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Portrait : Mathlouthi, étoile montante du jasmin tunisien

Houda Belabd, Mardi, 26 mars 2013

Chanter les maux de sa société avec optimisme : un pari gagné pour la chanteuse tunisienne Emel Mathlouthi. Surnommée le « jasmin de la révolution », cette femme pleine de charisme et de sensations se produira au Caire le 25 avril.

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Emel Mathlouthi

EN quelques années seulement, Emel Mathlouthi a réussi à conquérir des millions de fans dans les quatre coins du monde. Sa renommée, elle la doit à sa rébellion et à son refus de se soumettre aux « destructeurs » de sa Tunisie natale. Aujourd’hui, des centres culturels parisiens, berlinois, bruxellois, new-yorkais ou arabes abritent ses concerts avec toujours plus de succès. Seulement voilà, contrairement à beaucoup de chanteuses de son pays, Emel est une révolutionnaire précoce. En effet, c’est en 2006 qu’elle commence à composer et à chanter son insurrection et son insatisfaction à l’égard des dérapages politiques de Ben Ali. Une témérité qui n’a pas tardé à lui attirer les foudres des autorités tunisiennes qui ont interdit aux stations de radios et chaînes de télévision de diffuser ses chansons.

Ses premiers concerts furent boycottés par les gardiens de l’ancien régime. Mais ils ont tout de même réussi à réveiller les consciences et à conquérir quelques milliers de fans. Ce n’est pourtant qu’au lendemain de l’éclatement de la révolution dite du Jasmin que ses chansons Kelmti horra (ma parole est libre) et Ya Tounès ya meskina (oh pauvre Tunisie) ont littéralement envahi radios, plateaux de télévision, centres cultuels et bancs des lycéens, que ce soit en Tunisie ou ailleurs. Selon ses mots, son grain de sel apporté à la scène culturelle de son pays est d’être elle-même, de chanter ce qu’elle chante et de continuer de faire ce qu’elle fait.

Curieusement, son album sorti en 2012 n’a jamais été censuré malgré les changements politiques qui sévissent en Tunisie. Les causes défendues, les maux criés, les souffrances accouchées ainsi que les rêves que la chanteuse ne quittera jamais nous renvoient à la fois à la Tunisie de Ben Ali et à celle de Marzouki. Selon Mathlouthi, le laxisme politique des deux régimes est caricaturalement le même et une deuxième révolution semble inévitable.

Un répertoire engagé …

Hymne à la liberté et à la dignité humaine, Kelmti horra est une douce ballade musicale riche en ouvertures sur les autres. Ses paroles relatent l’interminable bataille d’une femme libre et indomptable qui crie haut et fort que les personnes dignes et libres n’ont jamais peur, que tous les secrets de l’Histoire demeurent immortels et que les droits humains ne se demandent pas, mais s’arrachent. Ya Tounès ya meskina évoque cette tristesse qui guette les citoyens tunisiens même les plus optimistes : ceux qui rêvent d’un lendemain meilleur pour leurs compatriotes, mais qui finissent par foncer dans un mur plus solide que leur détermination. Les chansons de l’album sont la preuve formelle que les révolutionnaires tunisiens sont toujours en quête de dignité, d’égalité et de justice.

Quoi qu’il en soit, l’art révolutionnaire équivaut aux pavés de discours politiques. Chose que beaucoup d’artistes égyptiens et tunisiens ont comprise. Pour Mathlouthi, « l’art démontre depuis des siècles qu’il est à l’origine de tous les changements fondamentaux au sein des sociétés, que ce soit dans les mentalités ou en politique. A titre d’exemple, le simple fait de créer un dessin, un chant ou un poème révolutionnaire est en soi un acte de résistance ». Et comme plus rien ne l’arrête, la jeune femme continue de sillonner le monde pour faire entendre sa voix par le biais de l’art, une vocation noble et humanitaire. « Ma tournée continue ! Je vais très prochainement chanter à New York et Quito. Je serai également de retour à Montréal pour les Francofolies. En plus d’une première partie de Dead Can Dance aux magnifiques Nuits de Fourvière à Lyon, sans oublier le magique Babylon à Istanbul, Le Caire et beaucoup d’autres destinations. Je suis extrêmement fière de pouvoir faire voyager mon album écrit il y a plusieurs années et paru il y a à peine un an ».

Retrouvailles en avril au Caire

C’est avec exaltation qu’elle parle de son public égyptien qu’elle a connu en 2010 — avant les révolutions des deux pays — au théâtre Al-Guénina. Cette année-là, elle avait réalisé l’un de ses rêves les plus fous : chanter cheikh Imam dans son pays. « Je me souviens encore de l’émotion et de la générosité de mon public au Caire. Grâce à lui, je suis confiante et cela fait plus de deux ans que j’attends impatiemment de revenir en Egypte ». Les retrouvailles auront lieu le 25 avril prochain au Downtown, près de la rue Champollion. Emel Mathlouthi voue en effet un grand amour à la nouvelle scène musicale égyptienne. « J’ai rencontré Rami Essam et Mariam Saleh lors de ma tournée, l’année dernière. Je connais également le réseau Ekaa et Al-Mawred Al-Saqafi qui m’a soutenue dans mon album. J’aimerais réellement voir naître d’autres réseaux d’artistes engagés dans le monde arabe. Nous avons tellement de voies qui s’ouvrent, dont ces réseaux de chanteurs indépendants qui offrent davantage de la diversité à notre paysage artistique, loin de la musique commerciale » .

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