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Les fables d’Al-Siwi

Névine Lameï, Dimanche, 30 avril 2017

L'artiste-peintre Adel Al-Siwi plonge dans l'univers des hommes et des animaux. Il les rapproche dans ses 280 toiles, exposées dans trois endroits différents, au centre-ville cairote.

Les fables d’Al-Siwi
Ceux qui se ressemblent s'assemblent.

A travers sa dernière exposition En présence de l’animal, Adel Al-Siwi fait une réflexion personnelle, bien mûrie. Il présente 280 peintures, mixed media, dans trois endroits du centre-ville cairote : la galerie Machrabiya, Machrabiya Annexe et l’Atelier-dépôt d’Al-Siwi.

En fait, depuis les années 1980, il médite sur la nature de l’animal et sa relation ambivalente avec l’être humain. « Loin des symboles, des signes et des allégories qui dépeignent le chien symbole de la fidélité, le loup de l’hypocrisie, le chat de la perfidie, le lion symbole du pouvoir. Et loin de traiter de questions du genre : le naturalisme, la stylisation, l’hybridation, ou encore la compassion pour les animaux, etc. Le côté animal s’impose dans mon art qui incite à réfléchir », déclare Adel Al-Siwi.

Dans ce rapprochement entre l’humain et l’animal, Al-Siwi n’aime pas faire de l’animal un être exploité ou asservi par l’homme, mais plutôt « un compagnon de vie ou d’aventure », parfois même un héros digne d’admiration. Loin d’être une figure de la soumission, l’animal chez Al-Siwi incarne la liberté et le refus des conventions sociales. Et pour ce faire, l’artiste peint des personnalités de renom, également préoccupées par le questionnement philosophique, rapprochant la nature de l’homme et celle de l’animal.

Par exemple, Al-Siwi place le chef-d’oeuvre de Marcel Duchamp, Roue de bicyclette (1913), face à un loup qui, dressé somptueusement, s’empare de la peinture. De quoi accorder plus de mystère et d’absurdité à l’oeuvre d’Al-Siwi, aux nuances noir/blanc et gris. La Roue de bicyclette de Duchamp est considérée comme un hymne au mouvement, jouant sur le mobile et l’immobile, comme un antidote, pour exprimer la lassitude de l’individu autour de l’objet contemplé. Mais chez Al-Siwi, la présence du loup prend le dessus. « Elle brise avec la vanité de l’homme et son narcissisme, croyant qu’il est seul le maître de l’univers », déclare Al-Siwi.

Une autre oeuvre exposée à la galerie Machrabiya montre l’artiste-peintre égyptien Mahmoud Saïd, en côte à côte avec un pigeon blanc. Et ce, sur un fond de couleur bleue, celle de la mer d’Alexandrie et ses vagues en mouvement. « Par ce pigeon blanc au corps pelucheux, qui donne la sensation d’être un objet artificiel, j’interroge le choix de Saïd plaçant ce pigeon au coeur de toutes ses peintures ou presque. Peut-être que ce pigeon est lié à un certain souvenir enfantin chez Saïd. Peut-être que c’était son jouet préféré ! », dit Al-Siwi, incitant les visiteurs de son exposition, de manière dramatique, à admettre qu’il existe d’autres créatures qui partagent sa vie.

Le vacarme de la ville
Les nuances tonales, le plus souvent ocre et dorées, pures et lumineuses, s’imprègnent du paysage égyptien, du désert, parfois de la ville. On retrouve aussi l’arrière-fond sonore de celle-ci dans le monde grouillant d’Al-Siwi qui s’engage dans une sorte de figuration narrative. L’artiste montre d’innombrables petits papillons colorés, très doux et délicats, sur une même toile : Vieux souliers aux lacets abandonnés (1886), un chef-d’oeuvre de Van Gogh, est repris différemment. « J’ai mis l’accent sur le contraste entre les côtés gai et miséreux, les papillons vivants et les souliers, objet de consommation porté par l’homme tous les jours », explique Adel Al-Siwi. Ce dernier s’inspire — comme mentionné dans le catalogue de l’exposition — de la pensée du philosophe italien, Giorgio Agamben, lequel renouvelle dans son oeuvre L’Ouvert : de l’homme et de l’animal (Rivages, 2002), la question de nos rapports avec l’animalité. Agamben écrit : « L’homme est tout un animal qui se reconnaît ne pas l’être ». Voici un dragon, symbole du danger, face à une immense figure chinoise. Une girafe au corps mécanique courbé, superposée au corps courbé d’une fille. Un singe hautain, fumant une pipe, contemple une dame. Deux Africaines, armes en main, rivalisent avec un tigre. Un hérisson partage une même barque avec un homme primitif, entourés des ruines d’une ville. Le poète Salah Jahine est entouré de colombes. C’est un hommage au romantisme, dans un monde sur lequel règne la loi du plus fort .

Au centre-ville cairote, jusqu’au 31 mai, de 10h à 21h (sauf le vendredi) : A la galerie Machrabiya : 7, rue Champollion. Machrabiya Annexe : 15, rue Mahmoud Bassiouni. Dépôt d’Al-Siwi : Rue Al-Bostane, derrière le Café Riche

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