Vendredi, 29 mars 2024
Al-Ahram Hebdo > Arts >

Appartement avec vue sur la place Tahrir

May Sélim , Mardi, 13 février 2018

Cinq ans après leur dernière collaboration, le dramaturge Lénine Al-Ramli et le metteur en scène Essam Al-Sayed travaillent de nouveau ensemble, présentant la pièce Edhak Lama Temout (rire jusqu’à la mort), au Théâtre national. Les événements se situent en 2011, en pleine révolution.

Appartement avec vue sur la place Tahrir
Les deux amis septuagénaires se retrouvent après de longues années. (Photo:Bassam Al-Zoghby)

Rire jusqu’aux larmes est souvent une réaction très spontanée. Mais rire jusqu’à la mort semble parfois possible aussi. C’est du moins ce que présume la pièce Edhak Lama Temout (rire jusqu’à la mort), donnée actuellement au Théâtre national. L’exagération est bien voulue, pour nous inviter à tourner tout en dérision, à rire de bon coeur, jusqu’au nihilisme. Car les rires et les sourires ne font que camoufler une grande détresse, des maux qui se sont accumulés au fil des ans. Et ce, afin de survivre et de défier son sort.

Ecrite par Lénine Al-Ramli et mise en scène par Essam Al-Sayed, la pièce a donc recours à l’humour noir pour aborder les problèmes sociopolitiques du pays, avec les comédiens Nabil Al-Halafaoui et Mahmoud Al-Guindi. Il y est question de l’académicien Yéhia, qui abandonne son poste de professeur universitaire et décide de s’enfermer chez lui, dans son appartement à la place Tahrir. On est alors en pleine révolution, c’est-à-dire en 2011. Souvent accusé par son fils d’avoir été passif, Yéhia cherchait à éviter le sort de son propre père, un juge wafdiste qui avait été licencié dans les années 1960 pour avoir exprimé ses opinions. Un jour, Yéhia reçoit son ancien ami, Taher, qui vient de divorcer et qui cherche un refuge pendant quelques jours. Les deux amis se retrouvent et se redécouvrent, après une vingtaine d’années. Leurs disputes régulières dévoilent leur malaise. Les deux souffrent de l’ingratitude de leurs enfants et de la maladie. Yéhia est un ivrogne cancéreux qui refuse de se faire soigner, préférant mener une vie de bohème. Et Taher vit encore dans le passé et déplore le bon vieux temps. Il essaiera de se suicider pour mettre fin à sa solitude.

Lénine Al-Ramli et Essam Al- Sayed revisitent, à travers ces deux personnages, l’histoire de l’Egypte contemporaine. Les scènes de dispute entre les deux vieux amis, septuagénaires, nous font rire, en partageant leur rivalité et leurs petites aventures. Ils sont en compétition pour obtenir les faveurs d’une jeune fille, qui se joue de tous les deux, car elle-même est amoureuse d’un homme de main qui s’est converti aux affaires religieuses.

Le fantôme d’autrefois

Appartement avec vue sur la place Tahrir
Des vidéos montrent des scènes en flash-back. (Photo: Bassam Al-Zoghby)

Tout au long de la pièce, les personnages répètent que la maison est hantée. La nuit s’y promène un fantôme, vêtu en blanc et portant un tarbouche. C’est le spectre d’une époque bien révolue. Le metteur en scène a bien exploité tous les moyens et les équipements du théâtre, pour mieux capter l’attention des spectateurs. Le décor de Mahmoud Gharib est simple, mais crée une ambiance intimiste, rappelant les anciens appartements du centre-ville cairote, avec vue sur la place Tahrir et les manifestations. Al-Sayed se sert des côtés des planches et de l’arrière-fond pour placer des écrans et projeter des séquences vidéo, donnant de la vivacité à la pièce. Il a recours à la technique du « Mapping vidéo », présentant des scènes floues en flash-back qui mijotent dans la tête du professeur ivrogne.

La chorégraphie de la jeune Chérine Hégazi reprend des mouvements empruntés à ceux des manifestants dans la rue, pendant les 18 jours de la révolution. Les danseurs répètent les mouvements des jets de pierres, vociférant des cris, cadençant les gestes et les pas, sur une musique de Hicham Gabr. Celle-ci révèle en grande partie l’état d’âme des personnages, passant de l’humour à la mélancolie. Vers la fin de la pièce, Yéhia, ayant perdu son fils dans les événements de la révolution, sombre dans la dépression. Son ami Taher finit dans un fauteuil roulant. Et les révolutionnaires de la place Tahrir continuent à venir chercher refuge dans ce vieil appartement, lui donnant momentanément vie.

Tous les soirs, à 21h, les vendredis et dimanches à 19h30 (relâche les mardis et mercredis), au Théâtre national. Place Ataba, centre-ville.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique