Culture > Arts >

Hala Khalil : J’écris des scénarios pour me décharger de quelque chose qui me pèse

Najet Belhatem, Lundi, 04 avril 2016

Avec Nawara, en salle actuellement, Hala Khalil, qui écrit ses propres scénarios, confirme un parcours cinématographique où la sensibilité est à fleur de peau. Ce troisième long métrage de la réalisatrice est un regard très poignant sur la société égyptienne avec, pour toile de fond, la révolution de 2011.

Hala Khalil
La réalisatrice Hala Khalil

Al-ahram hebdo : Depuis 2004, date de votre premier long métrage, vous en êtes à votre troisième film. Pourquoi tout ce temps entre vos films ?
Hala Khalil : Oui on aurait effectivement tendance à croire que je ne fais rien entre mes films. Mais le fait est que je suis tout le temps sur un projet. Après mon film Ass Wa Lazq (couper-coller) en 2007 j’ai écrit quatre scénarios. Je suis soit en train d’écrire, soit en train de chercher un producteur. J’ai commencé à écrire Nawara en 2012, et le parcours pour trouver des fonds a duré deux ans et demi. Mais le problème est qu’il y a de moins en moins de producteurs, en plus du fait que ceux, qui font partie de ce milieu, cherchent des ingrédients qui, selon eux, vont plaire aux spectateurs. La décision du producteur ne repose ainsi plus sur la qualité du scénario.

Dans vos films il y a toujours une scène qui ressemble à un tableau qui a l’air de résumer votre idée centrale, à commencer par l’écharpe portée par le vent dans Les Meilleurs moments, jusqu’à cette scène d’amour au milieu de la piscine dans Nawara. Est-ce une signature de votre style … Un fil conducteur de votre travail ?
— Non. Je ne le fais pas consciemment. Vous mettez la main là sur mon « Moi ». En réfléchissant à votre question je me dis : effectivement, il y a une relation et si je me penche sur ce que cela reflète de moi, je trouverai sûrement que ces scènes reflètent quelque chose. Mais en travaillant je suis très spontanée, que ce soit à l’écriture ou à la réalisation. Je ne réfléchis pas beaucoup à trouver un style ou une manière de m’exprimer. C’est pour cela que mes films me ressemblent un peu. Cela peut être une qualité et un défaut en même temps. Ce que je peux vous affirmer cependant, c’est que le cinéma pour moi n’est pas seulement une histoire, mais une série de multiples détails.

— Dans tous vos films le personnage principal est une femme. Cela relève-t-il d’un choix délibéré ou d’une simple coïncidence ?
— Ce n’est pas un choix. Et mon travail n’a rien à voir avec le féminisme. Cela a rapport avec le fait que c’est moi qui écris mes scénarios et également avec la nature de ma relation au cinéma. Une grande partie de mon travail cinématographique est issue du fait que j’ai quelque chose en moi que je veux exprimer. Cela ressemble à de l’expression littéraire. J’écris des scénarios pour me décharger de quelque chose qui me pèse, qui me fatigue et m’exaspère. C’est pour cela que dans mon travail il y a quelque chose, je ne dirai pas d’intime, mais plutôt de personnel. Le personnage principal exprime ainsi ma partie intérieure, et par nature, il est donc une femme. Pour qu’il soit un homme, il faudrait que je le décide consciemment. Par ailleurs, les sujets de mes films ne sont pas des sujets proprement féminins. Dans les trois films, un homme aurait très bien pu être le personnage principal. Dans Nawara, cette femme de ménage illustre toute une classe, où les hommes vivent les mêmes difficultés et les mêmes souffrances que les femmes.

— Tous les personnages dans Nawara sont confinés dans des espaces étroits ou alors enfermés dans de riches villas derrière des barrières de sécurité. A quoi est due cette sensation d’étouffement ?
— Cette sensation a un rapport avec le sujet du film. En faisant ce film j’étais très touchée. J’ai même fait sans le savoir une dépression. Je suis très sensible à la question de la justice sociale et ma relation avec la révolution est une relation affective. C’est pour cela que je n’ai pas réussi à prendre de la distance par rapport à ce film. J’ai pleuré pendant le montage, ce qui est une erreur professionnelle. Pour mes deux autres films j’ai tout de suite pris de la distance et j’ai pu voir leurs défauts. En ce qui concerne Nawara, je n’arrive toujours pas à évaluer mon travail.

— Vous avez dit que pour vous le cinéma ce sont sur­tout des détails et pas seule­ment une histoire. Dans Nawara quel a été votre détail majeur ?
— C’est l’eau dans tout le film. L’eau dans le quartier populaire, dans le quartier huppé. L’eau qui coule du robi­net de l’hôpital public. La ligne de l’eau commence dès la première scène. L’eau est source de vie. Et dans Nawara il est question de vie. D’ailleurs, ce détail, je l’ai répété à outrance pour qu’il soit évident.

— Le film commence avec la souffrance de porter de l’eau pendant de longues distances et se termine par l’arrestation de l’héroïne pour vol. C’est un regard très pessimiste que vous jetez sur la société ...
— C’est vrai, c’est pessimiste. Car la réalité, pour moi, l’est. Il y a une différence entre des gens adaptés à leur dur quotidien et qui n’en font pas un plat et entre le fait de leur ouvrir une lucarne d’espoir pour la refermer ensuite. On a donné à ces gens de l’espoir. On leur a fait sentir que la réalité pouvait changer. Et là ils sont aux prises avec une situation difficile.

— Pourtant, beaucoup ont vu dans la fin du film une note d’optimisme avec ce mari sur sa mobylette poursuivant sa femme arrêtée et qui jure de ne pas l’abandonner … Ne trouvez-vous pas cela paradoxal ?
— L’optimisme réside dans la volonté de vivre des gens. Quand ils voient dans cette fin une fin ouverte cela est dû à leur amour pour la vie malgré tout. Certains m’ont même proposé de faire une deuxième partie pour sauver Nawara de la prison !.

Hala Khalil
Nawara ne peut pas laisser indifférent.

Mot de passe : Beau rêve
De deux jerricans à bout de bras, à deux menottes aux mains. D’un parcours difficile dans des dédales sales et étroits où le soleil peine à jeter ses rayons à une lucarne barreau­dée d’un fourgon cellulaire. C’est le destin de la jeune femme de ménage, Nawara, dont le nom est le titre du dernier film de la réalisatrice égyptienne Hala Khalil qui a à son compte deux longs métrages. Le premier Ahla Al-Awqat (les meilleurs moments) (2004) est l’histoire de trois jeunes femmes que le destin a réunies après des années de séparation grâce à une série de lettres d’un inconnu. Le deuxième Ass Wa Lazq (couper-coller) (2007) où un groupe de jeunes se débat face à une réalité et un quo­tidien durs et plein d’embûches. Ce dernier film de Hala Khalil est lui aussi le tableau terne et morose d’une jeune femme aux prises avec la pauvreté avec comme toile de fond la révolu­tion du 25 janvier. Toute l’histoire se joue sur les contrastes que la réalisatrice a répétés parfois à outrance comme pour insister sur son idée de base qui est les inégalités sociales. De la petite chambre où vit Nawara avec sa grand-mère et les poussins qu’elle élève, on passe après un parcours du combattant entre bus et microbus du Caire à une superbe villa où vit une famille de la nomenklatura et où un chien mange chaque jour l’équivalent d’un repas de plusieurs familles pauvres.

La clé du film est en fait le mot de passe du système de surveillance que la maîtresse de cette villa donne à la jeune femme de ménage lorsque la famille décide à contrecoeur de quitter cette Egypte en ébullition « Happy Dream ». C’est de rêves en fait qu’il s’agit. Le rêve de pouvoir payer un appartement pour se marier. Le rêve de voir la municipalité faire parvenir l’eau potable dans le quartier anar­chique et enlisé dans la pauvreté. Le rêve de récupérer l’argent dérobé et placé à l’étran­ger. Le rêve d’aller un jour faire le pèlerinage à La Mecque. Le rêve de trouver un lit dans un hôpital public. Ce « Happy Dream » c’est Nawara qui le porte comme elle porte les jerricans remplis d’eau jusqu’à la chambre vétuste où elle vit. Durant tout le film elle affiche l’espoir et l’optimisme face à son quo­tidien. Elle touche tous ces rêves du doigt lorsqu’elle se retrouve au milieu de la piscine de cette villa dont elle est devenue la gar­dienne malgré elle, avec son mari pour consommer un mariage en suspens depuis six ans faute d’appartement. Certes, la question des inégalités sociales a été traitée sous toutes les coutures par le cinéma égyptien, et on pourrait parler de « déjà-vu », mais ce film a le grand atout de ne pas laisser indifférent. C’est comme si la réalisatrice usait de ce qui peut paraître comme des stéréotypes pour rappe­ler une réalité qui se banalise à force d’exister. Et il en ressort une forte sensation ,

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique