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Festival de Cannes 2018 : Une édition féminine

Yasser Moheb, Lundi, 21 mai 2018

Après onze jours de projections, de soirées, de colloques, de soleil frappant et de pluie parfois non-stop, la 71e édition du Festival de Cannes s’achève. Le jury, présidé par la cinéaste australienne Cate Blanchett, a rendu son verdict. La compétition était très ouverte et marquée par une forte présence féminine.

Festival de Cannes 2018 : Une édition féminine
Les Filles du soleil d’Eva Husson.

Clap de fin ! Voilà, le tapis rouge peut être rangé, les sublimes robes et les costumes élégants vont retourner dans le dressing, puisque le rideau est tombé sur le 71e Festival de Cannes. Une édition spéciale qui vient de s’achever, illustrée par la variété de ses découvertes venues du monde entier, le caractère souvent saillant de ses propositions et la présence d’un grand spectacle fédérateur, mais avant tout sous un prodigieux « culte » assez féminin.

Au-delà du spectacle de ses soirées et des thèmes variés de ses opus, Cannes 2018 a brillé par plusieurs événements et aventures artistiques, aussi bouleversants qu’exigeants. Avec un jury composé de cinq femmes et de quatre hommes. Le Festival de Cannes a progressé clairement dans sa représentation des femmes. L’actrice et réalisatrice américaine Kristen Stewart, la Française Léa Seydoux, la scénariste américaine Ava DuVernay et la chanteuse burundaise Khadja Nin avaient la lourde tâche de départager les films de la sélection de cette 71e édition aux côtés de leur présidente australienne engagée, Cate Blanchett.

Si l’année dernière, Pierre Lescure, président du Festival de Cannes, et Thierry Frémaux, son délégué général, avaient insisté sur la féminisation de la 70e édition, il faut souligner que le nombre de réalisatrices représentées à Cannes augmente d’année en année. En 2018, 11 réalisatrices, soit 25 % des cinéastes, ont été sélectionnées par les instances du festival, dont trois pour la prestigieuse sélection officielle : la Libanaise Nadine Labaki avec son film Kafr Naoum, l’Italienne Alice Rohrwacher avec Happy as Lazzaro (heureux comme Lazzaro) et la Française Eva Husson avec son opus Les Filles du soleil. Loin de certaines évaluations assez agressives et préjugées des critiques qui ont accueilli la projection du film Les Filles du soleil, il s’agit d’une oeuvre touchante sur le courage et la bravoure des femmes kurdes, et non pas d’un simple film de guerre. Deuxième long métrage d’Eva Husson, cette oeuvre a visé à concilier le récit romanesque et l’évocation des tragédies kurde et yézidie, auxquels la cinéaste allie finement un récit de guerre beau et original ainsi qu’un portrait passionné de combattante kurde, porté par la rayonnante Iranienne Golshifteh Farahani, dont la prestation est tout simplement prenante. En bref, le film parle de la guerre qui a opposé Daech aux combattants kurdes pendant les années 2014 et 2015. Celle-ci a longtemps attiré l’attention des médias occidentaux, désireux de couvrir la lutte contre Daech tout en fournissant au grand public européen un angle jugé batailleur. Le long métrage s’est attaché aux femmes qui ont pris les armes dans des unités rattachées à diverses dépendances kurdes et ont affronté les forces extrémistes de Daech. Un autre chapeau bas thématique adressé à la femme, bienvenu pour la direction du festival dans son hommage visé à tout ce qui est féminin.

Ce qui libère Husson, qui signe également le scénario, c’est sa décision, prise dès les préparations de son oeuvre, de refuser de donner une idée claire de l’origine de ces unités féminines et de leur place dans le paysage kurde. Elle s’est contentée de raconter une histoire fictionnelle, qui se passe quelque part au Kurdistan. Bahar — Golshifteh Farahani — commandante des Filles du soleil, bataillon composé de femmes soldates kurdes, est sur le point de reprendre la ville où elle avait été capturée par les extrémistes quelques mois auparavant. Mathilde — interprétée habilement par l’actrice et réalisatrice française Emmanuelle Bercot —, journaliste française, couvre les trois premiers jours de l’offensive. La rencontre entre les deux femmes fait remonter à la surface le parcours de Bahar depuis que les hommes en noir ont fait irruption dans sa vie et lui ont enlevé son fils.

Une manière stylistique qui mène de front intelligemment et discrètement le portrait de l’héroïne et le récit de guerre inséparables, en construisant le film par flash-back successifs. Pas juste de souvenirs, mais des phases indispensables à la compréhension du personnage et du contenu : le massacre de civils auquel elles ont participé, les abus endurés, l’emprisonnement et l’esclavage sexuel. Le spectateur se trouve en pleine émotion, face au blindage qu’ont dû se forger ces combattantes, la foi dans leur mission de liberté et la rage de combattre, que la réalisatrice-scénariste a résumées en une chanson et un slogan crié par les protagonistes « La femme, la vie, la liberté ». Les sentiments et la tension sont à leur comble tout au long du film, sans oublier la belle image, le montage habile et la bande musicale légendaire et superbe.

82 cinéastes engagées

Ce n’était pas un pur hasard que la direction du festival organise une montée des marches 100 % féminine le jour même de la projection de Les Filles du soleil, comme si elle voulait annoncer un support quasi complet de la part de la Croisette à l’égard des femmes dans toutes leurs activités et tous leurs problèmes. 82 femmes du monde du cinéma, dont la présidente du jury Cate Blanchett et la réalisatrice Agnès Varda, ont réclamé lors de cette manifestation « l’égalité salariale » dans le milieu. Cette première dans l’histoire du festival vient marquer cette 71e édition, la première depuis l’éclatement du scandale Weinstein, le producteur hollywoodien accusé de harcèlement sexuel et de viol par plus d’une centaine de femmes à travers le monde, stars comme actrices débutantes. Loin d’être insignifiant, le chiffre 82 fait référence au nombre de femmes retenues en compétition pour la Palme d’or par le festival depuis sa première édition en 1946. Kristen Stewart, Léa Seydoux, Khadja Nin, Ava DuVernay, Cate Blanchett, Agnès Varda et Céline Sciamma y ont répondu « présent ». « Nous mettons au défi nos gouvernements et nos pouvoirs publics d’appliquer les lois sur l’égalité salariale », a déclaré Agnès Varda, qui a pris la parole aux côtés de la star australienne Cate Blanchett, toute de noir vêtue.

Lors de cette manifestation fortement couverte par les journalistes et les médias participant au festival no1 du monde, ces cinéastes et réalisatrices ont souligné que, depuis sa création, 71 réalisateurs avaient reçu une Palme d’or, contre seulement deux femmes : Jane Campion en 1993, pour La Leçon de piano, ex-aequo avec le Chinois Chen Kaige, et Agnès Varda elle-même, pour une Palme d’honneur en 2015. « Les femmes ne sont pas minoritaires dans le monde et pourtant, notre industrie dit le contraire », ont également souligné Cate Blanchett et Agnès Varda. Autour d’elles sur le tapis rouge figuraient Salma Hayek, Marion Cotillard, Jane Fonda, Claudia Cardinale, Julie Gayet et les membres féminins du jury.

Un signal fort envoyé en direction des femmes par le festival, dont le palmarès des différentes compétitions et sélections n’était pas vide certes de lauréates féminines. Qu’une nouvelle décade cannoise commence, faisant la part belle aux talentueuses dames et demoiselles du cinéma mondial.

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