Al-ahram hebdo : Vous fêtez trente ans d’activités pour Al-Warcha. Comment allez-vous vous y prendre ?
Hassan Al-Gereitly : Ce sera 30 ans en novembre. Mais, nous avons eu déjà une petite célébration avec le Festival D-caf et deux créations avec une pièce de Beiram Al-Tounsy et Zakariya Ahmad, et l’on a créé un spectacle d’un compositeur suisse, Alexandre Siro, qui a intégré le travail de la troupe Halawet Al-Donia, sur les villes et Le Caire. Il a créé un spectacle plus musical et expérimental, à partir du répertoire de la troupe, ainsi qu’une grande exposition de photos. Mais nous avons recommencé à travailler sur une pièce, Les petites chambres, d’un grand dramaturge syrien relativement jeune, Waël Kadour, qui est actuellement réfugié politique en France. J’avais déjà travaillé sur cette pièce, mais il y a eu des événements au centre-ville liés aux indépendants et l’on a ensuite arrêté durant des mois, et l’on a repris. On travaille depuis quelques semaines. Le spectacle devait avoir sa première dans quelques jours, mais on est en retard sur l’aspect scénographique et la comédienne principale s’en va en Allemagne pour jouer dans un spectacle. On envisage donc de le donner au début de l’année, durant trois mois, dans le focus théâtral arabe du Festival D-Caf. C’est notre état de lieux.
— Comment travaillez-vous ?
— Nous sommes en formation continue. Tous nos comédiens jeunes et moins jeunes travaillent tout le temps. Nous avons également une dizaine de jeunes très talentueux qui sont arrivés et qui sont déjà très bien formés sur des arts traditionnels classiques arabes. On se demande, d’ailleurs, comment ces jeunes ont eu toute cette motivation pour arriver à ce niveau avant d’arriver à Al-Warcha. Et moi, j’ai d’ailleurs une indication quasiment pour tous, je leur dis :« Détendez-vous, soyez relaxe, votre travail doit être plus en communication avec le public ». Ils arrivent pour vivre un peu leur génération, même en chantant des choses traditionnelles, et en ayant une formation très solide. Ils jouent à leur façon, comme tous les jeunes d’Al-Warcha. Ils cherchent à connaître leur propre culture, car la révolution de janvier 2011 était une manière de se reconnecter avec le patrimoine et l’identité, mais dans l’ouverture. Une identité complexe, multiple et égyptienne. Nous continuons donc à former la nouvelle génération et les moins jeunes aux arts dont on a besoin pour nos créations : le chant, la danse, le mouvement, etc. Le but est de faire un comédien diversifié. On travaille également beaucoup l’art du récit, que je préfère au mot conte. Tous les Egyptiens sont des conteurs. La valeur de l’échange continue à être très importante en Egypte et dans le monde arabe. En fait, le meilleur moyen c’est de raconter sa vie ou d’écouter les récits des autres. Schéhérazade a sauvé sa vie en se racontant. Les Egyptiens, eux aussi, rendent leur vie vivable en se racontant. J’aime que le travail mûrisse lentement. Mon travail est celui d’un plombier artistique. J’essaye d’ouvrir la voie et aussi la voix. De faire en sorte qu’on entende la personne. Faire en sorte que la tuyauterie se dégage pour qu’émerge la personne sans les distorsions. Je travaille très longtemps, et je ne cherche pas, mais je trouve et à ce moment, je reconnais ce que j’ai trouvé.
— Vous êtes un homme habité par le théâtre et après trente ans on sent que vous êtes encore plus passionné. Comment cela a-t-il commencé ?
— Cela a commencé à l’âge de 9 ans, dans la cour de l’école. Une école égyptienne nationaliste privée, mais pas une école de langues. J’étais donc dans la cour et j’entends du bruit dans la salle de musique, je regarde par la fenêtre et la prof me voit et me demande de faire le tour. Je vois une scène de théâtre, et il y avait une fille et un garçon qui n’avait pas l’air de s’y plaire. Elle me demande de prendre sa place et d’embrasser la main de Soad, en faisant partir le petit garçon qui ne demandait pas mieux. Je jouais le rôle du khédive Ismaïl avec l’impératrice Eugénie pour l’inauguration du Canal de Suez. Et depuis je n’ai jamais arrêté. Mes parents ont d’ailleurs beaucoup valorisé toutes les activités artistiques et particulièrement le théâtre. Je voulais toujours être acteur. Et comme mon père n’avait pas fait exactement ce qu’il voulait, il insistait beaucoup pour que je fasse ce que j’aime. Comme j’étais très bon élève, il y avait des pressions. Mais je suis parti ensuite en Angleterre et en France, où j’ai fait des études et des stages de théâtre. Mais ce que je voulais, c’est avoir les mains dans la pâte. Je suis revenu plus tard en Egypte en 1982 à la mort de mon père, j’ai décidé d’y rester. Ici, lentement, j’ai fondé Al-Warcha en 1987, dans un garage en dessous, dans une ruelle de la chambre où j’habitais au centre-ville. On est la troupe qui a le plus représenté l’Egypte à l’étranger, mais on n'a jamais été produit par l’Etat.
— Comment évaluez-vous ces trente années ?
— Je ne regarde jamais derrière moi. J’ai fait ce que j’avais à faire et avec les hauts et les bas, je fais mon chemin. Je vais travailler plus profondément sur la Geste hilalienne. J’aime travailler sur les strates en profondeur. On continue à creuser. Je suis toujours en gestation. J’ai la nostalgie de l’avenir.
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