La 70e édition du Festival de Cannes a baissé le rideau dimanche soir après douze jours bien riches et assez suivis. Comme d’habitude, le Festival de Cannes maintient le suspense jusqu’aux dernières heures de ses activités, et cette 70e édition n’a pas trahi la tradition. Cette année, il n’y avait pas de grands favoris jusqu’aux derniers jours de la cuvée, avant la projection de deux films bouleversants de la compétition : Good Time réalisé par les deux frères Ben et Joshua Safdie, et In The Fade de Fatih Akin.
Figures du cinéma underground américain, les frères Safdie arrivent pour la première fois en compétition cannoise avec ce polar stylisé, joué par Robert Pattinson, Jennifer Jason Leigh et Barkhad Abdi. Avec sa bande musicale électro et ses couleurs flashy, Good Time avance une bonne dose d’adrénaline sur la Croisette, mettant en scène un braquage qui tourne au fiasco. Un film noir stimulant et inattendu, berçant entre humour, action et suspense, dans les bas-fonds new-yorkais.
Quant au réalisateur germano-turc, Fatih Akin, il donne une leçon de mise en scène, de direction d’acteurs et de scénario à travers son nouveau long métrage In The Fade. Cette oeuvre accessible au public, comme aux critiques, a réussi à réconcilier le grand public avec cette édition cannoise par sa pêche dans l’inaccessible. Pour sa part, la comédienne allemande Diane Krüger porte, à elle seule, tout le poids de ce film émouvant et bien mesuré, à tel point qu’on avait mal à s’imaginer une autre actrice pour le prix d’interprétation féminine. Elle a réussi à faire croire les spectateurs en son personnage. Et ce, grâce à une trame et un cadre esthétique émouvants, sans pour autant forcer les sentiments et sans artifice.
L’Histoire s’invite

In The Fade de Fatih Akin.
Malgré ses thèmes fétiches cette année, oscillant entre l’humain et le réaliste, l’Histoire figurait parmi les horizons invités de la sélection officielle 2017. Avec Jacques Doillon, les festivaliers ont pu remonter le temps jusqu’en 1880, à l’époque de Rodin, dans un film français qui relate sa biographie. Ce film signé Jacques Doillon, et auquel beaucoup reprochent une certaine lenteur dans la narration, essaie de dévoiler et représenter la naissance d’une oeuvre, La Porte de l’Enfer. Le réalisateur nous plonge au coeur d’une tranche de vie de Rodin, le tournant de sa vie d’artiste, celle qui débute à ses 40 ans. Riche par ses longues préparations, le film de Jacques Doillon fait souvent appel à des plans et des cadres assez distincts. Quant à l’interprétation de Vincent Lindon, elle vient à la hauteur de ce que l’on pouvait espérer.
Alors qu’avec Sofia Coppola, on a pu revenir en pleine guerre de Sécession en 1864, avec son film Les Proies, projeté parmi les oeuvres fort concurrentes de la compétition. Pour son retour sur la French Riviera depuis 2006, la fille de Francis Ford Coppola a choisi de faire le remake du film de Don Siegel, Les Proies, avec Colin Farrell dans le rôle tenu à l’époque par Clint Eastwood, ainsi qu’avec Nicole Kidman. « Une lutte de pouvoir entre les femmes », comme le qualifie sa réalisatrice, avec une tension moins forte, une violence presque inexistante : plusieurs détails donc qui font la différence entre les deux versions.
L’Oncle Sam plus fade que jamais

Promised Land.
Comment paraît l’Amérique de Donald Trump ? Une question posée différemment par plusieurs films projetés sur les écrans de cette 70e édition cannoise. La réponse : pas très fort, selon plusieurs films présentés à Cannes, peignant une société qui a vu ses rêves de grandeur s’évanouir et plonger dans une dure réalité, même avant les élections.
Parmi les oeuvres projetées dans les différentes sections, le documentaire Promised Land d’Eugene Jarecki, essayant — hors compétition — d’expliquer les raisons « de la mort du rêve américain ». Selon sa trame, le film suit, d’après une interview, comment l’Amérique a connu la même trajectoire que son idole Elvis Presley, ce gamin de la campagne devenu un mythe de la culture populaire américaine, et qui a fini par s’autodétruire. « L’Amérique est devenue un Elvis obèse, souligne le réalisateur Jarecki. On était beau et on est allé très haut, trop vite. Puis la vie est devenue trop facile, on est devenu dépendant de tout. C’est pour cela que la métaphore avec Elvis m’est venue ». Dans ce road-movie, Jarecki fait parler anonymes et célébrités, qui marquent tous les raisons économiques et sociales de ce déclin, également lié à un appauvrissement culturel.
Quant à la section Quinzaine des réalisateurs, elle a renfermé cinq films américains, chacun fait une critique plus acerbe pour la société américaine que l’autre. Dans Mobile Homes, le Français Vladimir de Fontenay évoque l’Amérique des laissés-pour-compte à travers l’histoire d’une jeune femme et de son enfant qui vont d’auberges en maisons inoccupées pour trouver refuge à la frontière canadienne. Selon le film, l’Amérique, comme terre d’opportunités, n’est plus qu’une illusion. L’enfant de huit ans ne va pas à l’école, il n’est éduqué que par sa mère — campée par Imogen Poots — qui lui apprend comment partir sans payer au restaurant.
Dans The Rider, un autre film du Quinzaine des réalisateurs, la cinéaste Chloe Zhao filme un Etat qui a voté pour Trump. L’Amérique dépeinte par Zhao est très éloignée de l’idéal des quartiers aisés, mais elle dit ne pas vouloir montrer un pays dénué d’espoir. « Ce que j’aime aux Etats-Unis ce n’est pas le rêve américain, mais cette volonté de continuer de rêver même si ces rêves sont brisés », conclut-elle dans son film.
Bref, les portes se sont refermées pour cette édition de Cannes, qui a tenté — d’après ses organisateurs — d’aller encore plus loin dans sa volonté de présenter un cinéma qui reflète notre actualité et nos cultures. Un pari idéologique plus ou moins gagné, par le biais d’un programme riche en découvertes, en alliance de cultures et assorti de quelques moments de grâce .
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