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L’art en héritage, le talent en partage

Novine Movarekhi, Mardi, 29 décembre 2015

Pour commémorer le 40e anniversaire de la disparition d’Oum Kalsoum, la Philharmonie de Paris lui a dédié une série de concerts animés par des artistes bercés dès leur enfance par la voix de la diva égyptienne.

Trois talents, représentatifs de la diversité du Moyen-Orient.
Trois talents, représentatifs de la diversité du Moyen-Orient.

A travers trois concerts, la Philharmonie de Paris a rendu hommage à celle considérée comme la plus grande voix féminine du monde arabe, Oum Kalsoum. A la source de cet événement, une idée du musicien d’origine libanaise, Ibrahim Maalouf, qui souhaitait consacrer une manifestation à « l’Astre de l’Orient ». Son idée s’est finalement concrétisée pour donner un ensemble de concerts qui a réuni, du 12 au 14 décembre, Waed Bouhassoun, Ghalia Benali et Ibrahim Maalouf. Leur programmation s’inscrit dans les objectifs de la Philharmonie, énoncés dès son ouverture en janvier 2015, à savoir « la mise en valeur des grandes vedettes de la musique arabe », indique Alain Weber, conseiller artistique pour les musiques du monde à la Philharmonie de Paris.

Décédée il y a quarante ans, Oum Kalsoum ne cesse de régner sur les inconscients collectifs, à travers toute la région, voire même au-delà. « Oum Kalsoum est la seule artiste connue en dehors de la région arabe qui ait fait l’objet d’un mythe. Elle a réussi à rallier le monde arabe à la musique, et rappelle par ailleurs le grand essor musical que l’Egypte a connu », explique Alain Weber.

Le choix des artistes invités n’est pas anodin. D’origine arabe, ils représentent, à eux trois, un fragment de cette diversité des peuples de la région. Basés en Europe, ils ont en commun une double culture, et, surtout, avoir reçu l’art en héritage, depuis leur plus jeune âge.

La voix avec laquelle on a grandi

Druze originaire du sud de la Syrie, Waed Bouhassoun est exilée en France depuis le conflit qui sévit dans son pays. D’une famille de mélomanes, elle est élevée au son d’Oum Kalsoum. Après une formation de oud au Conservatoire de Damas, elle acquiert une technique de chant classique et développe sa voix. Sa première interprétation publique d’Oum Kalsoum a lieu en 2006, lors d’un concert donné à la Maison des Cultures du Monde à Paris. Un événement-clé dans sa carrière qui sera alors lancée. « A chaque fois que je chante Oum Kalsoum, c’est comme une nouvelle étape dans ma carrière », s’émeut cette jeune Syrienne qui réinterprète ce mythe une décennie après. Il s’agit d’une source dont Waed se nourrit et s’inspire en permanence dans sa propre création musicale. Accompagnée du oud, du qanun, du violoncelle et du riqq, elle démontre l’ampleur et la pureté de son chant en interprétant les incontournables, Enta Al-Hobb, Zalamuni Al- Nas, Al-Atlal … Un moment de grâce offert au public de la Philharmonie, profondément ému, toutes cultures confondues. Pour Waed Bouhassoun, c’est aussi une déclaration d’amour faite à Damas, et à sa famille restée en Syrie.

Deuxième retrouvaille aussi entre Oum Kalsoum et Ghalia Benali, Tunisienne née en Belgique. C’est le 20 mars 2009 qu’elle chante pour la première fois Oum Kalsoum en concert à Bruxelles. Son album Ghalia Benali sings Om Kalthoum est enregistré l’année suivante. Simplicité et proximité du peuple sont les maîtres mots de son approche à ce répertoire : « Je me sens comme la petite-fille d’Oum Kalsoum, c’est un projet où je parle donc de ma grand-mère, sans intention de me mesurer à sa voix. Mais avec le désir de la rendre plus accessible à un public occidental, et de rapprocher sa musique au peuple. Je m’entoure donc d’instruments sous une forme plus intimiste ». Cela implique certains changements au niveau de l’interprétation et des arrangements, « c’est une approche musicale sensiblement différente du takht arabe classique », précise-t-elle. Etoffé ici d’un instrument occidental, le takht (ensemble arabe classique) est composé de la contrebasse, du oud et des percussions, pour accompagner la voix sensuelle de Ghalia Benali.

Le joueur de oud profite, en outre, d’une certaine liberté dans l’interprétation. Siret Al-Hob, Alf Leila Wa Leila, ou Qadheet Hayati, ces éternelles mélodies sont chantées sur des rythmes envoûtants qui résonnent dans la Cité de la musique, le temps d’un après-midi … Une tournée commencée symboliquement au Caire au mois d’octobre dernier, pour se poursuivre en Hollande, en Belgique, avant de se terminer à Paris.

Improvisations de trompette

Ibrahim Maalouf apporte la touche finale et on ne peut plus originale à cet hommage vibrant d’émotion, en proposant une rencontre magique entre le jazz et la musique arabe. Basé en France, ce musicien d’origine libanaise bénéficie d’une double culture musicale, notamment grâce à la trompette à 1/4 de tons, qui permet de jouer les modes propres à la musique arabe. Une invention de son père Nassim Maalouf.

Ibrahim trouve vite un compromis avec cet instrument qu’il apprivoisera à sa manière. Fasciné depuis son enfance par Oum Kalsoum, dont il aime comparer le génie à celui de Beethoven, il décide de reprendre l’un de ses plus grands succès, Alf Leila Wa Leila (Mille et Une Nuits) sous la forme d’une ouverture suivie de quatre mouvements ; le tout avec la complicité de ses quatre instrumentistes au piano, saxophone, contrebasse et batterie. Un travail qui débouche sur l’album Kalthoum : une création où l’improvisation tient une place aussi importante que dans la version originale de 1969, et où la trompette se transforme en voix, mais c’est surtout « une célébration de la femme qui a bouleversé le cours de l’histoire et qui est par ailleurs la voix avec laquelle j’ai grandi. C’est donc un peu un retour aux sources », confie Ibrahim Maalouf.

*Ibrahim Maalouf est en tournée avec Oum Kalsoum en Europe, au Maroc, et aux Etats-Unis. Waed Bouhassoun se produira en concert avec Jordi Savall et son ensemble musical Hespèrion XXI, pour un hommage à Ibn Battûta, à la Philharmonie de Paris

le 11 février 2016.

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