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L’Egypte et le Hamas

Lundi, 14 avril 2014

C’est sans doute la ques­tion palestinienne qui a le plus souffert des sou­lèvements populaires qui ont secoué et secouent encore plu­sieurs pays arabes, notamment les Etats centraux du système politique arabe, l’Egypte et la Syrie. Absorbé par sa difficile transition politique, le gouvernement du Caire, comme celui de Damas, englué dans une guerre civile sans fin, n'est plus en mesure d’accorder la traditionnelle attention politique à la cause palesti­nienne, laissée presque exclusive­ment aujourd’hui entre les mains des Etats-Unis, dont le secrétaire d’Etat, John Kerry, effectue des navettes interminables au Proche-Orient, pour faire avancer des négociations de paix moribondes, sans succès.

L’Egypte et la Syrie jouaient tradi­tionnellement des rôles centraux dans la question palestinienne, quoique dans des sens opposés. Le Caire était et reste le principal sou­tien et mentor de la modérée Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, qui bénéficie également du soutien de l’Arabie saoudite et du monde occidental. La Syrie, par contre, soutenait, aux côtés de l’Iran et du Qatar, l’islamiste Hamas, le rival de l’Autorité palestinienne, qui contrôle la bande de Gaza depuis juin 2007. Bien que la cause palestinienne souffre, dans son ensemble, de l’im­pact du « Printemps arabe », c’est le Mouvement de la résistance isla­mique qui a le plus à pâtir de l’ac­tuelle conjoncture régionale, après avoir perdu deux alliés de taille, les Frères musulmans en Egypte, après la destitution de Mohamad Morsi en juillet dernier, et le régime de Damas, qui a rompu avec le Hamas, suite à l’annonce de ce dernier de son soutien à l’opposition armée qui cherche à renverser Bachar Al-Assad. Les islamistes de la bande de Gaza ont également perdu, par ricochet, le soutien prononcé de Téhéran, allié indéfectible de Damas.

Non seulement les islamistes du Hamas, une branche des Frères musulmans, ont perdu l’allié égyp­tien, mais ils se trouvent aussi aujourd’hui dans le collimateur du régime intérimaire au Caire, qui mène une guerre sans merci contre la confrérie, accusée de terrorisme. Le Hamas est à son tour taxé d’intel­ligence avec les Frères musulmans et de leur fournir une aide multi­forme dans leur usage de la vio­lence. Une décision de justice, annoncée le 4 mars, a interdit toute activité du Hamas en Egypte, a ordonné la ferme­ture de ses bureaux et la saisie de ses avoirs, pour son rôle présumé dans l’attaque de la pri­son de Wadi Al-Natroune et l’aide apportée à la fuite de dirigeants des Frères musul­mans, lors de la révolution du 25 janvier 2011. A la suite de cette déci­sion, Le Caire aurait commencé à enquêter sur les cas de 13 757 Palestiniens, dont la majorité appar­tient au Hamas, qui avaient obtenu la nationalité égyptienne sous le règne de Morsi, en vue d’un éven­tuel retrait de leur nationalité récem­ment acquise. Le représentant du Hamas au Caire, Moussa Abou- Marzouk, vice-président de son bureau politique, s’est vu également refuser le renouvellement de son séjour en Egypte.

De son côté, l’armée, qui mène depuis des mois une large campagne dans le Sinaï contre divers groupes terroristes s’inspirant d’Al-Qaëda, a procédé à la fermeture des tunnels de contrebande à la frontière avec la bande de Gaza, qui sont utilisés par les militants islamistes. Selon diverses estimations, quelque 80 % de ces tunnels ont été détruits par l’armée, privant les autorités du Hamas de 230 mil­lions de dollars de revenus mensuels, prélevés sur ce com­merce illicite.

L’Egypte ne semble pas vouloir s’en arrê­ter là. Selon Reuters, citant de hauts res­ponsables égyptiens de sécurité, en janvier dernier, Le Caire, qui perçoit les islamistes du Hamas comme une menace à sa sécurité nationale, en raison de leurs liens avec les Frères musulmans et les groupes terroristes au Sinaï, entend miner la crédibilité de ce mouvement à Gaza en soute­nant ses adversaires. D’après un haut responsable sécuritaire cité par l’agence de presse, l’Egypte ne pourrait pas se débarrasser du terro­risme des Frères musulmans en Egypte sans y mettre fin dans la bande de Gaza voisine.

Cette hostilité grandissante envers le Hamas ne se limite pas au gouvernement égyptien, l’opinion publique s’est, à son tour, tournée en majorité contre le Mouvement de la résistance islamique, sans que cela affecte toutefois son soutien traditionnel à la cause palesti­nienne. La conjoncture actuelle, instabilité politique et sécuritaire et déclin économique, a fait reléguer la question palestinienne au second plan des préoccupations du public et des responsables égyptiens. La connexion Frères-Hamas a fini par déclencher une inimitié envers les maîtres de la bande de Gaza. Les responsables du Hamas sont désor­mais indésirables en Egypte. Depuis la destitution de Morsi, aucun d’eux n’a mis les pieds dans le pays.

Une des principales consé­quences de cette quasi-rupture avec le Hamas est que l’Egypte se désin­téresse désormais de la médiation qu’elle avait toujours menée auprès de l’Autorité palestinienne et des islamistes de Gaza en vue d’une réconciliation interpalestinienne. Le contexte actuel ne permet sans doute pas de reprendre langue avec les responsables du Hamas. Cette rupture au niveau politique ne devrait cependant pas affecter la présence égyptienne sur le plan sécuritaire, en cas d’une escalade militaire entre la bande de Gaza et Israël, ou d’une possible agression de l’armée israélienne contre les Palestiniens de l’enclave. L’Egypte est ainsi intervenue, le 13 mars, en snobant le Hamas, pour conclure un cessez-le-feu entre Tel-Aviv et le Jihad islamique, un groupe isla­miste radical palestinien, après le lancement de plusieurs roquettes contre le sud d’Israël, à la suite du meurtre de 3 militants du groupe par l’armée israélienne. L’Egypte ne peut se permettre de rester les bras croisés devant une possible escalade militaire palestino-israé­lienne, qui risque d’avoir un impact négatif sur la sécurité dans la péninsule du Sinaï, déjà en proie à une sérieuse activité terroriste.

Les tirs de roquettes contre Israël par le Jihad islamique étaient indi­rectement un défi lancé par ce der­nier à l’autorité du Hamas, tenue par une trêve avec Tel-Aviv, négociée par l’Egypte sous Morsi en novembre 2012. L’indulgence obli­gée dont fait preuve le Hamas envers le Jihad islamique pro-iranien, deu­xième force politique à Gaza, s’ex­plique par sa volonté de renouer avec la République islamique, après avoir perdu ses alliés extérieurs .

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