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Dessiner l’autre face de la vérité

May Sélim , Mardi, 20 décembre 2016

Le Finlandais Ville Tietavainen, les Allemands Reinhard Kleist et Titus Ackermann, les Suisses Barbara Meuli et Julia Marti ainsi que les Egyptiens Mohamad Wahba et Ahmad Hossam sont des dessinateurs qui ont illustré, à l'occasion de la troisième édition de la Semaine de la bande dessinée, le phénomène de l’immigration clandestine.

Dessiner l’autre face de la vérité

Rachid, le Marocain dans les serres d’Espagne

Dessiner l’autre face de la vérité

Je n’avais jamais entendu parler des immigrants sans papiers », lance le bédéiste finlandais Ville Tietavainen. L’artiste a débuté sa carrière comme illustrateur libre en 1990. Huit ans plus tard, il avait déjà fait ses preuves, en abordant souvent des sujets simples adressés aux enfants et aux adultes, dans un style fantasmagorique. Mais son approche artistique a complètement changé, lorsqu’il a voulu suivre de près la vie des migrants clandestins venus du Maroc pour atterrir en Espagne. « J’ai commencé à m’in­téresser au sujet des migrants, à Paris, en 2001. J’ai croisé un homme d’Afrique du Nord qui jetait des jouets et des stickers devant les magasins. Tout le monde le prenait pour un fou. Sa peau mate et ses vête­ments en loques disaient long sur la situation de cet étranger en détresse. Je m’interrogeais alors sur les raisons qui pou­vaient pousser un homme à quitter son pays. Son image me han­tait et soulevait beau­coup de questions, sur­tout qu’à l’époque en Finlande le sujet de l’im­migration ne se posait même pas ». Des années de recherches et de voyages ont mené Ville Tietavainen, accompagné d’un ami qui maîtrise l’arabe, à décou­vrir le monde des migrants sans papiers en Espagne. Ainsi, il rencontre Rachid, devenu le héros principal de sa bande dessinée Les Mains invisibles. Rachid a quitté sa famille et sa terre d’origine pour chercher un avenir meilleur en Espagne. Son voyage de clan­destin était plus que périlleux. Il a dû travailler et vivre dans les serres agricoles d’Alme­ria. Ce fut le cas de milliers d’autres immigrants clandestins. Les dessins de Tietavainen racontaient la vie de Rachid ainsi que le voyage de l’auteur-dessinateur, dans un texte descriptif, assez touchant. Les traits des personnages, dessinés en noir, et le recours aux nuances des tons noir et jaune accentuent la souffrance et l’affliction du héros. En exé­cutant sa bande dessinée, l’artiste était loin de juger l’immigrant. Il a plutôt adopté son point de vue et cherchait à faire partager ses rêves et ses déceptions. « Un artiste ne peut jamais proposer une solution radicale à une crise pareille. Ce n’est pas son rôle d’avoir des réponses. Il suffit juste de soulever des questions et pousser les autres à réfléchir », souligne-t-il. Après la parution de la bande dessinée en 2015, le Musée d’art moderne à Helsinki a demandé à Tietavainen de faire une exposition d’après son roman graphique. « Avec 500 dessins de mon roman, j’ai alors exposé une gigantesque mosaïque murale, revêtant la forme d’une grosse vague », explique-t-il. Ne s’agit-il pas de cette même vague qui a avalé des milliers de migrants qui trouvent la mort, en pleine mer, tous les ans ?.

Sans paroles, ni trop de détails

Dessiner l’autre face de la vérité

L’illustration sans texte est parfois plus poignante. Elle résume tout de par elle-même, remplace les dialogues entre les personnages et brise les formes traditionnelles de la BD classique. Le travail de Julia Marti en témoigne. « Je suis contente d’avoir exposé et publié mes dessins sur la migration. Travailler autour d’un thème particulier permet d’échanger les points de vue et les expériences, avec plusieurs autres artistes », affirme la dessinatrice suisse.

Ses dessins en noir sur du papier blanc sont simples, se souciant peu du détail. Un homme sans traits mène un voyage, seul, dans une forêt. Il marche tout droit et arrive à des boîtes rectangulaires. Il se cache dans l’une de ses boîtes, en la faisant bouger. La boîte tombe dans l’eau ; l’homme aussi y plonge. Il ne s’en sort pas. L’Allemand Titus Ackermann a créé, début 2016, une BD sans texte, avouant la grande rancune des pays d’accueil, face aux migrants clan­destins, notamment arabes. A lui d’expli­quer : « Plusieurs réfugiés et immigrants sont arrivés en Allemagne, durant les deux dernières années. En province et dans les zones frontalières, campe un véritable malaise. Je suis fier d'un côté que l’Alle­magne offre des maisons pour les réfugiés mais d’un autre côté, on doit prendre en considération les inquiétudes des habitants qui se méfient des extrémistes et des terro­ristes ». Ackermann a alors créé A Welcome Guide (un guide d’accueil), à l’aide de dessins, sans textes. Certains dessins tra­duisent la situation critique des immigrants et des réfugiés dans leurs pays d’origine, expliquant aux Allemands leurs souf­frances. Et d’autres offrent aux immigrés et réfugiés des informations sur les services d’accueil. La bande dessinée est distribuée gratuitement, à ces derniers. Les assistants du service social s’en servent très souvent pour communiquer avec les nouveaux venus.

Des sites BD sur la migration
Aujourd’hui, beaucoup de sites web et de blogs offrent des espaces pour les artistes et les naviga­teurs intéressés par la migration. Pour les créa­teurs, il s’agit d’une astuce afin de publier leurs oeuvres et de mieux les diffuser. Et pour les fans, c’est une manière de découvrir de nouveaux des­sins, tout le temps mis à jour. Barrier est une bande dessinée disponible sur la toile, écrite par Brian K.Vuaghan et dessinée par Marcos Martin et Munsta Vicente. Les dessins sont à télécharger à des prix modérés, sur ordinateurs ou téléphones portables. http://www.tenement.org/foreal/ est un site qui permet d’interviewer des jeunes immi­grants à New York, dont les histoires sont racon­tées, toujours à travers la bande dessinée. http://www.thecomicstrips.com/ et http://www.cartoo­nistgroup.com/ sont plutôt des sites qui rassem­blent les meilleures bandes dessinées, sorties récemment de par le monde. Ils proposent aussi un classement de ces BD, selon l’avis des navi­gateurs et le nombre d’entrées sur le site.

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