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Le théâtre égyptien réinventé

Novine Movarekhi, Mardi, 21 avril 2015

Trois compagnies théâtrales égyptiennes ont partagé avec le public suisse les trésors du patri­moine culturel et populaire égyptien. Des regards singuliers sur l’Egypte d’hier et d’aujourd’hui, portés par le chant, la musique, le récit et la performance.

Le théâtre égyptien réinventé
Les Nuits El Warsha de Hassan El-Geretly.

L’Egypte était à l’honneur sur la scène du théâtre Saint-Gervais à Genève pendant tout le mois passé. C’est durant une visite au Caire en 2014 que Philippe Macasdar, direc­teur de ce théâtre, découvre trois compagnies indépendantes. Ebloui par l’originalité de leur travail, il les invite à témoigner de la vitalité artis­tique égyptienne. « Les événements historiques que l’Egypte a traversés ces dernières années et la richesse du répertoire traditionnel sont autant de raisons qui m’ont poussé à accueillir ces troupes cairotes pendant une semaine », déclare-t-il.

De passage à Genève lors de leur tournée européenne, Les Nuits El Warsha (L’Atelier) de Hassan El-Geretly, grande figure du théâtre égyptien indépendant, ont présenté les trésors de la culture populaire égyp­tienne à travers dix siècles de tradi­tions. De Port-Saïd à la Haute-Egypte, en passant par la place Tahrir, c’est l’histoire d’une nation qui défile dans le style d’un « théâtre-cabaret urbain » : « un spectacle qui célèbre la création et la culture vernaculaire égyptiennes », indique le metteur en scène.

Mais c’est aussi les grands maîtres de la littérature et de la musique égyp­tiennes que le public peut découvrir ou redécouvrir : Ahmad Fouad Negm, Ibrahim Aslane, Mahmoud Choukoukou, Cheikh Imam pour n’en citer que quelques-uns. Au son de l'oud, du nay, du daf et de la dar­bouka, épopée médiévale, chanson nubienne, prière soufie, poèmes d’amour rendent ces Nuits sublimes. A la fois musiciens, chanteurs et comédiens, les membres de la troupe procurent un véritable plaisir visuel et auditif. « Le nom générique de notre spectacle a deux raisons d’être. Il s’agit de tester nos recherches sur des champs thématiques différents, tels que le patrimoine, les guerres, la condition féminine et la révolution. Nous faisons aussi un travail de transmission et de formation. Les Nuits permettent aux jeunes de se former au rapport avec le public », précise Hassan El-Geretly. Créée en 1992, cette pièce phare de son réper­toire est issue de recherches de terrain « autour de la culture populaire, de la langue dialectale, de la rue, de la résistance ».

C’est un travail en constante évolu­tion. Nourries d’événements sociopo­litiques, Les Nuits se transforment, le répertoire est reconfiguré, et les textes sont revisités selon l’actualité. Mais elles « conservent la même forme, un continuum entre le chant, les contes, les récits et les sketchs », poursuit-il. « Le pays bouillonne, l’Egypte n’a jamais été aussi foisonnante et créa­tive qu’aujourd’hui. Le précédent de la révolution est indélébile, tous sont engagés dans l’art », ajoute-t-il.

C’est effectivement le cas d’un grand nombre d’artistes égyptiens de la jeune génération.

Airs de liberté
Basée sur un énorme travail de recherche et de collection d’archives, en collaboration notamment avec l’historienne Alia Mossallam et le musicien Moustapha Al-Saïd, Hawa Al-Horréya (caprices de liberté) de Laïla Soliman explore la révolution de 1919 en quête de parallèles avec celle de 2011. « Une performance à la fois documentaire, musicale et théâ­trale, entre réalité et fiction », précise la jeune metteure en scène. Sous une nouvelle forme de théâtre, il s’agit d’« essayer de comprendre l’histoire à travers le présent, de déchiffrer l’essence d’une période historique qui a fait couler beaucoup d’encre ».

Puisant dans des chansons, des livres et d’autres archives de l’époque, elle construit un récit qu’elle mêle, au moyen de photos, témoignages et correspondances, à celui de deux pionnières du chant égyptien de cette période, Naïma Al-Masriya et Mounira Al-Mahdiya. « Un mélange de textes entrecoupés d’actions paral­lèles », c’est ainsi que Laïla Soliman définit le style de cette pièce.

Partie intégrante de l’anthologie, les chants constituent une sorte de « time­line » informel ; une belle occasion aussi de savourer les oeuvres de Sayed Darwich, Zakariya Ahmad, Daoud Hosni, et bien d’autres. L’artiste tire ces archives de l’oubli et se les appro­prie. Elle convoque la mémoire du spectateur et pose la question de la trace : « La pièce met en action la mémoire, la responsabilité et l’identi­fication ».

Visions croisées
En invitant des artistes égyptiens à présenter leur travail, le directeur du théâtre Saint-Gervais souhaitait éga­lement un regard de leur part sur la ville de Genève. C’est ce qu’a apporté le jeune metteur en scène Salam Yousry. De l’individuel au collectif est une expérimentation théâtrale qui réunit des volontaires, amateurs et professionnels confondus, dans un atelier, puis les met en scène sous forme d’une troupe éphémère.

Pour Salam Yousry, c’est une façon de rassembler autour de lui un groupe de personnes afin de travailler sur l’improvisation, la spontanéité et la créativité. C’est une « expérience à la fois théâtrale et humaine » que l’ar­tiste propose depuis 2010 dans diffé­rentes villes d’Europe et du Moyen-Orient. « L’objectif du groupe est de trouver une base, un langage com­mun, en partant du principe que tous les participants sont leaders. Chacun développe et présente des idées aux autres. L’urgence de proposer afin de ne pas rester dans l’inaction est donc importante », précise-t-il. C’est aussi un défi de taille pour l’initiateur. « Ce travail est une recherche continue. Il s’agit pour moi de ne pas guider ou diriger le groupe, mais d’être présent et d’analyser, de rester patient », ajoute-t-il.

A travers cette démarche, Salam Yousry cherche à démontrer que « tout le monde peut être écrivain, metteur en scène, ou artiste ». L’expérience a permis aux partici­pants suisses de se constituer en com­munauté éphémère, d’improviser une parole portée par la musique et la danse. « Cet atelier a créé de fortes connexions entre des personnes d’univers différents. Le fait de mêler diverses formes d’art a créé en moi le désir d’être dans ce fil de spontanéité et de créativité », témoigne Yasmine, l’une des participantes genevoises.

En passeurs de la tradition orale, les figures du théâtre indépendant, tels Hassan, Laïla et Salam ressuscitent, au-delà du folklore, les traditions séculaires égyptiennes. Une manière originale de préserver leur vitalité et leur actualité.

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