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Célebration 14 juillet: Prélude à la Musique du monde

Névine Lameï, Mardi, 12 juillet 2016

Le metteur en scène Hassan El-Geretly, l'interprète cheikh Zain Mahmoud et l'ethnomusicologue Ahmad Al-Maghrabi ressuscitent le folklore égyptien en travaillant souvent entre l'Egypte et la France.

Prélude à la Musique du monde
Spectacle Les Nuits d’Al-Warcha.

Hassan El-Geretly est l’un des artistes égyptiens qui ont débuté leur carrière en France dans les années 1970. En fait, c’est à Limoges qu’il a fondé sa première troupe théâtrale. « J’ai d’abord travaillé comme metteur en scène au Centre dramatique national du Limousin, à Limoges. C’est là-bas que j’ai fondé plus tard ma première troupe, Les Tréteaux de la Terre et du Vent, dont les spectacles mêlaient des sujets en lien avec la culture, l’Histoire et l’économie. C’est là-bas aussi que j’ai touché de près à l’idée de la décentralisation de l’art, que j’ai développée par la suite à travers une autre formation théâtrale, fondée en 1987, Al-Warcha, laquelle a ressuscité, au fil des ans, pas mal d’arts traditionnels égyptiens », raconte El-Geretly, qui vient de se produire, avec les membres de sa troupe, le 31 mai dernier, au théâtre de Massy, à Marseille, avec Les Nuits d’Al-Warcha.

En fait, ce n’est pas la première fois qu’il fait le tour de plusieurs théâtres en France, afin de présenter des spectacles bâtis autour de chants épiques tirés de la geste hilalienne, d’ombres chinoises, de marionnettes, de la danse du bâton, du music-hall cairote, de chants ouvriers ou nubiens, de contes ancestraux, etc. Cet habitué du festival d’Avignon a tout le temps recours à une langue vernaculaire pour évoquer la vie quotidienne, la guerre, les révolutions, loin de tout exotisme. « Je n’aime pas utiliser le folklore à des fins commerciales et artificielles. Ceci n’intéresse pas non plus le marché européen, ou encore celui des Musiques du monde », lance El-Geretly, en véritable connaisseur. La France, où il a résidé entre 1975 et 1980, lui a permis de frapper aux portes de l’Europe et du marché international de la Musique du monde. « Avec Al-Warcha, nous avons connu des moments difficiles. Nous n’avions pas assez de ressources financières, nous étions taraudés par la bureaucratie, isolés en quelque sorte de la scène artistique, car portant le label d’une troupe de théâtre indépendante. Bref, au milieu de tout cela, la France nous servait d’échappatoire, une porte ouverte sur l’Europe et sur le reste du monde », précise le metteur scène qui a effectué, en 1982, des études supérieures à la Sorbonne sur la mise en scène audiovisuelle. Une idée que réitère cheikh Zain Mahmoud, grand maître du chant soufi, travaillant souvent avec Al-Warcha. « En 1996, par exemple, on a présenté des chants du madih (louanges du prophète) à l’Institut du monde arabe, à Paris. De quoi avoir attiré l’attention de plusieurs musicologues français et programmateurs des Musiques du monde, intéressés par l’héritage culturel égyptien », assure-t-il.

Chants mystiques à Marseille
Pour lui comme pour plusieurs butineurs du folklore, se produire en France signifie aussi se faire remarquer par les producteurs et trouver de bons tuyaux afin de sortir un premier album. Car évidemment, pendant de longues années, la musique et le chant traditionnels, surtout authentiques, attiraient peu sur le plan local. Rares étaient les endroits où les artistes intéressés pouvaient se produire, et cet état des choses a duré longtemps et n’a changé que ces dernières années. Du coup, c’est en France que cheikh Zain a pu sortir son premier CD en 1996 : Madih Min Saïd Misr (louanges provenant de la Haute-Egypte). De fil en aiguille, il s’est fait connaître et désormais il est sollicité afin de faire des tournées en France pour interpréter des grands poètes mystiques. Récemment, il a ainsi été convié afin de donner l’opérette Hassan et Naïma à Marseille, au Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée.

Depuis 2007, il entretient un rapport très spécial avec Marseille et se produit souvent sur ses théâtres. La raison est simple : le cheikh a épousé une Marseillaise, Virginie Recolin-Ghanem, qui s’intéresse à la gestuelle et au langage chorégraphique oriental et qui a effectué plusieurs séjours de recherche, afin de retracer l’histoire du chant populaire égyptien. A partir de là, le couple crée ensemble, toujours à Marseille, la compagnie Al-Masriya (l’Egyptienne), mettant l’accent sur les trajectoires croisées d’artistes, faisant des va-et-vients entre la France et l’Egypte, notamment les spécialistes du chant sacré.

Puis en 2009, cheikh Zain lance son premier groupe musical, La fabrique du Temps, suivi de l’installation d’une école d’arts populaires égyptiens, La Maison de la culture égyptienne, spécialisée dans les chants soufis et les contes populaires. Et en 2011, il forme la chorale soufie du cheikh Zain Al-Masri (Zain l’Egyptien). Celle-ci regroupe en effet six Françaises, danseuses de Tannoura (danse mystique des derviches tourneurs), un contrebassiste, des joueurs de luth, de mandoline, de derbouka et de rebab. « La France est un terrain très accueillant à l’égard de mon art, un peu comme l’Egypte l’a été pour plusieurs chanteurs arabes. La France m’a fourni un soutien moral beaucoup plus que financier, elle m’a donné la chance de mieux divulguer mon héritage oral soufi et de faire partie du marché des Musiques du monde. Ce, à un moment où il m’était difficile d’obtenir de l’Etat égyptien une autorisation pour ouvrir un studio d’enregistrement », déclare cheikh Zain, qui, une fois plus célèbre, a pu fonder en 2016 l’Association de la collecte du patrimoine, dans le quartier de Sayeda Zeinab. Les temps changent et le pays est en train de redécouvrir son propre patrimoine.

Archives de musique

Prélude à la Musique du monde
Nass Makan, jouant avec des musiciens français.

« La France possède des archives assez riches en matière de musique folklorique égyptienne, contrairement à l’Egypte. Ceci remonte au temps de l’Expédition de Bonaparte, grâce au concours de l’ethnomusicologue français Guillaume Villoteau, lequel nous a fait découvrir en premier la diversité musicale du pays », souligne Ahmad Al-Maghrabi, fondateur et directeur du centre Makan sur l’art et la culture, qui tient depuis 2002, dans ses locaux à Mounira, des concerts hebdomadaires de musique folklorique. Ce, sans omettre ses efforts pour la sauvegarde du patrimoine oral.

En travaillant en tant qu’attaché culturel en France, entre 1999 et 2002, Al-Maghrabi se rend compte que la notion de Musiques du monde est pratiquement inexistante en Egypte. Il a alors sillonné les quatre coins de l’Egypte, fouillant dans les villes et les villages, afin de tout enregistrer : récitation classique du Coran, chants soufis ou ceux du zar, servant à exorciser les démons, hymnes coptes, folklore nubien … « Parfois, on réussissait à fusionner ces oeuvres du patrimoine avec de la musique jazz, de l’afro-beat, etc. en collaborant avec des troupes françaises comme Mei Tei Sho ou Orange Blossom. Le fruit de ce genre de collaboration a été souvent présenté dans des festivals ou autres manifestations à l’Institut du monde arabe, à Paris. En France, la valeur culturelle prend le dessus sur les autres considérations commerciales. Car c’est un pays doté de plusieurs fonds d’aide, d’établissements soutenant la culture et ainsi de suite », fait remarquer Al-Maghrabi, qui a été l’un des producteurs de deux albums intitulés Mozart l’Egyptien, respectivement en 1997 et 2002, mariant les airs orientaux à d’autres mozartiens. Avec le compositeur et producteur français Hughes de Courson, le projet a vendu plus de 400 000 exemplaires, de par le monde, dont 200 000 en France.

En ce moment, Al-Maghrabi travaille sur un nouveau projet, en coopération avec Jean Lambert, enseignant-chercheur en anthropologie et musicologie, au Musée de l’Homme, à Paris. « Mon projet consiste à mettre sur ordinateur les recherches de Guillaume Villoteau (compositions, mélodies et notes musicales), qui figurent dans La Description de l’Egypte et jouées dans le temps sur les anciens instruments égyptiens (rebab, arghoul, kawala, kamanja, luth, nay, derbouka). Villoteau a rédigé 980 pages sur les chants du patrimoine, les instruments tombés dans l’oubli, etc. Tout est mentionné dans les menus détails », conclut Al-Maghrabi. Une fois tout le matériel rassemblé, il aura recours à des musiciens populaires afin de jouer ces compositions anciennes et les enregistrer pour en faire un CD et peut-être aussi une docu-fiction .

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