Le géant pharmaceutique américain Pfizer et son partenaire allemand BioNTech ont été les premiers à présenter des résultats positifs pour un essai clinique à grande échelle d’un vaccin contre le nouveau coronavirus.
Les deux entreprises ont déclaré qu’elles n’avaient jusqu’à présent constaté aucun problème sérieux en termes d’effets indésirables de ce candidat-vaccin. Les données de l’essai clinique doivent encore être examinées par des pairs ou publiées dans une revue médicale. Pfizer a indiqué qu’il le ferait dès qu’il disposerait des résultats de l’ensemble de l’essai.
Si tous les vaccins ont le même but, à savoir entraîner notre système immunitaire à reconnaître le coronavirus, lui faire monter ses défenses de façon préventive, afin de neutraliser le vrai virus s’il venait à nous infecter, il existe plusieurs techniques pour arriver à cette fin.
Parmi les quatre grandes catégories de vaccins développés contre le Covid-19, celle utilisée par Pfizer n’avait encore jamais fait ses preuves. Elle se fonde sur une technologie nouvelle, dite de l’ARN messager.
Comment ça fonctionne ?
Les vaccins conventionnels peuvent être faits de virus inactivés (comme ceux de la polio et de la grippe), de virus atténués (ceux de la rougeole et de la fièvre jaune) ou tout simplement de protéines appelées antigènes (comme le vaccin de l’hépatite B). Mais dans le cas de Pfizer et de son partenaire allemand BioNTech, on injecte dans l’organisme des brins d’instructions génétiques appelées ARN messager, c’est-à-dire la molécule qui dit à nos cellules ce qu’il faut fabriquer, sachant que toute cellule est une mini-usine de protéines, selon les instructions génétiques contenues dans son noyau.
L’ARN messager du vaccin s’insère et prend le contrôle de cette machinerie pour provoquer la fabrication d’un antigène spécifique du coronavirus : le « spicule » du coronavirus, sa pointe, si reconnaissable, se trouve à sa surface et lui permet de s’attacher aux cellules humaines pour les pénétrer. Cette pointe, inoffensive en elle-même, sera ensuite détectée par le système immunitaire qui va produire des anticorps, et ces anticorps vont rester, montant la garde pendant, on l’espère, une longue durée.
Une fois le matériel génétique injecté, « les cellules qui sont au site de l’injection vont se mettre à produire, de façon transitoire, l’une des protéines du virus, en l’occurrence la protéine S, la protéine de spicule », comme l’a expliqué Christophe D’Enfert, directeur scientifique de l’Institut Pasteur.
L’avantage est qu’avec cette méthode, il est inutile de cultiver un pathogène en laboratoire, c’est l’organisme qui fait le travail. C’est pour cette raison que ces vaccins ont pour particularité intéressante de pouvoir être produits très facilement en très grande quantité.
A l’heure actuelle, aucun vaccin à ADN ou ARN n’a été approuvé pour l’homme. Le Covid-19 a donné un énorme coup d’accélérateur, en particulier grâce à des financements publics. Si la technologie était prouvée, cela pourrait ouvrir la voie à de nombreux autres vaccins à l’ARN messager contre Zika, la grippe … mais aussi contre des cancers.
Les questions en suspens
La durée de protection s’impose comme le premier inconnu alors que les éléments dévoilés par Pfizer et BioNTech ne permettent pas de savoir comment l’efficacité du vaccin évolue avec le temps.
Vient ensuite la question de savoir si ce vaccin empêche l’infection au coronavirus SARS-CoV-2 ou réduit seulement les symptômes de la maladie en évitant les formes graves ? Là encore, pas de réponse à ce stade, faute de publication des données scientifiques. « Si le vaccin protège contre l’infection elle-même, et donc diminue le risque de transmission par des personnes asymptomatiques, cela pourrait nous permettre à l’avenir de réduire les mesures de contrôle de l’épidémie », indique une experte britannique, la Dr Penny Ward, citée par l’organisme Science Media Center. « Mais s’il protège contre le risque de maladie et non contre l’infection elle-même, alors les mesures de contrôle devront rester en place jusqu’à ce qu’un nombre suffisant de gens ait été vacciné », poursuit Dr Ward, spécialiste auprès du King’s College de Londres et de la Faculté britannique de médecine pharmaceutique.
Enfin, selon Pfizer et son partenaire allemand BioNTech, 94 participants ont attrapé le Covid-19 à ce stade de l’essai, sur un total de 43 500 volontaires. Or, en l’absence de stratification de ces individus, selon l’âge, la présence de comorbidités (d’autres affections en plus de la maladie étudiée), l’origine ethnique etc., on n’est pas en mesure de savoir si le vaccin est efficace chez les personnes à risque.
L’OMS, des voeux pieux ?
Un vaccin contre le COVID-19 pourrait commencer à être administré en mars 2021 aux personnes les plus vulnérables, ce qui, avec d’autres progrès, pourrait changer fondamentalement l’évolution de la pandémie, a déclaré Bruce Aylward, directeur général adjoint de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). « Il reste encore beaucoup de travail à faire, ce ne sont que de résultats provisoires (...) mais très positifs, qui recèlent de grandes promesses pour, espérons-le, l’ensemble du monde », a déclaré Bruce Aylward, en référence à l’annonce du vaccin Pfizer.
Les pays pauvres auront-ils accès à un vaccin contre le Covid-19 ? La question est plus légitime que jamais. Le chef de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a souhaité que toute « avancée scientifique » bénéficie à tous les pays. « Il ne fait aucun doute qu’un vaccin sera un outil essentiel pour contrôler la pandémie », a-t-il commenté la semaine dernière.
Mais alors que les pays plus riches planifient leurs programmes de vaccination jusqu’à la fin de 2021, les experts mettent en garde contre les obstacles qui attendent les pays pauvres.
Les développeurs du vaccin, Pfizer et BioNTech, espèrent déployer les premières doses d’ici quelques semaines, une fois reçues les autorisations d’utilisation d’urgence des agences sanitaires. Ces deux entreprises pharmaceutiques s’attendent à produire jusqu’à 1,3 milliard de doses du vaccin en 2021.
Pas assez de doses
Au prix de 40 dollars par traitement, soit deux injections distinctes, les nations les plus riches se sont précipitées pour précommander des millions de doses, avant même que l’on ne sache si ce vaccin aboutira. Mais qu’en est-il des pays pauvres ?
Anticipant la demande démesurée de tout vaccin approuvé, l’OMS a créé l’initiative Covax en avril pour assurer une distribution équitable. Covax réunit des gouvernements, des scientifiques, la société civile et le secteur privé. Pfizer n’en fait pas partie. Pour Rachel Silverman, chargée de mission au Center for Global Development, il est peu probable qu’une partie conséquente du premier lot de vaccins aboutisse dans les pays les plus pauvres. Sur la base des accords d’achats anticipés signés avec Pfizer, elle a calculé qu’1,1 milliard de doses avaient été achetées par les pays riches. « Il ne reste plus grand-chose pour tous les autres », dit-elle à l’AFP.
Certains pays qui ont précommandé, tels le Japon et la Grande-Bretagne, font partie de Covax, et il est donc probable qu’au moins certaines doses atteindront des pays moins développés grâce à leurs accords d’achat. A l’inverse, les Etats-Unis, qui ont 600 millions de doses en commande, ne sont pas membres de Covax. Cela pourrait changer avec le président élu Joe Biden.
« Nous devons vraiment éviter que les pays riches n'engloutissent tous les vaccins et qu’il n’y ait pas assez de doses pour les pays les plus pauvres », plaide Benjamin Schreiber, coordinateur du vaccin Covid-19 au Fonds des Nations-Unies pour l’enfance (Unicef).
Outre l’éthique, les données épidémiologiques soulignent la nécessité d’une distribution équitable. Des chercheurs de l’Université Northeastern (Etats-Unis) ont récemment publié une étude examinant le lien entre l’accès au vaccin et la mortalité du Covid-19. Ils ont modélisé deux scénarios. Le premier porte sur ce qui se passerait si 50 pays riches monopolisaient les deux premiers milliards de doses d’un vaccin. Dans le second, le vaccin est distribué en fonction de la population d’un pays plutôt que de sa capacité à le payer. Dans la première hypothèse, les décès du Covid-19 seraient réduits d’un tiers (33 %) dans le monde. Avec un partage équitable, la baisse atteint 61 %.
Le froid, un frein
Pour les pays pauvres, outre le financement, une question de logistique se pose.
Le vaccin promis de Pfizer-BioNTech doit être stocké à -70°C, alors que la plupart des congélateurs dans la plupart des hôpitaux du monde sont à -20°C. Pfizer et certains gouvernements préparent un protocole de livraison depuis des mois, mais « rien de tout cela n’a eu lieu dans les pays à revenu faible ou intermédiaire », note Rachel Silverman, du Center for Global Development. « Nous avons de l’expérience dans le déploiement du vaccin contre Ebola », rappelle pour sa part Benjamin Schreiber de l’Unicef, un vaccin qui a un profil similaire à celui de Pfizer en termes de température de conservation.
Il est « plus difficile, mais pas impossible, de stocker et d’administrer en toute sécurité le vaccin anti-Covid-19 dans le sud du globe, mais cela exigerait des investissements et une formation importants », poursuit-il.
Déclarations rassurantes
Dans un communiqué publié suite à l’annonce de ce nouveau vaccin, la ministre égyptienne de la Santé, Hala Zayed, a déclaré que l’Egypte avait réservé des doses du vaccin Pfizer-BioNTech couvrant jusqu’à 20 % des besoins du pays. Toujours selon la ministre, l’Egypte a également réservé des doses d’un vaccin britannique prometteur développé par l’Université d’Oxford, qui couvrira environ 30 % supplémentaires de ses besoins.
En juillet, l’Egypte a été choisie par la Chine pour servir de futur hub africain pour la fabrication de ses éventuels vaccins contre le coronavirus, si Pékin en développe un. Des essais de deux vaccins fabriqués en Chine sont en cours en Egypte en coopération avec le gouvernement chinois et d’autres entreprises.
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