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Variations autour du corps

May Sélim, Lundi, 02 novembre 2015

Le corps tabou, le corps magnifié, le corps aux sources de l’identité : trois artistes explorent à leur manière cet objet de désir, d’expression et parfois de haine.

Variations autour du corps

Aux rythmes de la liberté

Variations autour du corps
Les toiles de Atef Ahmad sont autant de regrets d’une époque où la danse était d’abord considérée comme un art.

Des photos nostalgiques évoquent des danseuses du ventre, des troupes de danse folklorique et des vedettes du passé. Naïma Akef, Tahiya Karioka, Farida Fahmi ou la troupe Réda : des corps qui dansaient à l’époque avec subtilité et qui reviennent aujourd’hui à travers les toiles de Atef Ahmad à la galerie Misr. La relance des rythmes part de photos retouchées et complétées à la peinture.

Dix-neuf tableaux dépeignent les danseurs et danseuses du passé dans un style contemporain, faisant appel à la mémoire collective de la société. « Le rythme est toujours lié au mouvement. Dans le passé, la danse, cet art d’expression corporelle, était appréciée. Aujourd’hui, le corps qui danse est souvent associé à une image de vulgarité, de grossièreté et de sexualité. La danse du ventre est devenue de l’indécence, suivant la dégradation des valeurs morales dans la société », regrette Atef Ahmad.

Depuis une dizaine d’années, cet artiste associe la photographie à la peinture. Il trouve les deux complémentaires. La première est une documentation du réel. La deuxième est un jeu de couleurs et de formes sur la toile. A travers cette fusion entre les deux, l’artiste crée son propre monde, féerique et imaginaire.

Dans la relance des rythmes, le peintre évoque la beauté de la danse, celle des corps des danseuses et de leurs costumes populaires. « Danser veut dire exprimer son intérieur, refléter l’harmonie entre l’âme et le corps et s’exprimer librement », estime l’artiste, qui tâche dans chaque tableau d’accentuer le va-et-vient entre le passé et le présent, entre la photo et la peinture. On retrouve le corps souple et fin d’une danseuse sur une photo qui s’oppose à une série de petits octogones rigides et blancs. Le contraste est là : entre richesse du passé et rigueur du présent.

Une autre photo de danse folklorique de la troupe Réda est retravaillée au point d’effacer ses contours. La photo devient partie intégrante d’une peinture où les couleurs jaunâtres du passé dominent.

La danseuse Naïma Akef, avec son sourire et son corps harmonieux, prend vie en quelques touches de couleurs formant de petites lampes populaires. Malgré son allure nostalgique, l’oeuvre est une toile pleine de gaieté et de vivacité.

Souvent, des calligraphies viennent accentuer l’effet de mouvement. Atef Ahmad joue avec son pinceau, embellissant ses danseuses avec des bracelets dorés ou des colliers en perles. Il ajoute à leurs habits des ornements brodés ou des écailles brillantes et colorées. Ces ajouts donnent à la photo d’antan une touche vivante, comme si le passé n’avait pas disparu .

Jusqu’au 25 novembre, de 10h à 22h (sauf le vendredi) à la galerie Misr, 4, rue Ibn Zinky, Zamalek. Tél. : 27350604.

Quête identitaire

Variations autour du corps
Pour Magued Mikhaïl, le corps se résume souvent à de simples formes. (Photo : Bassam Al-Zoghby)

Entre les sculptures et les peintures du jeune Magued Mikhaïl exposées à la galerie Misr sous l’étiquette « Many Rivers to Cross » (plusieurs fleuves à traverser), le corps est un voyageur. Les sculptures de Mikhaïl en bronze et ses tableaux à l’acrylique sur bois pressé nous proposent un voyage dans le temps et dans l’espace. Dans ses oeuvres, le corps est parfois une forme volumineuse, les organes et les courbes se résument au plus simple, seuls quelques éléments et motifs viennent décorer la forme sculpturale et lui attribuer des traits spécifiques, lui donner une identité.

Son oeuvre en bronze, Al-Ghaziya (la danseuse populaire), ne dévoile pas les détails d’un corps. Cette sculpture représente Ishtar, une divinité iraqienne symbole de fertilité et de beauté. Mais ici, c’est un corps féminin réduit à ses plus simples proportions. La séduction, la fertilité et l’amour prennent la forme d'une pomme sur un plat posé sur la tête de la divinité.

L’artiste représente Bouddha, dans une forme sobre et sans détails. Quant à Oum Kalsoum, elle est à peine reconnaissable : dense et verticale, seul un petit accessoire permet de l’identifier.

Quant à ses peintures en acrylique, elles puisent dans le quotidien. Magued Mikhaïl y dévoile son milieu rural, local et simple. On retrouve des corps féminins mis à nu, ces corps sont plats, mais quelques rondeurs suffisent à évoquer la volupté des jambes ou des hanches. Magued évoque le corps féminin dans une vie quotidienne simple : une femme sensuelle et nue joue avec des volailles, une autre se cache derrière un rideau. Quelques toiles évoquent aussi des personnages saints tels Mar-Guirguis, dont le corps est presque une simple silhouette grisâtre.

Dans toutes ses oeuvres, Magued Mikhaïl voyage de l’Egypte vers l’Iraq, l’Extrême-Orient. Il puise dans les mythes, les rites folkloriques, les anciennes civilisations et les religions. « Cette exposition constitue une quête de l’identité orientale et égyptienne. Les jeunes artistes s’inspirent souvent des sculptures et des peintures occidentales. J’ai voulu plutôt fouiller dans la civilisation du Moyen-Orient et de l’Extrême-Orient qui sont beaucoup plus proches de notre culture égyptienne », explique Magued Mikhaïl .

Jusqu’au 15 novembre, tous les jours de 11h à 20h, le vendredi de 15h à 20h (sauf le mercredi et le jeudi) à la galerie ArtTalks, 8, rue Al-Kamel Mohamad, Zamalek. Tél. : 2736 3948.

Les postures de l’âme

Variations autour du corps
Casser le tabou du corps, c’est ce que fait Noha Nagui dans sa dernière exposition.

Des corps pulpeux et de différentes postures. Un corps féminin, un autre masculin, un troisième ridé et crispé. Chaque dessin dans l’exposition Im…possibilités du corps de Noha Nagui est une variation sur le corps. Dans cette exposition de la galerie Al-Nile, on retrouve une sérénité, une sensualité, une lassitude … ces corps anonymes ressemblent à ceux que nous fréquentons avec indifférence tous les jours. « Le corps est souvent un élément tabou dans notre société. Quand on parle du corps, on pense d’abord au corps féminin, symbole de tentation et de plaisir charnel. Mais il faut bien comprendre que le corps, qu’il soit celui d’un homme ou d’une femme, dépasse l’idée de la chair. On doit le respecter et le libérer », lance l’artiste.

Le titre de l’exposition lui-même (Im…possibilités du corps) suggère d’un côté la liberté, et d’un autre son absence.

A l’origine peintre, Noha Nagui s’aventure ici dans le dessin. Elle joue avec les lignes et les contours et dessine le corps plein d’une femme enceinte, le ventre d’une personne âgée, le dos d’une femme penchée ou deux jambes croisées. Sans jamais révéler de visage dans ses dessins monochromes, elle dévoile des corps, « comme des images que j’ai captées et gardées en mémoire, comme si j’avais pris des photos que j’aurais dessinées sur papier », reprend l’artiste. Ces corps, dessinés au fusain, sont libres, audacieux et touchants.

Noha Nagui donne à chacun de ses tableaux deux titres : l’un décrivant la posture présentée, et l’autre suggérant une couleur. On retiendra les dessins intitulés Rotation de Vénus (rouge oxydé) et Déterminée (violet de cobalt). « Je suppose que si le public peut regarder mon tableau, imaginer la couleur suggérée et comprendre mon titre, j’ai réussi à communiquer avec lui », reprend-t-elle.

Les corps dessinés de Noha Nagui bougent, prennent vie et palpitent devant nos yeux. Telles sont leurs possibilités. Et parfois, ils restent des formes figées, cadrées comme un tabou dans la société. Au-delà des formes, on retrouve l’être humain et ses différents états d’âme.

Jusqu’au 10 novembre, de 10h à 20h (sauf le vendredi) à la galerie Al-Nile, 14, rue Al-Montazah, Zamalek. Tél. : 2736 6204.

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