La reine et Hébron, un couple tiraillé entre pouvoir et désir.
(Photo:Bassam Al-Zoghby)
Un royaume entier sombre dans le noir. Sans soleil, ni lune, les jours se ressemblent. Le monarque est un despote qui s’en fout des maux de son peuple. La reine n’est qu’une femme qui cherche à assouvir ses plaisirs. Et les ministres, défendent leurs propres intérêts. En l’absence de la justice, la lune s’éclipse à jamais, d’où l’intrigue de la pièce de théâtre Qamar Al-Emyane (la lune des aveugles), écrite par Ali Abou-Salem et mise en scène par Mohamad Sélim.
Dès le départ, les comédiens, avec des lanternes en main, accueillent le public devant la salle de théâtre. Ils l’accompagnent vers le royaume obscur, lequel se situe en dehors du cadre spatio-temporel. Le roi et la reine entendent les cris du peuple mais tentent de les ignorer. La reine en souffre légèrement, alors que le roi fait plutôt semblant de les prendre pour des louanges. Se tisse ensuite une autre histoire en parallèle à celle du royaume injuste, celle des deux princesses Raghd et Chaza. Les deux jeunes filles échappent à la vie royale, accompagnées de leur petit frère Yéhia, l’héritier du trône. On ne voit jamais ce dernier sur scène, mais il reste dans les esprits l’espoir à venir.
Dans un langage poétique, assez éloquent, le dramaturge enrichit son texte de symboles. Il use d’un arabe classique rimé, multipliant les figures de style, de quoi plonger les spectateurs dans un monde lointain et fictif. Cependant, il arrive à les rapprocher, subtilement, de l’actualité politique et du rapport gouverneur-gouverné.
Ali Abou-Salem a fouillé dans le patrimoine arabe et universel, afin de mieux dessiner ses personnages et de leur attribuer des noms et des valeurs symboliques, assez significatifs. Hébron, l’homme de la cour royale supposé être fidèle et sage, n’est en fait que le démon qui complote pour la chute du royaume. Son nom emprunté à l’hébreu signifie « un gang ». Il est plutôt le manipulateur qui incite la reine à la débauche et qui pousse le roi à torturer le peuple. Yéhia, faisant allusion au nom donné à Jean Baptiste dans le Coran, est l’incarnation du bien, de l’espoir.
Le metteur en scène mise, lui aussi, dès le départ, sur les symboles et le contraste entre le bien et le mal. Il divise la scène en deux : d’une part, il y a la cour royale, et de l’autre, la maison d’un pauvre citoyen où les deux princesses sont allées chercher refuge. Entre les deux niveaux, défilent, de temps en temps, les danseurs, le peuple, etc. L’éclairage accentue l’idée du contraste : le rouge vient colorer le monde royal en décadence, le bleu éclaire celui des pauvres, ainsi que l’asile tranquille des princesses.
Le public, au beau milieu de la scène, entre ces deux mondes, se trouve très impliqué dans les événements. Les grandes toiles d’araignées tissées sur les rideaux noirs, derrière le public, font allusion à la situation politique qui s’enlise davantage.
Le rythme de l’ensemble est bien maintenu, mais le metteur en scène, cherchant à montrer ses compétences, tombe dans le piège de l’exagération. La projection vidéo, qui résume l’histoire d’amour et de trahison entre la reine et Hébron, était sans grande valeur. Il en est de même pour certaines chorégraphies, ayant peu servi la construction dramatique, à l’exception de la danse rituelle des fidèles sur les rythmes des tambourins.
La lune n’apparaît jamais. Elle est remplacée par une lanterne cylindrique, fabriquée de toutes pièces par Hébron. Epris par la lumière artificielle, les citoyens perdent la raison et finissent par adorer cette lune artificielle. D’où le titre La Lune des aveugles. Le roi et la reine meurent, et Yéhia hérite du royaume. Il y a quand même espoir, semble-t-on dire .
Tous les soirs à 21h (relâche le lundi), à la salle du théâtre Al-Ghad, Agouza. Tél. : 23303187
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