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La guerre probable contre la Syrie

Tuesday 16 oct. 2012

«Conformément à l’article 2 de la Constitution de la Turquie, je réclame au Parlement turc d’octroyer une autorisation pendant une année permettant d’envoyer les forces armées turques vers des Etats étrangers et de leur faire assumer des charges extérieures ainsi que la formation nécessaire à cette mission, à condition que l’estimation des situations nécessitant cette intervention soit du ressort du seul gouvernement turc ».Ces quelques lignes ont figuré dans le document présenté par le premier ministre turc, Erdogan, au Parlement turc réclamant un mandat pour effectuer des opérations militaires à l’extérieur de la Turquie. Le gouvernement a effectivement obtenu cette autorisation après que 20 députés ont approuvé l’autorisation pendant un an alors que 29 autres appartenant au Parti du Peuple républicain de l’opposition et le Parti de la Paix et de la démocratie l’ont refusée. Et cela parce que la formule de l’autorisation est trop large et permet de déclencher une guerre mondiale, et non seulement des opérations limitées sur les frontières.

Pourtant, les responsables au gouvernement turc ont assuré qu’il n’y avait aucune intention de déclencher une guerre. Or, cette négation ne semble pas convaincante à la lumière de la vérité du mandat parlementaire qui permet d’envoyer l’armée turque vers des pays étrangers et non pas un seul, pour une mission de guerre. Autrement dit, il est devenu possible de déclencher une guerre contre des pays conformément à l’estimation du seul gouvernement, sans revenir vers le Parlement. La formule du mandatement peut n’être qu’une formule trop large qui prend en considération l’éventualité de la détérioration de la position sur les frontières avec la Syrie, et peut-être sur les frontières d’autres pays comme l’Iran par exemple. Et ce, peut être un genre de répression préventive pour la Syrie ainsi que d’autres Etats qui auraient recours au soutien de Damas au cas où la Syrie serait attaquée.

Quels que soient les messages visés par le gouvernement turc, la question toute entière du point de vue du fond et de la forme est beaucoup plus large que de simples procédures concernant la protection des frontières, la réponse à une attaque ou à un tir limité. Le gouvernement turc est-il conscient des conséquences de l’intervention militaire turque en Syrie ?

Il est évident que la poursuite de la crise syrienne sous sa forme armée actuelle constitue un danger énorme pour tous les voisins de la Syrie, y compris la Turquie elle-même. Surtout que les efforts diplomatiques arabes ainsi que les efforts de l’Onu semblent impuissants à faire bouger la situation, afin de mettre fin à la violence armée. Et en même temps, toutes les réflexions qui tournent autour d’une intervention militaire internationale semblent être catastrophiques pour toute la région. Ceci explique l’hésitation des superpuissances à penser à recourir à la solution militaire selon les évolutions à l’intérieur de la Syrie. En effet, le conflit armé n’est plus entre l’armée officielle d’un côté, et des Syriens armés qui veulent libérer leur peuple d’un pouvoir despote de l’autre. La Syrie est devenue une scène où la lutte légitime des Syriens s’est mélangée aux ambitions d’éléments armés de différentes nationalités arabes et étrangères qui croient en des idées djihadistes visant à changer les régimes arabes par la violence armée.

Il est inéluctable que la Turquie ait le droit d’entreprendre des arrangements militaires qui protègent ses frontières et ses citoyens. La Turquie a également le droit de répondre à toute attaque et de réclamer des excuses si les tirs sont intentionnés ou planifiés. Elle a aussi le droit d’obtenir des indemnités pour les victimes turques. De plus qu’elle a certainement le droit de menacer politiquement et de réclamer à l’Onu d’entreprendre des procédures pour dénoncer toute attaque contre ses territoires. En contrepartie, il n’est pas du droit de la Turquie ou de n’importe quel autre Etat d’exploiter la crise que connaît actuellement la Syrie pour commettre un acte militaire sur les territoires syriens comme le fait de créer des zones protégées par l’armée turque sous prétexte de protéger les réfugiés syriens.

Dans ce cas, quel que soit la noblesse des justifications humaines qui seront annoncées, nous serons, conformément à la loi internationale, face à une attaque et à une occupation de nouveaux territoires arabes. Et là, partant du principe du droit à l’autodéfense, les Syriens, qu’ils appartiennent au régime de Bachar Al-Assad ou non, auront eux aussi le droit de faire face à l’occupation turque par la force. C’est ainsi que la Turquie se trouvera militairement dans une situation régionale enflammée qui peut mener à un affrontement arabo-irano-turco-israélien. Il n’est pas difficile d’imaginer quelle sera alors la situation au Proche-Orient ainsi que la paix et la sécurité mondiales : une situation catastrophique.

Certains peuvent dire que la Turquie intervient déjà militairement en Syrie en présentant à l’armée syrienne libre des armes, des fonds, des conseils militaires et en protégeant ses cadres. Au cas où les forces turques entreraient dans les territoires syriens, cela ne sera que le prolongement de l’affrontement indirect qui existe déjà entre la Turquie et le régime syrien. Il s’agit d’une déduction refusée et loin de la réalité. Nous espérons que le gouvernement turc ne suivra pas, sous prétexte d’installer des zones protégées et interdites à l’aviation syrienne, sous prétexte de protéger les civils.

La situation est très dangereuse et les éventualités du déclenchement d’une guerre régionale sont grandes. Cependant, nous devons parier sur la conscience du gouvernement turc. Je pense qu’il tombera dans le piège d’un acte militaire non calculé et poussé par la volonté d’effectuer un pas non calculé pour mettre un terme à la crise syrienne et pour réaliser un héroïsme qui ne se produira que dans l’imagination. Je pense que le gouvernement turc réalise parfaitement les conséquences de l’implication militaire directe dans la crise syrienne et réalise qu’un tel pas portera préjudice à ses relations avec tout le monde arabe, peuples et gouvernements. Au cas où les soldats turcs dépasseraient les frontières syriennes sous n’importe quel prétexte, cela marquera un point négatif pour la politique étrangère turque contemporaine qui visait il y a 4 ans des relations turques avec son entourage géographique exemptes de conflit. Cependant, les évolutions des 4 dernières années ont été tout à fait opposées à cet emblème idéaliste. En effet, Ankara est partie de plusieurs litiges politiques et stratégiques avec des pays de la région. Un fait confirmant que le monde d’aujourd’hui est basé sur peu d’idéalisme et beaucoup de réalisme, de conflits d’intérêts, de contradictions dans les mœurs et les valeurs. L’essentiel est de savoir comment gérer tout cela loin des armes et des mots durs.

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