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Deux ailes pour voler

Moheb Gamil, Lundi, 04 janvier 2016

Le groupe musical libanais, Machroue Leïla, vient de lancer son 4e album, Ibn Al-Leil (fils de la nuit). Les chansons sont à l’image des jeunes gens en révolte, sortant leurs griffes contre tout ce qui est ancien.

Deux ailes pour voler
Machroue Leïla, des musiciens rebelles.

Deux ailes pour voler

Alors que l’année 2015 tirait à sa fin, le groupe musical Machroue Leïla a sorti son quatrième album, Ibn Al-Leil (fils de la nuit), succédant à son tout dernier disque Raqassouk (on t’a fait danser) en 2013. Dans le nouvel album, la nuit se présente comme une boîte à surprise, aux couleurs de l’actualité sociopolitique de la région. Le groupe réputé pour avoir souvent traité des problèmes épineux, alterne le pop classique et le andy-rock, plus adaptés à la nature des sujets abordés.

Dès la première chanson surgit la dimension mythologique qui plane sur tout le CD. Elle emprunte le nom de la muse grecque du chant, Aoédé, et les musiciens font appel à ses dons, afin de se libérer, de s’inspirer et se débarrasser de leurs vieux démons. Vers la troisième chanson, Trois minutes, le ton devient plus révolté, rien que par le choix de la musique encore moins traditionnelle que d’habitude. Très peu de choses séparent la liberté de la résignation, disent-ils. « La différence entre la liberté et la résignation est juste un choix à faire ».

Ce sont des musiciens qui avancent tranquillement optant pour une révolution en douceur. Car ils saisissent parfaitement que crier ne sert absolument à rien, en ces temps difficiles.

Dans la chanson Djinn, les membres du groupe font office d’une secte, se livrant à un rituel clandestin et bizarroïde. Ils puisent leur vocabulaire dans les rues, dans les kiosques, dans les bars. Ils prennent une bouffée d’air et chantent : « Dans la forêt, nous passons la nuit à la belle étoile, nous buvons et secouons la terre de par notre insubordination ». Puis ils rompent avec cette ambiance un peu mystérieuse, en faisant appel à un air musical issu du folklore égyptien, pour mieux réussir leur amalgame abracadabrant.

Le mythe d’Icare

Mashrou' Leila - 08 - Falyakon / مشروع ليلى - فليكن [official lyric viceo]

Puis l’on arrive à la chanson phare de l’album : Icare, mettant en exergue le conflit latent des générations, en reprenant le mythe grec d’Icare. Celui-ci est connu principalement pour être mort, après avoir volé trop près du soleil. A cause de ses trahisons répétées, Dédale, l’architecte du roi Minos, est jeté avec son fils Icare dans le labyrinthe qu’il a lui-même construit. Icare a eu l’idée de fuir sa prison, en fabriquant des ailes semblables à celles des oiseaux, confectionnées à l’aide de cire et de plumes. Grisé de vol, Icare oublie les conseils de son père lui interdisant de voler près du soleil. Il prend de plus en plus d’altitude et la chaleur fait fondre la cire, jusqu’à ce que ses ailes finissent par le trahir. C’est le cas de pas mal de jeunes gens, s’insurgeant contre les interdits et les préjugés des plus vieux. Les rythmes ascendants du pop et une sorte de musique funèbre se mêlent, pour mieux exprimer la fin tragique des uns et des autres.

De cette chanson, on passe à une autre faisant état de l’épuisement de cette jeunesse qui se bat contre tout. Maghawir (audacieux) poursuit la critique acerbe de la société, en invoquant un fait divers qui a eu lieu dans un bar libanais. L’un des clients a criblé un autre de balles, de quoi permettre aux musiciens de partir de cet incident afin « d’ouvrir le feu » sur une société inextricable. Rien ne peut justifier autant de violence, de conflits confessionnels et de guerre entre milices, au sein d’un même Etat. « Enfants, on nous a appris à jouer aux guérilleros. C’était notre passe-temps. Et puis après ... t’as disparu », chante Machroue Leïla.

A plusieurs reprises, le groupe s’attaque aux fanatiques de part et d’autre, ceux-ci décident de l’avenir et des frontières des pays, aux dépens de tous. Il n’est plus question de vouloir chanter le droit des marginalisés et des laissés-pour-compte, on n’en est plus là. Car notre sort à tous est en jeu, et les laissés-pour-compte sont une partie prenante de ce jeu. Dans ce même esprit, le groupe affiche son désarroi et s’avère moins soucieux de plaire au grand public. Peu importe de faire cavalier seul, l’essentiel c’est d’exprimer ses idées peu coutumières.

Dans Bent Al-Khandaq (la fille dans la tranchée), les musiciens rejettent l’image des filles non mariées, telle perçue en société. « Ne vous en faites pas, vous avez votre vie, vos habitudes. Vous avez grandi avec un sentiment d’étrangeté. N’ayez pas peur de succomber au sommeil », réitèrent les membres du groupe.

Ensuite, c’est la lutte anti-extrémiste qui prend de nouveau le dessus, à travers deux autres chansons : Asnam (idoles) et tayf (spectre). Les fondamentalistes ainsi que leurs idées désuètes sont une fois de plus montrés du doigt. Il faut absolument les mettre à nu pour arriver au printemps, enfin, avec le morceau musical Saad Al-Saoud (ultime joie), c’est le crescendo de l’album, le moment où les fleurs s’épanouissent et les arbres deviennent verts. La fin d’un triste chapitre de l’histoire de la région. Il est temps de tourner la page, de faire table rase de ses paradoxes et de ses craintes, exprimés dans la chanson Ashabi (mes amis). Puis, l’album se termine par Al-Marrikh (mars), où l’on est à la recherche d’une autre terre, d’une autre planète, pas encore souillée par les tirs, les cris, les interdits et les rêves avortés.

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