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Salon des jeunes: Avec force, les artistes rentrent en politique

Alban de Ménonville, Mardi, 11 décembre 2012

En rupture avec les précédentes éditions, la 23e édition s’affiche comme une vision d’ensemble de la nouvelle scène artistique. Engagée, l’exposition ne se contente plus de dévoiler de nouveaux talents, elle prend la parole au sein d’un millésime exceptionnel.

Et le grand gagnant est … la 23e édition du Salon des jeunes. Depuis des années, le pourcentage d’oeuvres réussies — celles qui donnent de l’espoir — n’avait jamais été aussi élevé. Qui se cache derrière cette sélection de 189 artistes ? D’abord le commissaire général, Yasser Mongi, mais aussi un jury composé d’hommes et de femmes qui ont voulu faire de cette édition une édition engagée. Révolution, forces armées, répression, police, salafistes, trône, pharaon, tags … tous les symboles de l’après 25 janvier ont leur représentant dans les murs du très officiel Palais des arts de l’Opéra. Aux récompenses habituelles s’ajoutent deux prix dédiés aux martyrs : le prix Ahmad Bassiouni et le prix Ziad Bakir. Avec leurs toiles, leurs sculptures ou leurs photographies, les jeunes

artistes ont voté. Leurs voix s’opposent à l’extrémisme, à l’obscurantisme, à l’oppression et à la dictature. Elles vont en faveur de la liberté, de l’égalité homme/femme et de la religion modérée. Mais le scrutin inquiète avec une nette percée de la crainte et du pessimisme, souvent symbolisée par du sang, des barreaux ou des barbes.

Street Art

Dans le top 10 cette année : Ahmad Mahmoud dans la catégorie peinture, l’une des meilleures surprises de cette 23e édition. Contours imprécis et couleurs contrastées — rose pâle,

rouge, bleu et jaune — viennent rappeler les toiles d’Ahmad Kassim, lauréat en 2010. Moins littéraire dans sa composition que Kassim, Ahmad Mahmoud reprend le style tag et Street Art dans une allusion à Basquiat, où se mêlent équations mathématiques et peinture primitive. Sa peinture, à la limite de l’art brut, évoque le contexte actuel dans toute sa puissance chaotique et dérisoire,

incontrôlable. Aucun doute possible : Ahmad Mahmoud est un révolutionnaire de Tahrir. Ses toiles reprennent la dualité de la première génération de peintres, partagée entre techniques

occidentales et sujets égyptiens. Toute « l’égyptianité » du critique Ahmad Rassim (1895-1958) ressort avec la même force que dans un Hamed Nada, avec aussi le même appel à des formes primitives. Des formes qu’il place dans un contexte et dans un style purement urbain, donnant à la toile des airs de Basquiat égyptien. Mais voilà : Ahmad Mahmoud n’est autre que Ahmad

Kassim qui a décidé d’utiliser un pseudonyme (voir entretien en bas de page). L’inconnu est en réalité un peintre déjà encensé par la critique.

Cris et messages

Autre artiste à suivre : Ramadan Abdel-Mouatamad qui remporte lui aussi l’un des grands prix en peinture. Il signe une oeuvre esthétique dans un style presque iconique aux influences tant persanes qu’orientalistes. Sa créature, proche de celles de Adel Al-Siwi, revient à une mythologie oubliée d’un Orient riche et luxueux. Son oeuvre reste pourtant un cri contemporain sur lequel se greffent une échelle, une assiette vide, une bouteille de scotch ou un hélicoptère qui survole la place Tahrir. Entre deux mondes et deux époques, Ramadan ne choisit pas. Sa toile affiche sans contradiction des réminiscences d’icônes arméniennes du Ve siècle et des symboles qui datent d’à peine 2 ans. Equilibré, le travail qu’il présente mérite l’attention que les juges lui ont portée. Habituée du Salon et de ses récompenses, Marwa Adel remporte cette année le prix de l’encouragement avec une performance. La jeune photographe, qui s’impose avec succès depuis sa première exposition en solo il y a 4 ans, poursuit son travail avec la même sensualité féminine. Et toujours le même message : combattre, par l’art, pour faire changer les moeurs d’une société qui excise, enferme et oblige les femmes à se soumettre. Photographe, Marwa Adel réussit avec succès sa première expérience dans l’art de performance. Seule erreur des juges : le prix attribué à Karim Nabil pour ses photos concourant dans la catégorie computer graphics. Sa série de portraits très « quelconque » semble pourtant avoir séduit le jury. Tout comme les peintures de Karim Helmi qui obtiennent le prix de la Compagnie des porcelaines royales. A côté, une toile de Mohamad Moftah laissait pourtant entrevoir un travail bien plus intéressant malgré une légère faiblesse technique.

L’engagement, le coeur du salon Parmi les 200 oeuvres exposées, la contestation, la critique et l’engagement politique reviennent fréquemment au centre des sujets. Le contexte actuel est évoqué dans la quasi-totalité des créations, parfois de manière directe, la plupart du temps dans des allusions plus ou moins fortes. En dessin, deux lauréats sont récompensés pour le même sujet : un fauteuil, symbole de la dictature et du pouvoir qui s’installe. Deux mises en scène noires et morbides, l’une grouillante de rats, l’autre d’ossements humains, placent sur un trône un individu plus mort que vivant. Critique de la dictature, mais aussi critique de la chute vers le bas, ces oeuvres fortes et pessimistes résument l’esprit de la 23e édition. Même tendance chez Halim

Makram Khalil, prix du martyr Ahmad Bassiouni. Le sculpteur présente un bronze d’hommes aux poings levés, un groupe de révolutionnaires en colère marchant vers la victoire. Largement patriotique, son oeuvre revient aux sculptures nasséristes de Gamal Al-Séguini avec le même élan national et la même volonté de vaincre qui caractérisaient la révolte des Officiers libres. Difficile cette année de tomber sur une oeuvre simplement esthétique, dénuée de tout message politique. Le Grand Prix du Salon, attribué à l’installation de Mohamad Hamza, est l’une des seules créations n’abordant pas directement le contexte actuel. Hamza immerge le spectateur au plus profond de l’humain. Il cherche à objectiver l’inconscient, à décrire avec une méthode scientifique

l’âme des individus. Sa métaphore du scanner dévoilant autre chose qu’attendu, a, semble-t-il, séduit les juges. Déferlement d’idées politiques, de critiques et de contestations, cette 23e édition marque peut-être une rupture avec l’habituelle frilosité des organisateurs. Conçue comme une exposition d’ensemble, son rôle ne se limite plus à faire découvrir de jeunes talents. Le Salon lui-même s’est donné un but : montrer avec cohérence et simplicité le sentiment de l’ensemble d’une scène artistique.

Jusqu’au 24 décembre. De 10h à 14h et de 18h à 22h, sauf le vendredi, au Palais des arts à l'Opéra.

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