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Chérif Fathi : Nous avons voulu montrer une Nubie au-delà des clichés et des déjà-vu

Névine Lameï, Lundi, 29 février 2016

Jareedy est le premier court métrage égyptien en langue nubienne. Il participe au Festival de Louqsor sur le cinéma africain, prévu du 17 au 23 mars. Entretien avec son producteur, Chérif Fathi.

Chérif Fathi.
(Photo:Mohamad Adel)

Al-Ahram Hebdo : La boîte de production The Cell (la cellule), dont vous êtes cofondateur, est l’un des principaux financeurs du film Jareedy, réalisé par Mohamad Hicham. Qu’est-ce qui vous a encouragé à tourner ce premier film égyptien en langue nubienne ?
Chérif Fathi : Le message humain du film, entièrement tourné en Nubie, précisément à l’île de l’Ouest de Sohail, a touché tous les parte­naires de The Cell. Jareedy (barque, en nubien) aborde l’histoire d’un garçon nubien, assez rêveur, au prénom de Konnaf. Il ne sait pas nager, mais son rêve d’atteindre l’île nubienne de l’Ouest de Sohail le pousse à surmonter sa peur. Alors, il prend une petite barque, afin de s’y rendre : Tout au long du film, il est guidé par un vieux Nubien, Abraz, lequel aspire à tout prix à revenir à sa terre d’origine, l’ancienne Nubie, submergée par les eaux après la construction du Haut-Barrage d’Assouan. Abraz est lui-même constructeur de barques, c’est lui qui va aider le petit Konnaf dans son voyage initiatique et lui inculquer le sens du dévouement à la terre des ancêtres. C’est sans doute une occasion de pas­ser en revue le quotidien des Nubiens, d’une génération à l’autre, leur attachement à leurs villes, leur tradition orale, etc. De quoi en faire vraiment une oeuvre qui abonde en émotions, d’autant plus que l’histoire s’inspire de faits réels. Le réalisateur Mohamad Hicham, qui vit à Dubaï, a rencontré, lors d’un voyage à Assouan, un jeune garçon nubien, appelé Mohamad Saleh. Il était hanté par le même rêve que Konnaf, le héros du film, écrit par le scénariste Gamal Salah. Les deux directeurs de la photo­graphie, Achraf Al-Mahrouqi et Samourira, sont nubiens. Ils ont capté la splendeur des sites naturels et l’âme de la Nubie. C’est l’un des points forts de Jareedy. Le réalisateur Mohamad Hicham est un ami à nous, les partenaires de The Cell. Il a déjà filmé un documentaire très réussi et touchant sur les blessés de la révolution du 25 janvier 2011, au titre d’Al-Nass Doul (ces gens-là).

— Qu’est-ce qui distingue Jareedy de tout ce qui a été dit, raconté et filmé sur la Nubie, depuis des années et que l’on retrouve parfois sur les sites Internet ?
— Les documentaires que l’on peut retrouver sur Youtube sont de type informatif ou didactique. Jareedy est plutôt une « docu-fiction » qui, loin de parler politique, aborde une question assez sensible, qui est le droit au retour des Nubiens. Ceci est effectué dans un langage cinématographique simple mais bien maîtrisé, montrant une Nubie au-delà des clichés et du déjà-vu. De plus, Jareedy est joué en nubien, dans le dialecte Kenzi, avec un sous- titrage en arabe et en anglais. Les comédiens sont nubiens, les meilleurs à interpréter leurs propres vies. Notre boîte de production s’intéresse surtout à ce genre de films traitant des faits réels, de manière artis­tique. Nous avons contribué à titre d’exemple à la production de Bab Al-Wadaa (la porte d’adieu) de Karim Hanafi et d’Al-Rehla (le voyage) de Hicham Saqr, abordant des ques­tions sociales et humaines, loin du cinéma com­mercial.

Le recours aux habitants de la Nubie en tant qu’acteurs a-t-il réduit le coût de la pro­duction ?
— Par un tel choix, nous avons surtout voulu briser le monopole des grands noms du cinéma. Ceci ne signifie pas nécessairement que nous cherchons à faire des oeuvres à petit budget, mais c’est la notion d’originalité et d’audace qui a pris le dessus dans notre choix. Le réalisateur Mohamad Hicham a eu recours à un minimum de co-équipiers. Il a tourné pendant 12 jours d’affilée. C’était une belle expérience, une manière de confirmer que le cinéma dit « indé­pendant » a de beaux jours devant lui.

Chérif Fathi

— La chanson de Jareedy, interprétée par la Tunisienne Ghalia Bin Ali et projetée en vidéoclip sur Youtube, remporte beaucoup de succès. Une jolie bande-annonce ...
— Ghalia Bin Ali l’a fait gratuitement, spécia­lement pour le film. C’est elle qui a composé cette chanson Saaoud Yawmann (j’y retournerai un jour), écrite par Weam Ismaïl. Elle est venue exprès de Belgique pour l’enregistrer en Nubie, car elle était éprise par le côté humain du film. D’ailleurs, elle a décrit la chanson comme « une blessure profonde, derrière un sourire mer­veilleux ». Habillée d’un Jarjar (robe tradition­nelle nubienne), Bin Ali chante en arabe dialec­tal, sur une musique bleue africaine. Elle mêle un peu l’esprit tunisien à la gaieté nubienne. Dans le film, elle chante aussi Abayassa, avec une grande sensibilité, une oeuvre du folklore nubien écrite par le poète nubien Mohieddine Charif et son confrère, le compositeur Ahmad Mounib, tous les deux aujourd’hui disparus. Cette chanson était censée être interprétée par Mohamad Mounir, mais le projet n’a pas abouti.

— Quelles seront les prochaines projec­tions de Jareedy ?
— D’abord, le film va participer au Festival de Louqsor sur le cinéma africain, qui se tient du 17 au 23 mars. Ensuite, il sera projeté dans le cadre de l’Afrika Film Festival qui se déroule à Leuven, en Belgique, du 11 au 26 mars. Ensuite, il est programmé pour le Festival d’Ismaïliya sur les documentaires et les courts métrages, en avril prochain.

Nous sommes très heureux aussi d’avoir participé au Festival de Jaipur, en janvier dernier, où le film a été très bien accueilli, notamment de la part du réalisateur indien Prakash Jha. Jareedy a été également nommé en février dernier comme « Meilleur montage et photographie », au London International Film Festival, et a été donné au MONTHS Film Festival, en Roumanie, et au festival Best Short Award, en Amérique.

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