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Vivre par et à travers la peinture

Soheir Fahmi, Lundi, 31 octobre 2016

Une rétrospective de Gazbia Sirry, actuellement à la galerie Zamalek, permet d’admirer le parcours d’une grande dame de la peinture égyptienne contemporaine.

Vivre par et à travers la peinture
Autoportrait. Gazbia Sirry fixe le monde, résolue à le changer.

« L’art est ma vie ». Tel est le titre de la rétrospective de Gazbia Sirry qui se tient à la galerie Zamalek. Rien n’est plus vrai pour décrire cette artiste qui a consacré sa vie à l’art et qui souffre actuellement de ne pas pouvoir peindre autant qu’elle le voudrait. Née en 1925, cette grande dame de la peinture est unique en son genre. Certains sont allés jusqu’à la surnommer « la mère de la peinture égyptienne », comme on a déjà baptisé le grand peintre Mahmoud Saïd (1897-1964) « le père de la peinture égyptienne ».

Avec Tahiya Halim et Ingy Efflatoun, Sirry a toujours été une source de renouveau dans la peinture égyptienne. En nous promenant dans les salles de la galerie, on ne peut pas, sans pour autant être féministe, être frappé par une sensibilité et un flux tout féminin. Bien que cela puisse déplaire à certains, néanmoins Sirry, à travers la force qui la meut, ce jaillissement de couleurs, et cette sensibilité qui dépasse les frontières des partitions, nous offre un art qui porte exclusivement sa touche.

Cette peintre rebelle, qui s’est insurgée contre sa famille laquelle voulait lui dessiner un avenir plus proche de sa classe aisée, s’est jetée de toutes ses forces dans le monde de l’art. Proche des courants qui se sont insurgés contre la répression de l’art, animée par le désir de se libérer des conjonctures qui insèrent l’art dans un étau de formes conventionnelles, Sirry a été influencée par le groupe de L’Art et la liberté qui s’est formé dans la fin des années 1930 du siècle passé et du groupe de L’Art moderne dans les années 1940. Ce groupe à tendance socialiste se veut un promoteur de l’indépendance nationale et de la justice sociale. Il marque sa peinture qui se penche vers les gens ordinaires, les dessinant dans des portraits et fixant à toujours leurs regards tristes comme un cri d’alarme au monde. Dans un autoportrait, des lunettes sur les yeux, elle fixe tristement un monde qu’elle veut changer avec détermination. Désolée, mais forte, elle veut aller de l’avant, pour dessiner et persévérer.

Des maisons qui sourient
Les années 1960 en Egypte, après la Révolution de 1952, vont être témoin d’une grande renaissance de l’art. Influencée par les histoires de sa grand-mère, elle peint la vie qui l’entoure sans tomber dans le folklore, ni le réalisme. Dans un style à elle où le cubisme se confond à l’expressionnisme et à d’autres styles, elle crée un monde à elle où les gens se confondent avec leurs maisons. Dans un monde de gaieté, malgré la proximité des maisons qui semblent se tenir debout avec peine, les couleurs et les façades nous sourient. En effet, Sirry a décidé de garder contre vents et marées son optimisme ; ses couleurs en sont la preuve. Même après la défaite de 1967 et jusque dans les années 2000, malgré la perte des rêves et l’affaiblissement du corps, elle reste fidèle à cette effervescence des couleurs.

Dans ce monde où les maisons se confondent avec les êtres humains comme une partie intrinsèque de leurs structures et que Sirry intitule « Les Maisons et les gens », on peine à déterminer les visages humains perdus dans les profondeurs de leur habitation. Dans d’autres peintures qu’elle intitule « Le Temps et l’espace », elle est fascinée par le temps qui passe et la vie qui pilule d’êtres humains. L’espace est un leitmotiv qui revient toujours à travers ses peintures.

Plus tard, le désert sera une autre source d’inspiration. Le désert qui garde cette pureté et cet espace qu’elle cherche sans cesse en elle-même. D’ailleurs plus le temps passe, plus ses planches vont s’épurer de toutes fioritures ou ornementations qui abondaient à ses débuts, dans ses portraits ou autres, pour ne garder que l’essentiel. Les espaces blancs, où aucune ligne n’est tracée et où le pinceau est absent, vont cohabiter avec des taches d’habitations symétriques qui quelquefois divisent la peinture en deux comme deux mondes proches mais séparés. L’espace blanc est en expansion pour mieux faire ressortir ce moment de fébrilité des maisons. Source de méditation, ces peintures où le vide s’ouvre telle une béance sont mystérieuses et problématiques. Comme un pas dans le vide ou dans l’inconnu.

Toutefois, dans ce monde qui grouille, Gazbia Sirry est devenue une peintre à la palette originale, qui a certes marqué son époque et à coup sûr, les époques à venir. Cette première femme égyptienne à être représentée au Metropolitain à New York nous émeut par ce monde qu’elle a créé et qui ne ressemble qu’à elle. Un monde où les hommes simples restent présents et témoignent de leur pauvreté, sans pitié ni chantage.

Jusqu’au 7 novembre, à la galerie Zamalek. De 10h30 à 21h (sauf le vendredi). 11, rue Brésil, Zamalek. Tél. : 27351240

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