Ehna wahed (nous sommes un). C’est le nom de la toute dernière troupe théâtrale qui vient d’être reconnue par l’Organisme centrale des palais de la culture. C’est également une « étiquette » résumant bien le message principal exprimé par la quarantaine d’enfants et de jeunes, venus de tous les horizons et de toutes les catégories sociales, sur les planches du théâtre du Parc international de Madinet Nasr.
Leur représentation est intitulée Kaman Zaghloul (l’oisillon et son violon), une pièce d’Ahmad Zéham, écrivain avéré pour enfants. Le Zaghloul est un mot qui signifierait en français l’oisillon, mais est également le prénom du personnage principal. Un prénom rare que son père lui a choisi pour le distinguer, pour qu’il soit « différent », lui dit-il.
« Mais pourquoi je dois être différent ? », s’exclame Zaghloul. Une question qui ne recevra pas de réponse ni de la part de son père, ni de la société. Peut-être l’explication réside-t-elle dans le fait que Zaghloul est non-voyant ? En tout cas, cette différence, son âme innocente ne la comprend pas et la refuse.
La pièce raconte les périples du jeune Zaghloul, bon vivant et adorant la musique, et qui, par rejet de sa différence ou pour se protéger, se voit mis à l’écart, ne trouvant de consolation que dans la compagnie des oiseaux qui viennent se poser sur sa fenêtre. Il vit plongé dans ses rêves tournant des fois en cauchemar et oscillant entre l’énergie positive que lui insuffle le Cygne blanc, sa fée bienfaisante, et les idées négatives incarnées par la Grenouille qui n’est autre que la voix intérieure de sa déception, lui rappelant, dans ces moments de faiblesse, le « manque » dont il souffrirait.
Jusqu’ici et malgré tout son côté humain et pathétique, l’histoire serait restée banale si Mohamad Fouad, metteur en scène de la pièce, n’avait pas décidé que le rôle de Zaghloul soit interprété par un jeune amateur de théâtre et très talentueux acteur non-voyant. Bien plus, Fouad a fait de l’histoire du jeune non voyant, racontée par la pièce originale, l’occasion pour tous les « différents » de venir sur scène nous montrer combien ils ne le sont pas. Ainsi, ils sont devenus plusieurs « Zaghloul » à clamer leur droit à une vie normale. Ils veulent être de simples citoyens, ni handicapés ni surdouées. Ils refusent et dénoncent par l’acte, et non seulement par le verbe, toute forme de discrimination même positive. Et la troupe est donc formée des non-voyants, d’autistes, de trisomiques ou d’autres qui, avec quelques « bien portants », jouent les différents rôles, interprètent les chants ou les danses, font jouer les marionnettes, montent et démontent le décor.
Un appel à l’intégration
En effet, Fouad a voulu mettre en pratique l’appel à l’intégration envoyée par la pièce. Fouad estime que le théâtre est un droit pour tous. Le théâtre c’est la vie, dit-il, il serait donc inconcevable qu’une partie de la société soit privée de le pratiquer. Une conviction qui lui a valu plus d’un an et demi de sélection, de formation, d’exercices et de répétitions, mais aussi de démarches administratives. Un vrai parcours du combattant au bout duquel il a réussi avec sa nouvelle troupe à mettre en pratique cet appel à l’inclusion à deux niveaux, en réussissant, d’un côté, l’harmonisation entre tous les acteurs et membres de la troupe quelle que soit leur « capacité », et, d’un autre côté, par l’appel adressé à la société à laquelle ces derniers tendent une main et un coeur ouverts. Une pièce, au départ pour enfants, est devenue une représentation qui, jouée par des enfants et des jeunes, remet en cause toute une société de grands qui, souvent et sans excuse physiologique, ne voient ou n’entendent pas et passent ainsi à côté des choses importantes. Des grands qui vivent le handicap ou l’échec. Un message envoyé avec beaucoup de subtilité loin des grandes pompes des discours directs. Un beau tableau plein de justesse et de générosité rehaussé par une sélection bien pensée de la musique du grand compositeur Ammar Al-Chérei (idole et modèle de Zaghloul), et des morceaux originaux mettant en musique des paroles pleines d’élan et de lyrisme.
Quant au décor, très stylisé, il fait de la chambre de Zaghloul, où se déroule la totalité de l’action, une grande cage qui s’ouvre au fur et à mesure qu’il réussit sa bataille et trouve le chemin de la réussite. La cage s’ouvre pour laisser l’oisillon, devenu plumeux, s’envoler vers de nouveaux cieux. Mais peut-être se refermera-t-elle sur les « ingrats » qui font la sourde oreille et restent insensibles à ce message d’amour comme le dit si bien la chanson de clôture.
Un tableau quasiment sans faute, réalisé avec un budget maigre comme toutes les représentations de ce secteur culturel. Mais c’est surtout un effort louable et une oeuvre dont les coulisses laborieuses méritent d’être mises à l’honneur tout autant que la représentation .
Les 22 et 23 octobre à 13h et les 24, 25 et 26 octobre à 18h au Centre des découvertes scientifiques. 2, rue Al-Safa Wal Marwa,
Lien court: