent dans les maisons quel que soit le moment, le plaisir est entier.

Tout est implicite

Le scénario et la mise en scène avancent ensemble dans une excellente coordination. Sans oublier le montage rapide qui laisse au spectateur la latitude de comprendre à demi-mot sans s’attarder sur les situations et sans explications ennuyeuses. En effet, tout en avançant des bribes de conversations ou de situations, le puzzle se complète. Hani Khalifa, chef d’orchestre de tout ce monde, a choisi une mise en scène qui suggère implicitement. Les regards, les gestes des mains et des corps nous disent plus longuement que la parole. Tout ou presque se fait au niveau du regard. Le réalisateur effleure le sens sans trop s’attarder et laisse aux faits la possibilité de se compléter au fur et à mesure.

Ainsi, la situation du docteur Farid, campé par Zafer Al-Abdine, ne se clarifie qu’après plusieurs bribes de conversations. Le regard et le geste remplacent souvent la parole, notamment lorsque Karima (Amina Khalil) passe la nuit dans la demeure du docteur Farid à cause de la pluie. L’envie du docteur Farid de taper à sa porte est réprimée par un simple tapotement de la main sur la rampe de l’escalier. Le sentiment très fort qui nous habite, depuis le début, d’un amour qui se tisse entre Farid et Karima est renforcé par les regards stupéfiés d’Amina lorsqu’elle apprend que Aïda est sa femme et que le bébé qu’elle porte dans ses bras n’est que sa fille. La superbe chanson du générique nous en dit long sur le déroulement de l’intrigue, sans brûler les étapes. La souffrance que vit le docteur Farid à cause du décès de son frère, son mariage imposé et les regards tristes du médecin qui aide les autres sans pouvoir s’aider lui-même nous touchent profondément. La vie de souffrance qu’a vécue Karima et ses regards perdus sont autant d’éléments qui favorisent cet amour. De même, les regards tristes de la fille de Sedqi bey, le propriétaire de l’hôtel, nous apprennent que la discussion de son père sur le mariage éventuel de ce dernier a été pénible. Tout se fait à demi-mot. Les exemples abondent. Toutefois, les ingrédients des temps passés, l’évolution d’une idylle romanesque, le bar-restaurant Eugénie, ses danses et ses clients, l’idylle du propriétaire avec l’une de ses employées (Entissar), l’amour frustré de Aziz (Mourad Makram), souffrant de la présence d’une mère autoritaire (Laïla Ezz Al-Arab), les sacrifices d’une jeune chanteuse talentueuse (Asmaa Aboul-Yazid) … tout est raconté à travers des scènes et des séquences rapides qui aident à la réussite de ce feuilleton. L’ensemble nous emmène loin des problèmes de notre quotidien. Cependant, certaines scènes entre Zafer Al-Abdine et la comédienne libanaise incarnant son épouse, ou lorsqu’il écrit ses notes, sont inaudibles. Dommage, car elles offrent un aspect profond qui explique certains faits. Il reste que le feuilleton offre un moment de paix dans notre monde et sa réussite réside dans le plaisir qu’on a tous les jours à suivre.

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